Îlot nucléaire de l’EPR2.

Stratégie nationale bas carbone : la relance du parc nucléaire français

Dossier : Le nucléaireMagazine N°780 Décembre 2022
Par Gabriel OBLIN (X96)
Par Hervé GRANDJEAN (X02)

Les objec­tifs de décar­bo­na­tion fran­çais amènent à relan­cer le parc nucléaire natio­nal, et c’est EDF qui porte ce pro­jet majeur pour la Nation. L’entreprise a choi­si de s’appuyer sur le réac­teur EPR2, qui prend en compte le retour d’expérience sur les réac­teurs les plus récents. L’organisation du pro­gramme doit per­mettre de retrou­ver l’élan qui a été le nôtre une géné­ra­tion plus tôt.

Pour répondre aux objec­tifs de la Stra­té­gie natio­nale bas car­bone fran­çaise, RTE (Réseau de trans­port d’électricité) a ren­du public fin 2021 six scé­na­rios d’évolution du mix de pro­duc­tion élec­trique, tous com­pa­tibles avec l’atteinte de la neu­tra­li­té car­bone à l’horizon 2050. Ils se répar­tissent en deux familles : d’une part, des scé­na­rios sans construc­tion de nou­veaux réac­teurs nucléaires, qui atteignent le 100 % renou­ve­lable entre 2050 et 2060, en fonc­tion des pos­si­bi­li­tés de main­tien en toute sûre­té d’une par­tie des cen­trales nucléaires exis­tantes ; d’autre part, des scé­na­rios fon­dés sur des mix élec­triques dura­ble­ment com­po­sés d’énergies renou­ve­lables et de nucléaire, qui impliquent le déve­lop­pe­ment par EDF d’un pro­gramme de construc­tion de nou­veaux réac­teurs, dans des pro­por­tions et selon des rythmes variables.

Les choix d’EDF

Pour EDF, l’analyse des dif­fé­rents scé­na­rios montre que les mix élec­triques fon­dés à la fois sur un déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables et sur un socle de 40 à 50 GW de nucléaire pré­sentent des avan­tages éco­no­miques, envi­ron­ne­men­taux et indus­triels cer­tains, par rap­port aux mix élec­triques com­po­sés exclu­si­ve­ment d’énergies renou­ve­lables. Avan­tages éco­no­miques, car les scé­na­rios incluant du nucléaire sont au mini­mum 15 % moins coû­teux que les scé­na­rios sans nucléaire. Avan­tages envi­ron­ne­men­taux, car – outre des émis­sions de 4 grammes de CO2 par kilo­watt­heure pro­duit – le nucléaire a aus­si pour qua­li­té d’être éco­nome en res­sources et en espace, au regard de la puis­sance pro­duite et de la durée de vie des ins­tal­la­tions. Avan­tages indus­triels, car la relance d’un pro­gramme nucléaire per­met de gar­der ouvertes les options d’évolution du sys­tème élec­trique pour les décen­nies à venir, en péren­ni­sant un tis­su indus­triel hau­te­ment qua­li­fié, qui a besoin de pro­jets pour conser­ver ses com­pé­tences. La stra­té­gie d’EDF repose donc aujourd’hui sur un déve­lop­pe­ment impor­tant de nou­veaux moyens de pro­duc­tion élec­triques décar­bo­nés pour être au ren­dez-vous de 2050, d’une part sous la forme d’énergies renou­ve­lables et d’autre part sous la forme d’énergie nucléaire.


Stratégie nationale bas carbone

Pour atteindre la décar­bo­na­tion du sys­tème éner­gé­tique à l’horizon 2050, la Stra­té­gie natio­nale bas car­bone fran­çaise pré­voit à la fois une dimi­nu­tion de 40 % des consom­ma­tions d’énergie du pays (pour pas­ser de 1 600 TWh à 930 TWh) et une sor­tie des éner­gies fos­siles. L’atteinte de ces objec­tifs pas­se­ra donc néces­sai­re­ment par une élec­tri­fi­ca­tion mas­sive des usages (trans­ports, chauf­fage, indus­trie…), s’appuyant sur une pro­duc­tion d’électricité bas car­bone. L’électricité devrait alors repré­sen­ter 55 % du mix éner­gé­tique fran­çais en 2050, contre 25 % aujourd’hui, soit une aug­men­ta­tion de 28 % en volume.


