DVD New year's eve par Claudio ABBADO

Trois concerts de la Saint Sylvestre 1996, 1997 et 1998

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°725 Mai 2017Par : l'orchestre Philharmonique de Berlin, Maxim Vengerov, Gil Saham, Mikhail Pletnev, Mirella Freni, direction Claudio AbbadoRédacteur : Marc DARMON (83)Editeur : Trois DVD ou Blu-ray Euroarts 2012604, 2012904 et 2013104

C’est une tra­di­tion aus­si impor­tante que le con­cert du nou­v­el an à Vienne, et téléd­if­fusé en direct et suivi par des mil­lions de spec­ta­teurs égale­ment : chaque 31 décem­bre, le Phil­har­monique de Berlin joue le con­cert le plus fes­tif de l’année sous la direc­tion de son directeur musical. 

On a van­té dans ces colonnes le con­cert du 31 décem­bre 2014, où, sous la direc­tion de Sir Simon Rat­tle, Mena­hem Pressler inter­pré­tait le plus beau des 23e con­cer­tos de Mozart (Blu-ray et DVD Euroarts). On pour­rait dire le plus grand bien du dernier con­cert en 2015, où Rat­tle accom­pa­g­nait Anne-Sophie Mut­ter dans un pro­gramme Rav­el/­Saint- Saëns mémorable (disponible en Blu-ray et DVD égale­ment chez Euroarts). 

Mais les con­certs de fin 1996, 1997 et 1998 sont un véri­ta­ble choc pour plusieurs raisons. 

Tout d’abord, on y retrou­ve le regret­té Clau­dio Abba­do à la direc­tion. Clau­dio Abba­do, il y a vingt ans, était tout sim­ple­ment le plus grand chef vivant. 

Avant sa mal­adie, dans la force de son art, à la tête de ce qui était encore le plus bel orchestre du monde, tra­vail­lant à la fois le son et le phrasé de chaque mesure, avec la per­fec­tion de la vir­tu­osité et de l’habileté de l’orchestre forgé par Kara­jan pen­dant trente ans. 

Et cela se perçoit con­stam­ment, même dans un tel pro­gramme d’œuvres très accessibles. 

Les pro­grammes choi­sis par Abba­do sont mag­nifiques, et les spec­ta­teurs qui ont retardé leur dîn­er de réveil­lon n’ont pas dû le regret­ter. Et avec un flo­rilège de stars ! 

En 1996, sur le thème « Tzi­gane », Dans­es hon­grois­es et Chants tzi­ganes de Brahms et naturelle­ment Tzi­gane et La Valse de Mau­rice Rav­el, avec un Max­im Vengerov élec­trique au vio­lon, la coqueluche de l’époque.

En 1997, sur le thème de « Car­men et l’Espagne », des extraits de Car­men (avec Rober­to Alagna, Anne Sofie von Otter et un Bryn Ter­fel hal­lu­ci­nant, au sens pro­pre, dans Escamil­lo), la Fan­taisie sur Car­men de Sarasate (pot-pour­ri bril­lan­tis­sime de huit ans postérieur à l’opéra, avec un bril­lant Gil Sha­ham), la Rhap­sodie espag­nole de Rav­el, et, mon­u­ment de la soirée, la Rhap­sodie sur un thème de Pagani­ni de Rach­mani­nov avec un vir­tu­ose Pletnev. 

Et en 1998, des extraits choi­sis d’opéra par les stars d’hier (Mirella Freni), du moment (Simon Keenly­side) et de ce qui serait demain (Christi­na Schäf­fer, Marce­lo Alvarez) : Don Gio­van­ni, La Flûte enchan­tée, Rigo­let­to, Eugène Onéguine, La Travi­a­ta, qui dit mieux ? 

Et en inter­ludes orches­traux, l’ouverture de La Pie voleuse de Rossi­ni, et le Car­naval romain tiré du Ben­venu­to Celli­ni de Berlioz, deux œuvres où Abba­do excelle toujours. 

L’image de ces DVD est très bonne, même s’il ne s’agit naturelle­ment pas de haute déf­i­ni­tion. Mais le son est incroy­able­ment présent et bien enreg­istré. Ce n’est pas man­quer de respect à Simon Rat­tle que de dire que le son excep­tion­nel du Berlin de Kara­jan n’est plus le même aujourd’hui.

L’orchestre de Berlin est tou­jours phénomé­nal, mag­nifique, mais il n’est plus excep­tion­nel, aisé­ment recon­naiss­able à l’aveugle, comme l’avait « créé » Kara­jan, et comme on l’entend encore là, dix ans après la mort de Karajan. 

Les inter­pré­ta­tions sont toutes recom­mand­ables. Les Dans­es hon­grois­es de Brahms récla­ment cette fan­taisie, ce côté enlevé, « déhanché », que crée Abba­do (comme dans son disque enreg­istré à Vienne, une dizaine d’années plus tôt). 

Vengerov, qui joue Tzi­gane les yeux fer­més (vrai­ment fer­més), joue une de ces Dans­es hon­grois­es en soliste en guise de bis. Dans le Rach­mani­nov (1934), inspiré du Vingt-qua­trième caprice de Pagani­ni (1824) et du thème médié­val du Dies Irae cher entre autres à Berlioz, Plet­nev, Abba­do et l’orchestre font preuve de vir­tu­osité mais aus­si d’une grande sensibilité. 

Alagna, avec sa bar­bi­chette de l’époque, est for­mi­da­ble. Ter­fel en Escamil­lo, mémorable, on l’a dit. Anne Sofie von Otter, éclec­tique mez­zo-sopra­no (excel­lente dans Offen­bach, dans le baroque, etc.), est une Car­men de braise (sa prise de rôle existe en DVD). 

Mirella Freni, la Mimi du siè­cle depuis 1963 (le CD du chef‑d’œuvre de Puc­ci­ni avec Pavarot­ti et Kara­jan est un des dix dis­ques de référence de la dis­cothèque de l’honnête homme), est aus­si une Tatiana mémorable (elle a enreg­istré bril­lam­ment le rôle com­plet, à la même période). 

Sa célèbre scène de la let­tre, mal­heureuse­ment sans sous-titre, est poignante, et on ne peut qu’être révolté comme elle de l’attitude d’Onéguine, le seul per­son­nage mépris­able de l’opéra qui porte son nom, et du livre de Pouchkine qui en est la source. 

Quels beaux con­certs ! Des DVD que l’on peut regarder par morceaux, pour le plaisir des morceaux, du son, des artistes ain­si immortalisés.

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