Seine-Nord Europe, le maillon manquant d’un réseau fluvial à grand gabarit pour relier le Grand Bassin parisien à l’Europe

Dossier : Les travaux publicsMagazine N°614 Avril 2006
Par Benoît DELEU (84)
Par Nicolas BOUR (73)

Le renouveau du transport fluvial

Le développe­ment impor­tant du trans­port flu­vial en France depuis 1997 (+ 41%) s’est accéléré avec une pro­gres­sion annuelle de + 6,2 % en 2004, qui s’est ampli­fiée en 2005. Cette expan­sion impor­tante, favorisée par des coûts très com­péti­tifs en rai­son de la mas­si­fi­ca­tion des marchan­dis­es que per­met ce mode ain­si que la récente libéral­i­sa­tion du marché répond :

• aux deman­des de fia­bil­ité et de sécu­rité de l’é­conomie mod­erne exigées par les acteurs économiques ;
• aux objec­tifs de report modal vers les trans­ports flu­vi­aux et fer­rovi­aires défi­nis dans les poli­tiques français­es et européennes pour réduire la pres­sion des trans­ports dans l’émis­sion des gaz à effet de serre ;
• aux besoins de la logis­tique mod­erne pour struc­tur­er la mas­si­fi­ca­tion des échanges entre les pôles de pro­duc­tion et les pôles de consommation.

Carte de la liaison Seine-Escaut
Carte de la liai­son Seine-Escaut

En effet, les échanges ont été mar­qués ces dernières années par la pro­gres­sion de la con­teneuri­sa­tion mar­itime et ter­restre des marchandises.

Cette solu­tion per­met de dévelop­per à l’in­térieur du con­ti­nent européen des plates-formes logis­tiques bi ou tri-modales ali­men­tées sur des axes majeurs par la voie d’eau ou le rail, la dis­tri­b­u­tion finale des marchan­dis­es étant réal­isée par la route.

Ces plates-formes se dévelop­pent pro­gres­sive­ment en France. Elles le sont davan­tage dans les pays du nord de l’Eu­rope : par exem­ple en Alle­magne, le port flu­vial de Duis­bourg, sur le Rhin, est le pre­mier port flu­vial mon­di­al et traite annuelle­ment près de 50 mil­lions de tonnes de marchan­dis­es. Il compte en out­re plus de 50 dessertes fer­rovi­aires quo­ti­di­ennes vers plus de 80 des­ti­na­tions européennes. Il con­stitue l’une des plaques tour­nantes de la logis­tique européenne.

La crois­sance du trans­port flu­vial est soutenue dans l’ensem­ble des pays du nord et de l’est de l’Eu­rope. Cette crois­sance a été en 2004 de 3,4 % en Wal­lonie, 4,1 % en Flan­dre, 9,5 % en Alle­magne, 15,9 % en Autriche témoignant du développe­ment et de la moder­nité de ce mode. Au total, 131 mil­liards de tonnes-kilo­mètres sont réal­isés chaque année sur les fleuves et canaux européens1. Le canal Seine-Nord Europe s’in­tè­gre dans une liai­son européenne à grand gabar­it reliant la Seine à l’Escaut et au-delà le Rhin. Cette liai­son met en réseau les prin­ci­paux ports flu­vi­aux et mar­itimes et favorise les échanges de marchan­dis­es intracommunautaires.

Les enjeux de la liaison Seine-Nord Europe

Transport de conteneurs sur la Seine
Trans­port de con­teneurs sur la Seine

Dans un tel con­texte, l’en­jeu économique de la liai­son Seine-Nord Europe dépasse large­ment la seule économie du trans­port de marchan­dis­es. Ce pro­jet s’in­scrit dans un objec­tif de développe­ment des activ­ités logis­tiques indus­trielles autour de grandes plates-formes flu­viales, de la même manière que les fleuves ont été, dans le passé, le point de départ de développe­ment des grandes villes.

La sat­u­ra­tion des infra­struc­tures routières du Benelux entraînée par le trans­port de marchan­dis­es en prove­nance des ports du nord de l’Eu­rope, la con­cen­tra­tion du traf­ic Nord-Sud de marchan­dis­es sur l’au­toroute A1 et la con­ges­tion aux abor­ds du Nord-Pas-de-Calais et de l’Île-de-France néces­si­tent de fournir rapi­de­ment des solu­tions alter­na­tives durables, per­me­t­tant l’a­chem­ine­ment des marchan­dis­es au cœur de ces aggloméra­tions avec le min­i­mum de nuisances.