La préparation d’un programme de nouveaux réacteurs nucléaires

Confor­mé­ment à la demande de la Pro­gram­ma­tion plu­ri­an­nuelle de l’énergie de 2018, confor­tée par le dis­cours de Bel­fort du Pré­sident de la Répu­blique le 10 février 2022, EDF est donc enga­gée dans la pré­pa­ra­tion d’un pro­gramme de nou­veaux réac­teurs nucléaires, au nombre de six dans un pre­mier temps, poten­tiel­le­ment com­plé­tés ulté­rieu­re­ment par huit autres, pour les­quels les études sont en cours. La solu­tion tech­nique repose sur le réac­teur dit EPR2, évo­lu­tion de l’EPR, d’une puis­sance de 1 670 méga­watts élec­triques, ce qui per­met à une paire de réac­teurs EPR2 de pro­duire, chaque année, l’équivalent de la consom­ma­tion élec­trique actuelle de la région Nor­man­die, ou encore la moi­tié de la consom­ma­tion élec­trique de la région Île-de-France.

Les six pre­miers EPR2 seraient mis en ser­vice à par­tir de 2035–2037 pour la pre­mière paire et au milieu des années 2040 pour la der­nière paire (chaque site choi­si accueille­rait en effet deux réac­teurs). Ces six uni­tés repré­sentent 10 GW de puis­sance ins­tal­lée, pour une pro­duc­tion d’électricité bas car­bone d’au moins soixante ans. Cette approche repose sur les bonnes pra­tiques qui ont fait le suc­cès de la construc­tion du parc actuel dans les années 1970–1980, en un temps record : la construc­tion par paire, donc, et l’effet de série notam­ment. L’EPR de Fla­man­ville a en effet mon­tré les limites d’une approche par réac­teur unique sur un même site.

Vue du site de Penly intégrant une vue d’artiste des deux tranches EPR2.
Vue du site de Pen­ly inté­grant une vue d’artiste des deux tranches EPR2.

La mobilisation de la filière

Ce pro­gramme per­met­trait aus­si de conso­li­der l’industrie nucléaire, troi­sième filière indus­trielle fran­çaise der­rière l’automobile et l’aéronautique, avec 3 600 entre­prises et 220 000 emplois qua­li­fiés et non délo­ca­li­sables, répar­tis dans la France entière. Dis­po­ser des com­pé­tences pour réa­li­ser ce pro­gramme en qua­li­té, dans les coûts et les délais, est le défi auquel la filière se pré­pare. Pour faire face à la charge de tra­vail repré­sen­tée par ces nou­veaux EPR, la filière repré­sen­te­rait 300 000 per­sonnes à l’horizon 2030, dont la moi­tié – du fait des départs à la retraite – reste à embau­cher dans les années à venir. Ce pro­gram­me de trois paires d’EPR2 géné­re­rait des emplois sur l’ensemble de la filière nucléaire et une grande diver­si­té de métiers : ingé­nie­rie, construc­tion, ser­vices, fabri­ca­tion, usine et exploi­ta­tion. Il mobi­li­se­rait jusqu’à 30 000 emplois par an pen­dant sa phase de construc­tion et envi­ron 10 000 emplois par an pen­dant sa phase d’exploitation. Au-delà, cette filière indus­trielle du nucléaire civil contri­bue direc­te­ment à la réduc­tion du défi­cit de la balance com­mer­ciale, notam­ment en rédui­sant le niveau d’importation et d’utilisation d’énergies fos­siles, qui repré­sentent aujourd’hui les deux tiers de nos besoins en énergie.


