Témoignages : des polytechniciens dans la biodiversité

Témoignages : des polytechniciens dans la biodiversité

Dossier : BiodiversitéMagazine N°786 Juin 2023
Par Auriane BUGNET (X15)
Par Diane SIMIU (X00)
Par Alain BRONDEAU (X94)
Par Margaux DURAND (X16)

Les poly­tech­ni­ciens sont de plus en plus nom­breux à con­sacr­er leur car­rière à la bio­di­ver­sité. Des poli­tiques publiques à la recherche, en pas­sant par le monde asso­ci­atif ou le privé, les chemins sont nom­breux et sources d’épanouissement. Diane Sim­iu (X00), Alain Bron­deau (X94) et Mar­gaux Durand (X16) en témoignent.

Raconte-nous brièvement ton parcours.

Diane Sim­iu. J’ai décou­vert ma voca­tion pour l’écologie quand j’étais à l’X, en cours de phi­lo. Pour ma 4e année, je suis par­tie à Berke­ley, pour y faire un mas­ter en Envi­ron­men­tal Engi­neer­ing. De retour en France, j’ai com­mencé ma car­rière dans le départe­ment « développe­ment durable » de Price­wa­ter­house­C­oop­ers, puis je suis par­tie pour Lon­dres, qui était l’épicentre de la finance car­bone à l’époque. J’ai eu envie de tra­vailler à l’élaboration des poli­tiques publiques et j’ai sauté sur l’occasion de rejoin­dre le tout nou­veau bureau des marchés car­bone de la direc­tion générale de l’énergie et du cli­mat. Puis j’ai rejoint le WWF comme direc­trice des pro­grammes, qui m’a per­mis de tra­vailler sur tous les sujets de bio­di­ver­sité. En 2016, je me suis engagée dans la cam­pagne du can­di­dat Emmanuel Macron et c’est ain­si que je me suis retrou­vée en mai 2017 con­seil­lère écologique à l’Élysée et à Matignon. J’ai rejoint le Com­mis­sari­at général au développe­ment durable (CGDD) en 2019.


Lire aus­si : La bio­di­ver­sité, indis­pens­able à l’existence humaine et à la qual­ité de vie


Alain Bron­deau. À la sor­tie de l’École poly­tech­nique, je me suis ori­en­té vers l’École nationale du génie rur­al, des eaux et des forêts, où je me suis spé­cial­isé dans les forêts trop­i­cales. J’ai réal­isé l’essentiel de mon par­cours au sein d’établissements publics de l’État chargés de la ges­tion d’espaces naturels pro­tégés : l’Office nation­al des forêts, le Parc nation­al de la Réu­nion, et le Con­ser­va­toire du lit­toral que j’ai rejoint en 2014. La majeure par­tie de ce par­cours s’est déroulée en out­re-mer, qui abrite la plus grande par­tie de la bio­di­ver­sité française.

Mar­gaux Durand. Je suis de la pro­mo­tion X16. J’ai suivi le PA en biolo­gie (pro­gramme d’approfondissement) et en 4A j’ai choisi le mas­ter en biotech­nolo­gies de l’université de Cam­bridge (UK), pour appro­fondir ma con­nais­sance des biotech­nolo­gies envi­ron­nemen­tales. Souhai­tant con­tribuer au développe­ment de poli­tiques publiques alignées avec la tran­si­tion écologique, j’ai tra­vail­lé près d’un an à l’Ademe en tant qu’ingénieure bio­masse énergie. J’ai inté­gré CDC Bio­di­ver­sité en sep­tem­bre 2021 au sein du départe­ment « mesure d’empreinte ». J’ai coréal­isé des éval­u­a­tions d’empreinte pour des entre­pris­es, con­tribué au développe­ment tech­nique de l’outil GBS (Glob­al Bio­di­ver­si­ty Score) de mesure d’empreinte créé par CDC Bio­di­ver­sité et con­stru­it mon pro­jet de thèse Cifre, qui a démar­ré en juil­let 2022.

En quoi consiste ton poste actuel lié à la biodiversité ? 

Diane Sim­iu. Le CGDD est une direc­tion trans­ver­sale des min­istères de la Tran­si­tion écologique et de la Tran­si­tion énergé­tique, égale­ment rat­taché aux ser­vices de la Pre­mière min­istre au titre de la plan­i­fi­ca­tion écologique. Nous dévelop­pons des méth­odes pour que les ques­tions de développe­ment durable (dont celles liées à la bio­di­ver­sité) soient bien pris­es en compte et inté­grées dans toutes les poli­tiques publiques : entre­pris­es, finance, col­lec­tiv­ités, agri­cul­ture, recherche, édu­ca­tion, for­ma­tion, com­merce inter­na­tion­al… Notre objec­tif est que la pro­tec­tion de la bio­di­ver­sité ne soit plus unique­ment le sujet de nos min­istères, mais bien celui de tous les autres aus­si : la réori­en­ta­tion de l’économie, le change­ment des men­tal­ités à opér­er sont d’une telle ampleur qu’on n’y arrivera pas seul ! C’est bien l’objectif qui a con­duit à con­fi­er la plan­i­fi­ca­tion écologique à la Pre­mière min­istre, qui doit veiller à la bonne mise en œuvre des straté­gies envi­ron­nemen­tales (notam­ment la stratégie nationale pour la bio­di­ver­sité) par l’ensemble des min­istères et à la cohérence de l’ensemble des poli­tiques publiques.

