Trios de Shubert et Schumann

Trios

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°765 Mai 2021
Par Jean SALMONA (56)

Passé quar­ante ans, quand l’observateur voit com­bi­en sont vaines toutes les pen­sées qui s’agitent dans les cerveaux humains et ‑com­bi­en sont creuses celles qui lui avaient d’abord sem­blé pro­fondes, il se prend à regret­ter de n’avoir pas borné son intel­li­gence à la pro­duc­tion de sons harmonieux. 

Hélas, pourquoi lui est-il impos­si­ble, par igno­rance de la musique, de s’étourdir avec des mélodies, et de tir­er, devant l’abîme d’incertitude qui est le terme de son exis­tence, comme un rideau splen­dide fait de sonates, de con­cer­tos, d’oratorios, d’hymnes, d’intermèdes, de chants de toutes sortes !

Edmond Thi­audière, La Proie du Néant (Notes d’un pessimiste)

Entre la sonate pour vio­lon et piano et le quatuor avec piano, le trio clas­sique : piano, vio­lon, vio­lon­celle, sorte de sonate à trois, occupe une place sin­gulière. Ceux des ‑com­pos­i­teurs qui s’y sont attelés en ont ‑sou­vent réal­isé de petits chefs‑d’œuvre : Beethoven (Trio à l’Archiduc), Mendelssohn (deux trios mer­veilleuse­ment roman­tiques), Brahms, Schu­mann, Tchaïkovs­ki (Trio à la mémoire d’un grand artiste). Qui n’a pas eu les larmes aux yeux en décou­vrant le déchi­rant Trio n° 2 de Chostakovitch ? Et quel bon­heur raf­finé à l’écoute de l’ineffable Trio de Rav­el, som­met de subtilité ! 

Alors que le quatuor avec piano voit s’opposer deux blocs, le piano et le quatuor, comme dans un con­cer­to, que la sonate pour vio­lon et piano est un dia­logue équili­bré entre deux parte­naires, le trio est une com­bi­nai­son ‑com­plexe de trois car­ac­tères qui sup­pose une sym­biose dif­fi­cile à réalis­er. Il s’ensuit que, tan­dis qu’il n’existe que très peu de for­ma­tions per­ma­nentes de musi­ciens pour le quatuor avec piano, et peu de duos ‑per­ma­nents piano-vio­lon (si l’on excepte les duos légendaires tels que Yehu­di-Hep­hz­ibah Menuhin, Fer­ras-Bar­bi­zet, Heifetz-Piatig­orsky), en revanche, les trios sont générale­ment joués par des « trios » con­sti­tués et sta­bles dont deux, très dif­férents, nous présen­tent aujourd’hui leurs enreg­istrements récents : le Trio Pas­cal et le Trio Karénine.


Trio Pascal : les trios de SchubertTrio Pascal : les trios de Schubert

Les Trios de Schu­bert vous sont fam­i­liers. Élé­gants, d’un roman­tisme ten­dre et de bon aloi, ils s’inscrivent résol­u­ment dans la tra­di­tion beethovéni­enne du Trio à l’Archiduc. Mais au-delà de l’écoute super­fi­cielle, ces deux trios se révè­lent plus pro­fonds qu’il n’y paraît. Schu­mann écrira, en décou­vrant l’opus 100 (mi bémol) enfin édité un an après la mort de Schu­bert : « En dehors de la musique de Schu­bert, il n’en existe aucune qui soit aus­si éton­nante dans ses chem­ine­ments, ses com­bi­naisons et ses sautes d’idées, néan­moins logiques. » Le Trio Pas­cal est com­posé du père, Denis (piano), et de ses deux fils, Alexan­dre (vio­lon) et Aurélien (vio­lon­celle) et ce lien affec­tif crée une sym­biose inhab­ituelle­ment forte qui se ressent d’emblée, comme une évi­dence. Une inter­pré­ta­tion pré­cise, mesurée, chaleureuse aus­si, qui con­vient bien à cette musique ten­dre et mélancolique. 

2 CD MUSICA


Trio Karénine : Schoenberg, La Nuit transfiguréeTrio Karénine : Schoenberg, La Nuit transfigurée

Quel con­traste ! Pour inter­préter cette pièce emblé­ma­tique de Schoen­berg, tran­scrite pour trio par un dis­ci­ple du com­pos­i­teur, le jeune mais déjà célèbre Trio Karé­nine a fait un choix déter­mi­nant. Aidé par un ingénieur du son (dont le nom n’est pas révélé) qui a organ­isé une prise de son d’une extra­or­di­naire fidél­ité, avec un piano aux bass­es hors normes (un Bösendor­fer ?), nos trois musi­ciens jouent une musique inat­ten­due, excep­tion­nelle, explo­sive, qui vous prend et ne vous laisse aucun répit jusqu’à l’accord final. Que vous soyez ou non fam­i­liers de cette œuvre, la dernière de la péri­ode postro­man­tique de Schoen­berg avant le pas­sage au dodé­ca­phon­isme, vous ne pou­vez qu’être trans­portés par cette recréa­tion, qui mérite absol­u­ment la découverte.

Sur le même disque, deux autres tran­scrip­tions : les Six Pièces en forme de canon de Schu­mann, lumineuses, et Tris­tia, extrait de Val­lée d’Obermann, de Liszt.

1 CD MIRARE


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