Évolution de la biomasse vivante extraite (cultures, bois, chasse et pêche) en France (ligne grise) et dans le monde (ligne orange). Source : Global Material Flows Database, International Resource Panel.

La biodiversité, indispensable à l’existence humaine et à la qualité de vie

Dossier : BiodiversitéMagazine N°786 Juin 2023
Par Diane SIMIU (X00)
Par Éric TROMEUR

La crois­sance économique dans nos sociétés a été fondée sur une exploita­tion tou­jours plus intense de la nature, avec des effets délétères sur la bio­di­ver­sité. Or la réduc­tion de la bio­di­ver­sité a en retour des effets négat­ifs sur l’homme et sur l’économie. Il faut d’abord mesur­er les ser­vices ren­dus par la bio­di­ver­sité, puis inté­gr­er cette mesure dans l’évaluation des poli­tiques publiques et les déci­sions économiques. Mais au-delà il faut chang­er notre rela­tion à la nature si nous voulons sur­vivre dans notre humanité.

Les sociétés humaines dépen­dent de la nature pour des activ­ités essen­tielles comme se nour­rir, se loger, respir­er, se soign­er ou se diver­tir. Pour­tant, les déci­sions poli­tiques ou économiques nég­li­gent encore trop sou­vent les mul­ti­ples ser­vices que nous ren­dent les écosys­tèmes, ce qui con­tribue à l’érosion de la biodiversité. 

Mesurer la valeur de la biodiversité 

Mieux com­pren­dre les mul­ti­ples valeurs de la bio­di­ver­sité reste cepen­dant un défi. Au niveau inter­na­tion­al, l’IPBES (Inter­gov­ern­men­tal Sci­ence-Pol­i­cy Plat­form on Bio­di­ver­si­ty and Ecosys­tem Ser­vices – Plate­forme intergouverne­mentale sci­en­tifique et poli­tique sur la bio­di­ver­sité et les ser­vices écosys­témiques en français, l’équivalent du GIEC en matière de bio­di­ver­sité) a tra­vail­lé à la con­cep­tu­al­i­sa­tion des valeurs de la nature et des ser­vices écosys­témiques. En France, le pro­gramme Efese (éval­u­a­tion française des écosys­tèmes et des ser­vices écosys­témiques), piloté par le Com­mis­sari­at général au développe­ment durable, a pour objec­tif d’éclairer les mul­ti­ples valeurs de la bio­di­ver­sité pour les inté­gr­er dans les déci­sions publiques et privées. 

Une croissance fondée sur l’exploitation de la nature

La crois­sance démo­graphique ain­si que le dévelop­pement économique ont con­duit à une aug­men­ta­tion sans précé­dent de la demande pour les biens issus des écosys­tèmes, notam­ment ceux issus du prélève­ment d’espèces sauvages (pêche mar­itime par exem­ple) ou domes­tiques (agri­cul­ture, éle­vage). Depuis 1970, la pro­duc­tion a aug­men­té dans les secteurs de l’agriculture, de la pêche, des bioén­er­gies et des indus­tries extrac­tives, comme le mon­tre le graphique ci-dessous.

Évolution de la biomasse vivante extraite (cultures, bois, chasse et pêche) en France (ligne grise) et dans le monde (ligne orange). Source : Global Material Flows Database, International Resource Panel.
Évo­lu­tion de la bio­masse vivante extraite (cul­tures, bois, chas­se et pêche) en France (ligne grise) et dans le monde (ligne orange).
Source : Glob­al Mate­r­i­al Flows Data­base, Inter­na­tion­al Resource Panel.

La valeur économique issue de cette exploita­tion directe des écosys­tèmes par l’homme est sig­ni­fica­tive, tout par­ti­c­ulière­ment en France. Par exem­ple, la valeur marchande des cap­tures issues de la pêche mar­itime française dépasse le mil­liard d’euros par an (Efese, 2018). De la même manière, le bois récolté dans les forêts français­es de métro­pole représente une valeur de près de 3 mil­liards d’euros par an (Efese, 2020). 

Le cas de la production agricole

Env­i­ron 50 % de la pro­duc­tion agri­cole végé­tale totale serait imputable à des ser­vices ren­dus par les écosys­tèmes des milieux agri­coles : les micro-organ­ismes et les ani­maux vivant dans les sols con­tribuent à la struc­tura­tion de ces derniers et à la four­ni­ture d’éléments nutri­tifs aux plantes cul­tivées, influ­ent aus­si sur la capac­ité des sols à stock­er l’eau et à la restituer aux végé­taux. Les oiseaux et les insectes qui vivent dans les par­celles cul­tivées régu­lent les pop­u­la­tions de ravageurs. Les insectes pollinisa­teurs, quant à eux, sont indis­pens­ables à cer­taines cul­tures (fruitiers, légumes, oléagineux…) : à lui seul, le ser­vice de pollini­sa­tion des cul­tures présen­tait une valeur com­prise entre 5 % et 12 % de la valeur totale des pro­duc­tions végé­tales des­tinées à l’alimentation humaine française (Efese, 2016). Au total, la valeur de la con­tri­bu­tion des écosys­tèmes à la pro­duc­tion agri­cole française atteint de l’ordre de 10 mil­liards d’euros par an (Efese, 2017).


