Musée maritime d'Osaka, Paul Andreu architecte.

Témoignage

Dossier : Les X étrangersMagazine N°559 Novembre 2000
Par Paul ANDREU (58)

Il est un peu embar­ras­sant pour moi de pren­dre la parole parce que je suis cer­tain de mécon­naître large­ment ce qu’est dev­enue l’É­cole poly­tech­nique. Au fond, depuis que je l’ai quit­tée, je ne me suis pas trop soucié de ce qu’elle deve­nait. De plus, depuis, j’ai fait l’é­cole des Ponts (ce qui ne m’a pas beau­coup changé de l’X), puis les Beaux-Arts et comme vous le savez, c’est comme en pein­ture, ce sont surtout les ” dernières couch­es ” qui comptent, c’est pourquoi je me sens finale­ment autant archi­tecte qu’ingénieur des Ponts.

À l’X, je me suis forgé de solides ami­tiés et j’ai dévelop­pé un goût cer­tain pour les sci­ences, mais je ne suis pas sûr de pou­voir en par­ler avec une quel­conque autorité. Cela dit, je suis sou­vent à l’é­tranger pour mon tra­vail. Pour être franc, il est com­pliqué d’ex­pli­quer à des étrangers ce qu’est l’É­cole poly­tech­nique. Quand on avait un prési­dent poly­tech­ni­cien, c’é­tait sim­ple, on dis­ait ” c’est comme lui, comme Gis­card ” et cela se déroulait très bien. En Chine, les ten­ta­tives de présen­ta­tion se ter­mi­nent très sou­vent par Napoléon Bona­parte : il suf­fit d’ex­pli­quer qu’il est pour quelque chose dans cette École et tout le monde trou­ve cela for­mi­da­ble. Cela dit, on ne peut pas dire qu’un mes­sage fort soit passé sur ce qu’est vrai­ment l’É­cole polytechnique.

Il est déjà un peu plus facile de présen­ter l’é­cole des Ponts parce que les étrangers savent ou croient savoir ce qu’on y fait, bien qu’ils se trompent… En Syrie, j’ai eu les plus grandes dif­fi­cultés à faire admet­tre une liste d’ingénieurs poly­tech­ni­ciens et cen­traliens : quand on cher­chait un spé­cial­iste du bâti­ment, je répondais qu’un poly­tech­ni­cien pou­vait tout faire, or tout c’est rien… Tout ceci pour vous mon­tr­er quel est dans le monde le degré d’in­com­préhen­sion sur l’É­cole polytechnique.

Où ai-je ren­con­tré des poly­tech­ni­ciens ? J’en ai ren­con­tré bien sûr au Maroc, en Tunisie, en Iran. En Chine, j’ai ren­con­tré de jeunes énar­ques mais pas de poly­tech­ni­ciens. Au Japon, j’ai plutôt ren­con­tré des gens qui avaient été du côté de l’E­na, pour des stages ou des choses comme cela que des poly­tech­ni­ciens. Sans doute parce qu’au Japon ils pensent que pour les décideurs (moi je vois surtout des sci­en­tifiques et des indus­triels) c’est plutôt de ce côté-là qu’il faut se tourn­er. Vous me deman­dez si j’ai employé des étrangers qui avaient fait Poly­tech­nique sur le motif que nous nous com­pren­dri­ons mieux. Je n’ai pas d’ex­em­ple frappant.

Mais j’aimerais insis­ter sur une chose : je pense qu’il est effec­tive­ment très impor­tant dans un cer­tain nom­bre de secteurs d’avoir des gens qui soient bicul­turels, qui com­pren­nent bien les choses. Mais en même temps, je voudrais aus­si dire qu’il il y a un cer­tain dan­ger à ne pos­séder qu’un ver­nis des deux cul­tures : prenons l’ex­em­ple des Suiss­es dont tout le monde dit qu’ils par­lent trois langues.


Musée mar­itime d’Osa­ka, Paul Andreu archi­tecte. © MASATO IKUTA

Je pense qu’en général ils en par­lent une cor­recte­ment et qu’ils en estropi­ent deux. Ce n’est pas vrai, c’est un men­songe de dire que les Suiss­es par­lent trois langues, c’est cul­turelle­ment faux, ils se débrouil­lent, ils ont rai­son de se débrouiller, mais c’est tout. Je trou­ve qu’il est grave de penser que l’on com­prend la cul­ture des autres.

Moi quand je suis au Japon, j’in­siste tou­jours auprès des Japon­ais pour dire que je suis français, que je ne dis­cute pas comme un Japon­ais, que je ne com­prends pas la men­tal­ité japon­aise, que je la respecte mais que je serai tou­jours un très mau­vais Japon­ais mais un excel­lent Français.

Dans un échange, il faut rester soi-même et ne pas essay­er de singer les autres, donc j’ai une cer­taine méfi­ance à l’é­gard des per­son­nes qui se dis­ent biculturelles.

Bien sûr, il existe de bril­lantes excep­tions, j’en con­nais. Sou­vent ce sont des gens ambi­gus qui croient savoir et qui ne savent pas for­cé­ment. Ils ne nous ren­dent pas tou­jours ser­vice lorsqu’il s’ag­it de faire pass­er un mes­sage. J’ai dans mon méti­er à faire pass­er des mes­sages de pure ges­tion, et si je dois expli­quer qu’un bâti­ment va faire hon­neur à un pays, j’aime autant le dire avec la pas­sion d’un Français qu’avec l’ab­sence d’é­mo­tion de quelqu’un qui serait vague­ment de deux cultures.

Voilà. Mon expéri­ence et mon méti­er m’ont don­né une vision plutôt mit­igée de ce problème. 

Poster un commentaire