Une ouverture du bassin de la Seine stratégique pour l’Île-de-France et la Haute-Normandie

Seine-Nord Europe per­me­t­tra la mise en réseau du bassin de la Seine avec l’ensem­ble de l’Eu­rope flu­viale. Out­re les nou­velles pos­si­bil­ités offertes pour les trafics Nord-Sud, ce désen­clave­ment aura aus­si pour effet de ren­forcer la com­péti­tiv­ité de l’of­fre flu­viale pour les trans­ports internes du bassin de la Seine, en Île-de-France ou en Haute-Nor­mandie, grâce à une meilleure capac­ité d’adap­ta­tion de la flotte aux besoins des chargeurs.


Évo­lu­tion du traf­ic flu­vial en Europe de 1990 à 2004 (mil­liards de t‑km)

Le Nord-Pas-de-Calais au cœur de la liaison Seine-Escaut

Naturelle­ment tourné vers le nord de l’Eu­rope, Seine-Nord Europe plac­era le Nord-Pas-de-Calais au cœur de la liai­son flu­viale européenne à grand gabar­it Seine-Escaut. Cette ouver­ture vers le Grand Bassin parisien favoris­era le ray­on­nement du port de Dunkerque et con­tribuera à ren­forcer la dimen­sion européenne du réseau de ports flu­vi­aux, notam­ment la plate-forme delta 3 de Dourges.

Une opportunité pour les territoires le long du canal

Seine-Nord Europe don­nera égale­ment aux ter­ri­toires qui l’ac­cueilleront (la Picardie et l’Ar­tois Cam­bré­sis) l’op­por­tu­nité de dévelop­per leurs atouts et com­pé­tences. En par­ti­c­uli­er, ce pro­jet pour­ra val­oris­er le poten­tiel agri­cole et indus­triel de la Picardie en pro­longeant la dynamique créée par les pôles de com­péti­tiv­ité “indus­trie et agro-ressource”, (notam­ment dans le secteur des éner­gies nou­velles que sont les bio­car­bu­rants), en favorisant une meilleure com­péti­tiv­ité des productions.
Les enjeux portés par le pro­jet de canal Seine-Nord Europe ont con­duit le comité inter­min­istériel d’amé­nage­ment du ter­ri­toire du 18 décem­bre 2003 à inscrire le pro­jet par­mi les 35 infra­struc­tures français­es pri­or­i­taires et le Par­lement et le Con­seil européen, par codé­ci­sion du 21 avril 2004, à inté­gr­er la liai­son européenne Seine-Escaut, dont Seine-Nord Europe con­stitue le mail­lon cen­tral, par­mi les 30 pro­jets pri­or­i­taires du réseau transeu­ropéen de transport.

Les caractéristiques de l’ouvrage, son insertion et l’économie du projet

Le nou­veau canal Seine-Nord Europe répond aux dimen­sions des bateaux flu­vi­aux de dernière généra­tion. Il a été conçu pour per­me­t­tre la nav­i­ga­tion de con­vois de 4 400 t (con­tre 650 t au plus pour le canal du Nord) et le trans­port de trois niveaux super­posés de con­teneurs. Grâce à ces car­ac­téris­tiques, la capac­ité de trans­port du canal pour­ra attein­dre env­i­ron 36 mil­lions de tonnes par an.

Le canal franchi­ra les 106 km séparant Com­piègne du canal Dunkerque-Escaut par une série de 8 march­es d’escalier (bief) séparées par 7 éclus­es (con­tre 21 éclus­es pour le canal du Nord et le canal latéral à l’Oise). Des études paysagères sont con­duites de manière à assur­er l’in­té­gra­tion de l’ou­vrage dans la mor­pholo­gie car­ac­térisant les paysages de la Picardie et du Nord-Pas-de-Calais. Les principes retenus visent à respecter les pentes des ter­rains en priv­ilé­giant notam­ment les dépôts de faibles pentes qui seront resti­tuées à l’ex­ploita­tion agri­cole après recon­sti­tu­tion des car­ac­téris­tiques agronomiques des sols.

Le pro­jet de canal Seine-Nord Europe intè­gre depuis les pre­mières phas­es d’é­tudes l’ensem­ble des aspects envi­ron­nemen­taux. Cela a con­duit à l’is­sue des études prélim­i­naires au choix du fuse­au qui présente, par rap­port aux autres fuse­aux envis­agés au départ, les avan­tages d’une meilleure inser­tion dans l’en­vi­ron­nement. En effet ce fuse­au s’é­carte très large­ment des fonds de val­lée et des zones habitées. En con­séquence, son impact sur le pat­ri­moine naturel et con­stru­it est assez limité.