“Notre objectif est que la protection de la biodiversité ne soit plus uniquement le sujet de nos ministères, mais bien celui de tous les autres.”

Alain Bron­deau. Le Con­ser­va­toire du lit­toral s’attache, au tra­vers d’acquisitions fon­cières, à préserv­er le « tiers naturel » du lit­toral, en évi­tant l’urbanisation qua­si con­tin­ue à laque­lle con­duirait la seule appli­ca­tion des « lois du marché ». Le lit­toral, comme toute zone de tran­si­tion écologique, est un espace d’échanges qui revêt une impor­tance majeure pour la con­ser­va­tion de la bio­di­ver­sité. Il est essen­tiel de le pro­téger sur le très long terme et sur des unités de taille suff­isante pour per­me­t­tre aux écosys­tèmes de con­tin­uer à fonc­tion­ner et à s’adapter aux évo­lu­tions du milieu. Mon rôle con­siste à éla­bor­er une stratégie de con­ser­va­tion et de val­ori­sa­tion de ces espaces naturels lit­toraux, avec les col­lec­tiv­ités locales, les ser­vices de l’État et les experts sci­en­tifiques. Je dois ensuite négoci­er les acqui­si­tions fon­cières auprès des pro­prié­taires privés ou publics, puis met­tre en place un dis­posi­tif parte­nar­i­al pour leur ges­tion pérenne.

Mar­gaux Durand. Je suis doc­tor­ante chez CDC Bio­di­ver­sité, coen­cadrée par Vin­cent Mar­tinet (Inrae, France) et Aafke Schip­per (Rad­boud Uni­ver­si­ty, Pays-Bas). Mon pro­jet vise à mesur­er et à compt­abilis­er plus pré­cisé­ment les pertes et les gains d’intégrité écologique provo­qués par l’homme. En plus de con­tribuer à appro­fondir nos con­nais­sances sur la mesure de nos impacts sur la bio­di­ver­sité, ce pro­jet est l’occasion de ren­forcer les liens entre le monde académique et les entre­pris­es privées tra­vail­lant sur ce sujet, en France et à l’international.

Qu’est-ce qui t’a amené(e) à travailler dans la biodiversité ? 

Diane Sim­iu. Quand j’étais à la direc­tion générale de l’énergie et du cli­mat au début des années 2010, j’ai pris con­science qu’on ne pour­rait pas attein­dre les objec­tifs de réduc­tion d’émissions et d’adaptation au change­ment cli­ma­tique sans pren­dre en compte les enjeux de biodiversité.

Alain Bron­deau. Orig­i­naire de la Réu­nion, j’ai eu la chance de grandir entre la mer et des forêts trop­i­cales pri­maires, de décou­vrir leur beauté, leur richesse, leur com­plex­ité, mais aus­si leur vul­néra­bil­ité. J’ai rapi­de­ment souhaité con­tribuer à la préser­va­tion des forêts trop­i­cales avant qu’il ne soit trop tard, à l’époque où le som­met de la Terre de Rio en 1992 émet­tait de très sérieux sig­naux d’alarme en la matière.

Mar­gaux Durand. J’ai tou­jours trou­vé le monde vivant fasci­nant. Mon intérêt pour les biotech­nolo­gies envi­ron­nemen­tales vient de là : com­pren­dre com­ment le vivant fonc­tionne et s’adapte, et s’en inspir­er pour innover, voire utilis­er des proces­sus naturels pour résoudre nos prob­lèmes, comme la ges­tion de cer­tains déchets ou la syn­thèse de cer­tains com­posés d’intérêt nutri­tion­nel. Soucieuse de con­tribuer à tra­vers mes choix pro­fes­sion­nels à relever l’un des défis de notre généra­tion, j’ai fait un pas de côté pour me con­sacr­er à la bio­di­ver­sité, sans laque­lle aucune biotech­nolo­gie envi­ron­nemen­tale ne serait vrai­ment pos­si­ble. Surtout, enfin, je souhaite vivre dans un monde riche d’êtres vivants en tous gen­res ; la nature est belle et m’apaise, j’ai à cœur de con­tribuer à essay­er de la préserv­er et de la restaurer.

En quoi la formation d’ingénieur pluridisciplinaire est pour toi un atout pour ton engagement en faveur de la biodiversité ? 