Le réacteur EPR2

L’EPR2 est fon­dé sur la tech­no­lo­gie de réac­teur à eau pres­su­ri­sée, la plus répan­due dans le monde. C’est celle uti­li­sée par les 56 réac­teurs en exploi­ta­tion en France et par l’EPR de Fla­man­ville en cours de mise en ser­vice. Au sein des réac­teurs à eau pres­su­ri­sée, l’EPR est un réac­teur de « géné­ra­tion 3 », issu majo­ri­tai­re­ment de la tech­no­lo­gie fran­çaise, sûr, cer­ti­fié et aux per­for­mances amé­lio­rées par rap­port à la pré­cé­dente géné­ra­tion. Le réac­teur EPR2 est ain­si l’un des réac­teurs dont le niveau de sûre­té est par­mi les plus éle­vés au monde. Sa mise en œuvre a d’ailleurs été vali­dée par les auto­ri­tés de sûre­té de quatre pays : la France, la Fin­lande, la Chine et le Royaume-Uni.

Le réac­teur EPR2 est conçu pour être rési­lient au chan­ge­ment cli­ma­tique sur toute sa durée de fonc­tion­ne­ment d’au moins soixante ans. En effet, sa concep­tion tient compte de l’évolution des fac­teurs externes liés au chan­ge­ment cli­ma­tique, par­ti­cu­liè­re­ment les tem­pé­ra­tures d’air et d’eau, les niveaux d’eau en bord de mer et le débit des fleuves. Concer­nant le com­bus­tible, l’EPR2 offre la pos­si­bi­li­té de fonc­tion­ner avec 30 % de com­bus­tibles MOX, issus du retrai­te­ment de com­bus­tibles usés. Les déchets radio­ac­tifs qui seront pro­duits par l’exploitation et la décons­truc­tion des six EPR2 seront quant à eux de même nature que ceux pro­duits par le parc actuel.


La mobilisation des territoires

EDF envi­sage la réa­li­sa­tion de la pre­mière paire d’EPR2 à Pen­ly (Nor­man­die), en bord de mer. Dans un second temps, les deux paires sui­vantes pour­raient être construites à Gra­ve­lines (Hauts-de-France), en bord de mer, et au Bugey ou au Tri­cas­tin (Auvergne-Rhône-Alpes), en bord de rivière. Dans cha­cun des cas, les implan­ta­tions sont envi­sa­gées sur des sites nucléaires exis­tants ou à proxi­mi­té immé­diate. Le choix de ces sites s’appuie sur une série de cri­tères tech­niques, notam­ment la capa­ci­té de refroi­dis­se­ment, l’aléa sis­mique, la sen­si­bi­li­té envi­ron­ne­men­tale, la capa­ci­té d’évacuation de l’énergie pro­duite, ain­si que le fon­cier dis­po­nible. Au-delà de ces cri­tères tech­niques, le sou­tien impor­tant des ter­ri­toires concer­nés, aux dif­fé­rents niveaux des col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales, consti­tue un fac­teur déter­mi­nant dans le choix d’implantation des paires d’EPR2.

Les leçons tirées de Flamanville

Sur le plan des méthodes, l’EPR2 s’inscrit dans une logique d’industrialisation de l’EPR, à par­tir des ensei­gne­ments tirés de la tête de série réa­li­sée à Fla­man­ville. Il s’agit avant tout de faci­li­ter la construc­tion des nou­veaux réac­teurs. La concep­tion du réac­teur intègre ain­si des sim­pli­fi­ca­tions et des opti­mi­sa­tions visant à rendre la construc­tion la plus effi­cace pos­sible. Ces chan­ge­ments de pra­tique trouvent notam­ment leur source dans le plan Excell d’EDF, qui vise à retrou­ver l’excellence de la filière nucléaire française.

“Recruter l’équivalent de 10 % des effectifs de toutes les écoles d’ingénieurs françaises.”

À titre d’exemple, EDF s’est ain­si enga­gée dans une démarche de stan­dar­di­sa­tion des équi­pe­ments des EPR2. Il s’agit de réduire dras­ti­que­ment le nombre de réfé­rences sur des équi­pe­ments pré­sents en grand nombre dans une cen­trale nucléaire (robi­nets, pompes, câble, ins­tru­men­ta­tion…), afin de faci­li­ter la construc­ti­bi­li­té et la main­te­nance des EPR, et de ren­for­cer la visi­bi­li­té offerte aux sous-trai­tants, en les enga­geant sur de plus gros volumes et sur une période longue. Le nombre de réfé­rences sur les robi­nets pas­se­ra ain­si de 13 300 à 1 200 entre l’EPR de Fla­man­ville et l’EPR2.