Plusieurs enjeux envi­ron­nemen­taux ont été pris en compte dans la con­cep­tion du projet :
• au sud de Noy­on, dans la val­lée de l’Oise, le canal longe un site Natu­ra 2000. La réu­til­i­sa­tion du canal exis­tant per­met de réduire l’im­pact sur ce secteur remarquable ;
• entre Péronne et Nesle, le canal passe à flanc de coteau, ce qui per­met d’éviter la val­lée de la Haute-Somme, très riche d’un point de vue écologique. La tra­ver­sée de la Somme, à l’ouest de Péronne est un point sen­si­ble d’un point de vue hydraulique et écologique. Le fran­chisse­ment en pont-canal con­tribue très large­ment à la préser­va­tion des con­di­tions hydrauliques et le main­tien de la qual­ité biologique des étangs ;
• la val­lée de la Sen­sée et l’ensem­ble des milieux humides asso­ciés sont des élé­ments majeurs de la diver­sité biologique du secteur nord du fuse­au. Le tracé retenu évite ces milieux.

L’al­i­men­ta­tion en eau du canal a été conçue en évi­tant de prélever dans la ressource en péri­ode d’é­ti­age sévère, deux bassins de retenue d’un vol­ume de 14 mil­lions de mètres cubes per­me­t­tront d’as­sur­er l’al­i­men­ta­tion en eau avec des péri­odes de retour de soix­ante-cinq ans, garan­tis­sant ain­si la fia­bil­ité du trans­port en respec­tant la qual­ité hydro­bi­ologique des riv­ières. Par ailleurs, la con­cep­tion du canal et du sys­tème de pom­page asso­cié à chaque écluse per­met égale­ment le trans­port d’eau et la four­ni­ture d’ag­gloméra­tions impor­tantes comme Lille et Lens-Liévin : un prélève­ment de l’or­dre de 1 m3/s est en effet pos­si­ble à par­tir de l’Oise une grande par­tie de l’année.

Les per­spec­tives de traf­ic envis­agées sur ce nou­veau canal sont de plus de 17 mil­lions de tonnes par an à l’hori­zon 2020 dont env­i­ron 300 000 con­teneurs2. Trois caté­gories de fil­ières sont directe­ment con­cernées : les fil­ières de vracs solides et liq­uides (céréales et matéri­aux de con­struc­tion), la fil­ière de con­teneurs mar­itimes et ter­restres, dont le trans­port par voie flu­viale est en plein développe­ment pour accom­pa­g­n­er la crois­sance annuelle de 8 % du trans­port mar­itime de con­teneurs depuis dix ans, et les ” nou­velles ” fil­ières (déchets, chimie, caisse mobile et col­is lourds).

L’ex­is­tence du canal Seine-Nord Europe accroît le traf­ic flu­vial annuel sur le cor­ri­dor Nord-Sud de 11,4 mil­lions de tonnes. Cette crois­sance est due pour 7 mil­lions de tonnes aux trafics détournés de la route. Dans le détail, les marchan­dis­es non con­teneurisées représen­tent 5,8 mil­lions de tonnes (50 % de gran­u­lats et 27 % de pro­duits agri­coles). La part actuelle du mode fer­rovi­aire de 18 mil­lions de tonnes serait en 2020 avec le pro­jet Seine-Nord Europe de 34 mil­lions de tonnes après trans­fert de 3,2 mil­lions de tonnes (essen­tielle­ment des gran­u­lats et des pro­duits agri­coles) vers la voie d’eau.

Le canal Seine-Nord Europe induira un développe­ment de l’ac­tiv­ité flu­viale des ports de la rangée Manche-mer du Nord sans mod­i­fi­er la répar­ti­tion des parts de marché entre ces ports : la mise en ser­vice de la liai­son aug­mentera la part du traf­ic flu­vial dans la desserte des ports français de près de 3 points sur les trafics non-con­teneurisés et de 11 points pour les trafics conteneurisés.


Alimentation en eau du canal Seine-Nord Europe
L’al­i­men­ta­tion en eau du canal Seine-Nord Europe

L’avant-projet : une phase d’étude et de concertation

Dans un objec­tif de meilleur partage de l’in­for­ma­tion, les phas­es d’é­tudes et de con­cer­ta­tion ont été con­duites de façon simul­tanée, afin d’in­té­gr­er dans un délai très court les avis exprimés par les acteurs con­cernés (élus, asso­ci­a­tions, acteurs insti­tu­tion­nels et socioé­conomiques). Cette démarche a per­mis d’é­tudi­er et de sélec­tion­ner, dans les délais impar­tis, les options de con­cep­tion du projet.

