Témoignage

Dossier : Les X étrangersMagazine N°559 Novembre 2000Par : Jean-Pierre MÉGNIN (59)

A mes yeux inex­pé­ri­men­tés, le sché­ma direc­teur que j’ai lu pour les dix pro­chaines années et qui, je pense, a été pré­pa­ré par Roland Sénéor est un très beau tra­vail. Il n’y a qu’un point que je trouve un peu moins clair pour ce qui concerne l’ou­ver­ture à l’in­ter­na­tio­nal. J’ai trou­vé très inté­res­sant tout l’in­té­rêt qu’on por­tait à l’en­trée des étran­gers. Je pense que c’est impor­tant mais bien des ques­tions se posent comme on l’a vu au tra­vers de tous les exposés.

Visi­ble­ment, la cible n’est pas assez pré­cise et la manière de pro­cé­der pour avan­cer encore moins. Le suc­cès modeste depuis tant d’an­nées est un signe que nous ne sommes pas dans la seule voie à suivre. Per­son­nel­le­ment, je pré­fère pen­ser à une inter­na­tio­na­li­sa­tion de l’É­cole, non pas seule­ment en l’im­por­ta­tion d’é­lèves étran­gers, mais aus­si et sur­tout en for­mant des hommes et des femmes fran­çais ou étran­gers pour qu’ils déve­loppent leur capa­ci­té à s’ex­por­ter dans le monde entier.

Or, il me semble qu’il y a un obs­tacle. En France, on observe un blo­cage men­tal sur cer­tains points qui paraissent peu impor­tants et qui sont très sou­vent des évi­dences dans les autres pays. Des choses qui sont tel­le­ment peu impor­tantes, que l’on pré­fère » pas­ser des­sus » et adop­ter des demi-mesures, parce qu’on les consi­dère comme déjà réso­lues ou secondaires.

Je vais vous dire par exemple quelles sont chez nous à LVMH les trois exi­gences pre­mières. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres exi­gences par ailleurs, mais disons que c’est la pre­mière chose que nous regar­dons lors­qu’on embauche un cadre pour des postes ulté­rieurs de haut niveau, ce cadre n’é­tant pas for­cé­ment français.

La pre­mière exi­gence, c’est une expé­rience opé­ra­tion­nelle, dans plu­sieurs pays. Là, je vois que les stages pour jeunes, donc les stages humains avec 275 élèves cette année à l’é­tran­ger répondent un peu à cette exi­gence. C’est très bien, mais c’est une réac­tion qui a pris un temps fou à se mettre en place.

La deuxième exi­gence, c’est la connais­sance de plu­sieurs langues étran­gères. Alors, cela éga­le­ment néces­site une immer­sion totale. Quand nous par­lons de connais­sance de langues étran­gères, nous deman­dons à la per­sonne com­bien de temps elle est res­tée dans un pays où l’on parle cette langue. Si elle nous dit qu’elle parle cou­ram­ment l’es­pa­gnol parce qu’elle l’a appris à l’é­cole cela ne nous satis­fait pas. Très sou­vent on se dit, bon, fina­le­ment je » bara­gouine « , donc c’est suffisant.

Les trois quarts du temps quand on n’est pas en immer­sion, on reste en sur­face. L’an­glais quant à lui devrait deve­nir comme une deuxième langue mater­nelle. Il n’est pas ques­tion de consi­dé­rer l’an­glais comme une langue étran­gère ; l’an­glais, c’est la langue du tra­vail, comme le latin au Moyen-âge. On dis­cute tra­vail en anglais. Donc, là je suis à nou­veau éton­né du peu d’im­por­tance que l’on accorde aux langues.

Je pense qu’il y a eu de gros pro­grès à l’en­trée de l’É­cole poly­tech­nique, par rap­port à la situa­tion où était la langue anglaise à l’é­poque où j’y suis entré. Il fau­drait que l’on sache quel est vrai­ment aujourd’­hui le niveau exi­gé au concours d’en­trée. Est-ce qu’il est vrai­ment très éle­vé ? Est-ce que c’est vrai­ment de la conver­sa­tion cou­rante que l’on exige ?

Donc, je ne pense pas que l’É­cole poly­tech­nique ose­ra deman­der aux élèves d’être très forts en anglais, parce que là, on aurait vrai­ment l’im­pres­sion de rabais­ser le niveau intel­lec­tuel moyen. Et je crois que c’est une erreur. Parce que fina­le­ment, la manière de s’ex­pri­mer, c’est une manière d’ex­por­ter son » intel­lect « . À par­tir du moment où vous êtes blo­qués à ce niveau-là, vous avez beau être très fort, très intel­li­gent, votre capa­ci­té à com­mu­ni­quer a des consé­quences désastreuses.

La troi­sième exi­gence, c’est à nou­veau un pro­blème de com­mu­ni­ca­tion le » nec plus ultra « , c’est avoir fait une par­tie de ses études dans un autre pays que le sien. Quand nous pen­sons à des cur­sus inté­res­sants, nous voyons par exemple un mélange comme l’É­cole poly­tech­nique + une busi­ness schoolau Japon + une école de créa­ti­vi­té aux USA, ou un autre » mixte » qui nous paraî­trait pas­sion­nant. » Tiens, ce gars il a fait l’É­cole poly­tech­nique, puis ensuite il est allé faire une busi­ness school au Japon, il y est res­té tant d’an­nées » ; il parle le japo­nais, il revient, il est aux États-Unis, il parle cou­ram­ment l’an­glais, etc. »

Ma der­nière remarque n’est pas une exi­gence ins­pi­rée de LVMH mais pour­rait à nou­veau répondre à ce besoin d’im­mer­sion de nos élèves dans un contexte inter­na­tio­nal. C’est de sus­ci­ter un large apport de pro­fes­seurs et d’en­sei­gnants étran­gers par­lant le fran­çais ou ensei­gnant en anglais. Je sais qu’il existe à Palai­seau, d’a­près ce que j’ai enten­du, une ving­taine d’en­sei­gnants qui pro­fessent en anglais. Je crois que c’est une mesure qu’il serait impor­tant de développer.

Voi­là les quelques com­men­taires que j’a­jou­te­rai aux expo­sés faits aupa­ra­vant. C’est en quelque sorte un peu plus de rapi­di­té dans notre remise en cause des défauts qui, sou­vent, appa­raissent mineurs. Je crois qu’il ne faut pas consi­dé­rer comme secon­daire ces grains de sable qui bloquent nos sys­tèmes. Il y a peut-être moins d’in­té­rêt du Fran­çais de par­ler de langue ou de com­mu­ni­ca­tion. Je pense que la com­mu­ni­ca­tion à l’heure actuelle com­mande tout le reste de nos acti­vi­tés et qu’il faut abso­lu­ment s’y attacher.

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