Lire aus­si : Assur­er la sécu­rité ali­men­taire en préser­vant la biodiversité


Des menaces sur la biodiversité

Cette aug­men­ta­tion de la pro­duc­tion s’accompagne néan­moins de nom­breuses men­aces pour la bio­di­ver­sité, au pre­mier rang desquelles l’artificialisation, la sur­ex­ploita­tion des écosys­tèmes et la pol­lu­tion. Ces men­aces met­tent en péril la capac­ité des écosys­tèmes à répon­dre à la demande des pop­u­la­tions humaines. Par exem­ple, la capac­ité de pêche en Europe est deux à trois fois supérieure à la quan­tité de pois­sons disponibles (Efese, 2018). Elles com­pro­met­tent égale­ment la capac­ité des écosys­tèmes à fournir des ser­vices de régu­la­tion (régu­la­tion du cli­mat, de l’eau, lutte con­tre les incendies ou l’érosion, etc.) et des ser­vices cul­turels, pour­tant essen­tiels à notre bien-être.

Évolution du service de régulation du climat global (panneau de gauche) et du service de rafraîchissement urbain (panneau de droite) en Île-de-France entre 1982 et 2017. Le rouge clair indique une décroissance du service, le rouge foncé indique une forte décroissance. Le bleu indique une augmentation du service. Source : Efese (2021)
Évo­lu­tion du ser­vice de régu­la­tion du cli­mat glob­al (pan­neau de gauche) et du ser­vice de rafraîchisse­ment urbain (pan­neau de droite) en Île-de-France entre 1982 et 2017. Le rouge clair indique une décrois­sance du ser­vice, le rouge fon­cé indique une forte décrois­sance. Le bleu indique une aug­men­ta­tion du ser­vice. Source : Efese (2021)

Des menaces sur les services écosystémiques

On estime par exem­ple qu’environ la moitié des zones humides français­es a dis­paru entre 1960 et 1990 (Efese, 2018), en grande par­tie du fait de l’urbanisation et du développe­ment de l’agriculture. Cette dégra­da­tion s’accompagne inévitable­ment d’un déclin des nom­breuses fonc­tions assurées par ces écosys­tèmes. Ils agis­sent comme des éponges, qui jouent un rôle de tam­pon lors des inon­da­tions et relarguent l’eau en péri­ode de sécher­esse. Ils jouent un rôle de fil­tra­tion de l’eau et per­me­t­tent des économies sur le traite­ment de l’eau potable de l’ordre de 2 000 €/ha.an.

La forêt française, qui con­stitue un puits de CO2 essen­tiel représen­tant près du quart des émis­sions annuelles français­es (Efese, 2018), est men­acée par les sécher­ess­es et les scolytes (coléop­tère creu­sant sous l’écorce des arbres des sys­tèmes de galeries mater­nelles et lar­vaires car­ac­téris­tiques de l’espèce), alors même que la stratégie nationale bas car­bone prévoit un dou­ble­ment du puits de car­bone d’ici à 2050. Le ser­vice de séques­tra­tion de car­bone dans les écosys­tèmes est estimé à 1 500 euros par hectare dans les forêts mét­ro­pol­i­taines (Efese, 2019). Les ser­vices de régu­la­tion du cli­mat glob­al de rafraîchisse­ment urbain présen­tent une nette baisse en Île-de-France entre 1982 et 2017 (voir la fig­ure ci-dessus). 

La multiplication des épidémies

L’érosion de la bio­di­ver­sité est égale­ment asso­ciée à une moin­dre régu­la­tion des pathogènes (CGDD, 2021). En effet, les pres­sions asso­ciées aux activ­ités humaines (urban­i­sa­tion, activ­ités extrac­tives, déforesta­tion, etc.) entraî­nent une per­tur­ba­tion de la bio­di­ver­sité par destruc­tion de ses habi­tats naturels. 

Le ren­force­ment des con­tacts entre les humains, les ani­maux domes­tiques ou d’élevage et la faune sauvage qui en découle favorise le fran­chisse­ment de la bar­rière des espèces par les agents pathogènes et con­tribue ain­si à la nette aug­men­ta­tion du nom­bre d’épidémies d’origine zoono­tique observée ces dernières décen­nies : ain­si, alors qu’avant le XXe siè­cle le monde vivait une pandémie par siè­cle env­i­ron, depuis le début du XXIe siè­cle six émer­gences épidémiques de grande ampleur se sont déjà pro­duites (SRAS, grippe A H1N1, MERS-CoV, Zika, Ebo­la et Covid-19). 

