Trouvailles : une petite moisson d“automne

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°538 Octobre 1998Rédacteur : Jean SALMONA (56)

L’on peut éprou­ver une intense jouis­sance à com­par­er dix ver­sions dif­férentes du Con­cer­to de l’Em­pereur, mais point trop n’en faut , et c’est un plaisir au moins aus­si grand que d’ex­plor­er l’in­con­nu, même si l’on doit accepter le risque du temps per­du (les génies mécon­nus se font rares, même dans les réserves des bib­lio­thèques et des conservatoires).

Ain­si, deux petites mer­veilles à décou­vrir, à l’oc­ca­sion d’un CD con­sacré à la musique de cham­bre avec piano pour la main gauche (Wittgen­stein a beau­coup sévi) : la Suite pour deux vio­lons, vio­lon­celle, et piano main gauche de Korn­gold (1897–1957), et le Quin­tette pour quatuor et piano main gauche de Schmidt (Franz) (1874–1939), la pre­mière très fin de siè­cle, le sec­ond quelque peu brahm­sien1 qui vous sur­pren­dront l’une et l’autre, dans un enreg­istrement avec Leon Fleish­er, et, notam­ment, Yo-Yo Ma

De même, vous ignorez tout de Boëll­mann (1862- 1897} (sauf si vous êtes organ­iste), et vous avez tort : le cama­rade Jean-Pierre Fer­ey (75) en joue des pièces pour piano2 agréables et sub­tiles et qui, dans un style très per­son­nel, valent bien Déo­dat de Séverac.

Bern­stein, le com­pos­i­teur, éclip­sé par le fab­uleux chef qu’il fut, ne s’est pas lim­ité à West Side Sto­ry. Qua­tre de ses œuvres les moins con­nues, pêchées dans une rétro­spec­tive Bern­stein Cen­tu­ry, exal­tent le plaisir d’écrire, sans référence à aucune école : The Age of Anx­i­ety, sym­phonie pour piano et orchestre, et la Séré­nade pour vio­lon, cordes, harpe et per­cus­sion, d’après le Ban­quet de Pla­ton3 ; puis Kad­dish (sym­phonie n° 3) à la mémoire de J. F. Kennedy, et les Psaumes de Chich­ester4. Musique libre d’un homme libre et généreux, extra­or­di­naire­ment doué.

Saviez-vous que le com­pos­i­teur de la musique du Chant des Par­ti­sans était une chanteuse russe, Anna Marly ? Sous le titre Fig­ure Humaine, Fer­ey a réu­ni des chants de la Résis­tance et de la Dépor­ta­tion, dont le Chant des Marais, et d’autres, beau­coup moins con­nus, sur des musiques de Joseph Kos­ma, Mil­haud, Louis Durey, Poulenc, Jean Wiener, avec, in fine, Lib­erté dit par Élu­ard lui-méme5. C’est fort et émouvant.

Enfin, les Sym­phonies de Gau­ti­er de Mar­seille (1642- 1696) sont une des plus jolies décou­vertes de ces derniers mois6. Musique élé­gante et fine, qui s’af­fran­chit de la tutelle tyran­nique de Lul­ly, et qui fait regret­ter que l’on ait per­du tous les opéras de Gau­ti­er, man­u­scrits non pub­liés et dis­parus avec Gau­ti­er, les machines et les décors de ses opéras, dans le naufrage du navire qui le rame­nait d’une tournée de Mont­pel­li­er à Marseille.

Pour ter­min­er, sig­nalons que l’on édite à tour de bras les enreg­istrements de Celi­bidache, réal­isés au cours de con­certs (puisque Celi­bidache s’é­tait tou­jours refusé à enreg­istr­er pour la dif­fu­sion discographique). [inté­grale des sym­phonies de Bruck­n­er, à la tête du Phil­har­monique de Munich — et tout par­ti­c­ulière­ment la Huitième7 — laisse pan­tois par la lumi­nosité de l’in­ter­pré­ta­tion de celui qui aura été à la direc­tion d’orchestre ce que Richter fut au piano : non un apôtre de l’austérité, mais un musi­cien rigoureux et exigeant, respectueux et du com­pos­i­teur qu’il inter­prète, et du pub­lic qui l’é­coute, espèce hélas en voie de disparition.

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1. 1 CD SONY SK 482S3.
2. 1 CDSKARBOSK 1987.
3. 1 CD SONY SMK 60558.
4. 1 CD SONYSMK 60595.
5. 1 CD SKARBO SK 2980.
6. 1 CD AlNlD­IS ASTREE E 8637.
7. 2 CO 7 243 5 56696 2.

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