Le dis­posi­tif de con­cer­ta­tion s’est artic­ulé autour de qua­tre volets :

 l’in­scrip­tion de l’ou­vrage dans les ter­ri­toires (le tracé), avec les élus, à l’échelle des intercommunalités ;
• les ques­tions hydrauliques dans les val­lées de l’Oise, de la Somme et de la Sen­sée, avec les élus, les admin­is­tra­tions et les associations ;
• les ques­tions de développe­ment économique, avec les élus et les respon­s­ables économiques à l’échelle des qua­tre grands ter­ri­toires (Oise aval, Oise amont, Somme-Aisne et Nord-Pas-de-Calais), ain­si que les aspects logis­tiques, avec les représen­tants de deux des fil­ières stratégiques que sont les céréales et les matéri­aux de construction ;
• les ques­tions fon­cières et agri­coles avec la mise en place d’une instance de liai­son com­posée des qua­tre cham­bres d’a­gri­cul­ture de l’Oise, de la Somme, du Pas-de-Calais et du Nord.

Au total, près de 70 réu­nions publiques et de con­cer­ta­tion ont eu lieu entre le 11 mars et le 19 octo­bre 2005. Menées de manière con­comi­tante aux études, ces réu­nions ont con­tribué à la déf­i­ni­tion du tracé du canal.

Des opportunités économiques pour un partenariat innovant

La per­spec­tive de con­duire le pro­jet de canal Seine-Nord Europe dans le cadre de la procé­dure de con­trat de parte­nar­i­at pub­lic-privé four­nit des pos­si­bil­ités de dévelop­per, au-delà de la sim­ple créa­tion d’une nou­velle infra­struc­ture, une offre glob­ale de ser­vices de trans­port. C’est le sens de l’in­clu­sion des plates-formes por­tu­aires et indus­trielles dans le périmètre de l’en­quête publique. Après les emplois créés durant la con­struc­tion de l’ou­vrage, la péren­nité d’emplois à long terme asso­ciés au développe­ment durable des activ­ités liées au canal sera ain­si assurée.

La solu­tion d’un con­trat de parte­nar­i­at pub­lic-privé pour la réal­i­sa­tion du canal Seine-Nord Europe est par­ti­c­ulière­ment adap­tée à l’am­pleur de l’ou­vrage, tant du point de vue de son périmètre que des car­ac­téris­tiques de long terme et de son financement.
Cette approche nou­velle a été inscrite dans l’or­gan­i­sa­tion des études pour y inté­gr­er des com­posantes essen­tielles de l’ap­proche du con­trat de parte­nar­i­at, c’est-à-dire celle de l’é­val­u­a­tion des risques.

La déf­i­ni­tion des activ­ités annex­es déjà évo­quées avec les plates-formes por­tu­aires et le trans­fert d’eau vers la région Nord-Pas-de-Calais con­stitue une étape car­ac­téris­tique de la con­sol­i­da­tion du pro­jet pour en pré­cis­er le périmètre, l’or­gan­i­sa­tion, ain­si que la répar­ti­tion et le mode de finance­ment entre les parte­naires publics et privés.

Ensuite, la déf­i­ni­tion plus pré­cise du pro­jet, au niveau de l’a­vant-pro­jet détail­lé, doit per­me­t­tre aux parte­naires privés de s’en­gager sur le coût et le délai de con­struc­tion ain­si que sur les objec­tifs de per­for­mance de l’ex­ploita­tion de la liai­son au sein de la liai­son européenne Seine-Escaut.

Sachant que l’un des enjeux majeurs du pro­jet, avec le trans­fert modal, est de s’as­sur­er que l’ensem­ble de la liai­son per­me­t­tra de dévelop­per une économie plus ouverte sur l’Eu­rope et que la France béné­ficiera ain­si de cette économie d’échange et de trans­for­ma­tion par un ren­force­ment de l’of­fre logis­tique, les dif­férents acteurs de la chaîne logis­tique notam­ment les opéra­teurs por­tu­aires ani­meront ce nou­veau réseau pour créer une valeur ajoutée au trans­port de marchan­dis­es et ne pas réduire l’ou­vrage à des activ­ités de transit.

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1. La total­ité des trafics intérieurs de marchan­dis­es dans l’Eu­rope des Quinze effec­tués par la route, le rail, la voie d’eau, les con­duites (pipelines) et le trans­port mar­itime est d’un peu plus de 3 167 mil­liards de tonnes-kilo­mètres. 1 454 mil­liards sont réal­isés par la route, 1 262 mil­liards par le trans­port mar­itime à courte dis­tance, 236 mil­liards par le rail, 131 mil­liards par la voie d’eau et 84 mil­liards par les pipelines.
2. À titre de com­para­i­son, le port de Rouen a traité en 2004 20 mil­lions de tonnes de marchandises.

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