La mobi­li­sa­tion de l’ensemble des acteurs indus­triels s’est éga­le­ment tra­duite par des actions concrètes (ouver­ture d’une école de sou­dage par exemple) qui font sau­ter ain­si deux des prin­ci­paux écueils mis en évi­dence par le chan­tier de l’EPR de Fla­man­ville : la maî­trise du geste tech­nique au sein de l’ensemble de la chaîne de sous-trai­tance et d’approvisionnement, ain­si que l’érosion des com­pé­tences et les dif­fi­cul­tés de mobi­li­sa­tion sur la durée.

Une gouvernance repensée

La pré­pa­ra­tion de ce pro­gramme de réac­teurs nucléaires s’accompagne d’une gou­ver­nance réno­vée, afin de maî­tri­ser la bonne exé­cu­tion d’un pro­jet qui compte par­mi les plus exi­geants au monde. À la suite de la paru­tion du rap­port de Jean-Mar­tin Folz sur la construc­tion de l’EPR de Fla­man­ville en 2019, qui poin­tait l’absence de maître d’ouvrage bien iden­ti­fié – contrai­re­ment à des pra­tiques usuelles dans d’autres sec­teurs indus­triels met­tant en œuvre de grands pro­jets – EDF et l’État ont ain­si déci­dé de dis­tin­guer, au sein d’EDF, une maî­trise d’ouvrage, incar­née par le pro­gramme « Nou­veau nucléaire France », de la maî­trise d’œuvre, por­tée par le pro­jet EPR2. La maî­trise d’ouvrage, dans une logique busi­ness owner, doit notam­ment contrô­ler l’avance indus­trielle et tech­nique des pro­jets de construc­tion, garan­tir le res­pect des coûts, des délais et de la qua­li­té des EPR, et bien sûr sécu­ri­ser, au niveau euro­péen et avec l’État, la vali­da­tion du cadre juri­dique et finan­cier de ce pro­gramme de plus de 50 mil­liards d’euros ; les équipes de maî­trise d’œuvre sont quant à elles dans une logique de pilo­tage du pro­jet, de réa­li­sa­tion des études, de la pré­pa­ra­tion des sites et de la construc­tion des réacteurs.

Un projet mobilisateur

Le nucléaire a his­to­ri­que­ment per­mis à la France d’être en avance dans la décar­bo­na­tion de son mix élec­trique. La crise éner­gé­tique que tra­verse l’Europe depuis l’été 2021 a ren­for­cé l’impératif de décar­bo­na­tion de nos éco­no­mies à l’horizon 2050, tout en remet­tant en lumière l’importance d’assurer notre sou­ve­rai­ne­té éner­gé­tique. Le pro­gramme « Nou­veau nucléaire France » por­té par EDF, fon­dé sur la tech­no­lo­gie des EPR2, doit per­mettre de faire en trente ans de la France le pre­mier grand pays du monde à sor­tir de la dépen­dance aux éner­gies fos­siles et de sécu­ri­ser à long terme et de manière sou­ve­raine les appro­vi­sion­ne­ments en élec­tri­ci­té du pays. Pour réus­sir, la filière nucléaire doit désor­mais recru­ter dans les années qui viennent l’équivalent de 10 % des effec­tifs de toutes les écoles d’ingénieurs fran­çaises. Gageons que l’X sera au ren­dez-vous de ce défi et appor­te­ra une contri­bu­tion émi­nente au plus grand pro­jet indus­triel fran­çais du XXIe siècle.

Commentaire

Ajouter un commentaire

Pas­calrépondre
5 décembre 2022 à 22 h 04 min

Quid de la dépen­dance à des licences étran­gères genre Wes­tin­ghouse ? Svp

Répondre