Diane Sim­iu. On a beau­coup d’X et d’ingénieurs pour tra­vailler sur les sujets énergie-cli­mat, mais très peu sur les ques­tions de bio­di­ver­sité. Or on a besoin de con­va­in­cre et d’embarquer tous types de pro­fil : des budgé­taires, des écon­o­mistes, des juristes… Il faut être capa­ble d’envisager les sujets de leur point de vue, de par­ler avec leur lan­gage et leurs métriques : une for­ma­tion multi­disciplinaire est un atout important.

Alain Bron­deau. Durant ma dernière année à l’École poly­tech­nique, j’ai eu le plaisir de suiv­re la majeure éco-sci­ences qui abor­dait les ques­tions envi­ron­nemen­tales sous un angle pluridis­ci­plinaire alliant géné­tique, mod­éli­sa­tion des dynamiques de pop­u­la­tion, économie de l’environnement, chimie de l’environnement… Cette approche se révèle par­ti­c­ulière­ment utile pour abor­der des sys­tèmes aus­si com­plex­es que les sys­tèmes vivants. La préser­va­tion de la bio­di­ver­sité implique toutes les com­posantes de la société et du monde économique. Il est très impor­tant pour moi de dia­loguer et négoci­er avec des acteurs dont le cœur de méti­er est par­fois très éloigné du mien, d’avoir des références com­munes. De ce point de vue, ma for­ma­tion ini­tiale d’ingénieur pluridis­ci­plinaire est incon­testable­ment un atout.

“La préservation de la biodiversité implique toutes les composantes de la société et du monde économique.”

Mar­gaux Durand. À l’X la nou­veauté est omniprésente dans nos cur­sus : les cours sont var­iés ; les pro­jets s’enchaînent, mobil­isant des con­nais­sances et des out­ils dif­férents ; les expéri­ences à l’international nous plon­gent dans des cadres eux aus­si dif­férents. Je dirais ain­si que la for­ma­tion pluridis­ci­plinaire me per­met de m’atteler à des prob­lèmes qui sont nou­veaux ou qui parais­sent dif­fi­ciles, car ne pas savoir faire quelque chose ne veut pas dire que l’on ne peut pas appren­dre à le faire, notam­ment en s’appuyant sur d’autres dont les com­pé­tences com­plè­tent les nôtres. C’est directe­ment applic­a­ble dans la con­duite de ma thèse, elle-même pluridis­ci­plinaire. La mesure d’empreinte prend rapi­de­ment de l’ampleur, notam­ment à la suite de l’accord de Kun­ming-Mon­tréal. Elle est à la fron­tière de plusieurs dis­ci­plines, mobil­isant des con­cepts com­plex­es, comme la valeur que l’on donne à la nature. C’est un sujet où la col­lab­o­ra­tion est indis­pens­able, car tous ne sont pas affec­tés de la même manière par l’effondrement de la biodiversité.

Qu’est-ce qui te motive au quotidien ? 

Diane Sim­iu. Quand j’ai cofondé en 2001 le pre­mier « binet envi­ron­nement et nature » de l’X avec des copains de pro­mo, cer­tains de nos cama­rades l’ont immé­di­ate­ment rebap­tisé « binet pâquerettes » : les pro­mos actuelles ne le feraient plus ! Nous recevons un excel­lent accueil des directeurs d’administration cen­trale qui tes­tent actuelle­ment la for­ma­tion des agents publics à la tran­si­tion écologique, qui doit être déployée auprès de 25 000 cadres dirigeants, puis de l’ensemble des agents. Les men­tal­ités changent vite, j’espère qu’elles chang­eront assez vite pour rem­porter notre course con­tre la montre.

“J’ai la chance de pouvoir expliquer à mes enfants ce pour quoi je travaille.”

Alain Bron­deau. Je suis per­suadé que le vivant peut apporter une par­tie des répons­es aux défis majeurs des décen­nies à venir, que ce soit pour notre ali­men­ta­tion, pour la régu­la­tion du cli­mat, notre san­té, les matéri­aux du futur… La bio­di­ver­sité est un for­mi­da­ble réser­voir de solu­tions à notre dis­po­si­tion, à con­di­tion qu’on ne la dilapi­de pas avant même de l’avoir explorée. Aus­si mod­este que soit ma con­tri­bu­tion, j’ai la chance d’aller tra­vailler chaque jour en ayant en tête le sens de ce pour quoi je tra­vaille et de pou­voir l’expliquer à mes enfants.

Mar­gaux Durand. Avoir l’occasion d’échanger et de col­la­bor­er avec des per­son­nes bril­lantes et pas­sion­nées est très moti­vant au quo­ti­di­en. Savoir que mes travaux sont une con­tri­bu­tion à nos efforts col­lec­tifs pour résoudre la crise actuelle de la bio­di­ver­sité l’est également. 

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