Les zoonoses représen­tent 60 % de toutes les mal­adies infec­tieuses et 75 % des mal­adies infec­tieuses émer­gentes. Le coût de l’inaction, c’est-à-dire le coût des pandémies, est estimé par l’IPBES comme 100 fois supérieur aux coûts de la préven­tion amont, à la source, des risques d’émergence, qui passe par la pro­tec­tion des écosys­tèmes, la restau­ra­tion et la préser­va­tion de la bio­di­ver­sité des habi­tats et des espèces. 

Les services culturels rendus

Enfin les écosys­tèmes ser­vent à des usages de loisirs, avec ou sans prélève­ment, ou à édu­quer ou pro­duire des con­nais­sances (ser­vices « cul­turels »). Une éval­u­a­tion moné­taire des ser­vices cul­turels asso­ciés à la récréa­tion dans les forêts mét­ro­pol­i­taines a fourni une valeur des usages récréat­ifs non marchands des forêts mét­ro­pol­i­taines située entre 13 à 45 mil­liards d’euros par an, ce qui est plus de qua­tre fois supérieur au chiffre d’affaires total de la vente de bois. 

La biodiversité comme patrimoine

La valeur que nous accor­dons à la nature ne dépend pas unique­ment de l’usage que nous en faisons. Par exem­ple, des espèces charis­ma­tiques comme le héris­son con­tribuent certes au fonc­tion­nement de cer­tains écosys­tèmes, mais ce n’est prob­a­ble­ment pas ce qui motive les efforts de con­ser­va­tion de cette espèce. De la même manière, une forêt que nous arpen­tions enfant ou qui est représen­tée dans des pein­tures célèbres pos­sède une valeur dite « pat­ri­mo­ni­ale », ou « relationnelle ». 

Mieux intégrer les valeurs de la biodiversité dans la prise de décision

L’IPBES estime que moins de 5 % des éval­u­a­tions pub­liées rap­por­tent une inté­gra­tion des valeurs obtenues dans les déci­sions poli­tiques. Ce faible pour­cent­age s’explique par le fait que ces éval­u­a­tions ne sont sou­vent pas asso­ciées à un proces­sus d’élaboration d’une poli­tique publique ou que les par­ties prenantes n’ont pas été suff­isam­ment impliquées dans l’évaluation. Les valeurs moné­taires de la nature en par­ti­c­uli­er sont peu pris­es en compte dans les proces­sus de déci­sion. Par exem­ple, l’ensemble des grands pro­jets d’investissement pub­lic sont soumis à une éval­u­a­tion socio-économique oblig­a­toire, per­me­t­tant de soupeser les coûts et les béné­fices à long terme de ces pro­jets (France Stratégie, 2017).

“Assurer la pleine intégration de la biodiversité et de ses multiples valeurs dans les politiques.”

Les coûts asso­ciés intè­grent les effets du pro­jet sur la san­té (valeur sta­tis­tique de la vie humaine, coût des nui­sances sonores, etc.) ou sur le cli­mat (valeur du car­bone). Ces pro­jets, qui peu­vent être des pro­jets d’infrastructure mobil­isant des sur­faces impor­tantes, présen­tent sou­vent un impact résidu­el non nég­lige­able sur la bio­di­ver­sité. Il serait envis­age­able d’intégrer à ces cal­culs socio-économiques des valeurs de référence de cer­tains ser­vices écosys­témiques, comme la séques­tra­tion de car­bone dans les écosys­tèmes ou les ser­vices récréat­ifs en forêt.

Changer la relation à la nature

Pour répon­dre à cette prob­lé­ma­tique, le nou­veau cadre mon­di­al pour la bio­di­ver­sité, adop­té en décem­bre 2022 lors de la COP15 de la Con­ven­tion sur la diver­sité biologique, prévoit d’« assur­er la pleine inté­gra­tion de la bio­di­ver­sité et de ses mul­ti­ples valeurs dans les poli­tiques, les régu­la­tions, les proces­sus de plan­i­fi­ca­tion et de développe­ment (…) à tous les niveaux de gou­verne­ment et à tra­vers tous les secteurs (…) ». Ce n’est cepen­dant pas suff­isant. En effet, un change­ment pro­fond de notre rela­tion à la nature, fondé sur un ren­force­ment des valeurs pat­ri­mo­ni­ales de la nature, est néces­saire afin de sur­mon­ter la crise de la bio­di­ver­sité et ain­si vivre en har­monie avec cette nature (IPBES, 2022).


Bibliographie

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