Robert PIRON (37) 1916–2004

Dossier : ExpressionsMagazine N°597 Septembre 2004Par : Jean-Claude LEVY (37) et Claude INK (49)

C’est à l’É­cole poly­tech­nique que j’ai con­nu Robert Piron qui devait devenir le mari de ma sœur Denise. Ce n’é­tait pas un poly­tech­ni­cien comme les autres, ceux qui avaient fait des études sec­ondaires, passé leur bachot, et qui, s’ils étaient forts en math, se présen­taient aux grandes écoles.

Robert est l’un des rares ingénieurs qui ont été élèves des Arts et Métiers puis de l’É­cole poly­tech­nique. Devenu un ingénieur de haut rang, il savait ce que c’é­tait de ” met­tre la main à la pâte “.

Poussé par la lim­ite d’âge, n’é­tant même pas bache­li­er, il lui avait fal­lu pré­par­er son con­cours d’en­trée en une seule année. Un drame devait encore le boule­vers­er dans son tra­vail : son père Auguste Piron, directeur au Mans d’une école de for­ma­tion du per­son­nel des Chemins de fer, avait été assas­s­iné par l’un de ses élèves, un déséquili­bré qu’il avait essayé de protéger.

Mal­gré cela il est entré à l’X pour en sor­tir dans le corps des ingénieurs du Génie maritime.

Nous étions, comme cela se dit dans l’ar­got de l’É­cole, ” cocons de salle ” et avons vite sym­pa­thisé. Je lui dois beau­coup car nous avons tra­vail­lé ensem­ble et il savait, quand je me met­tais à rêvass­er, me rap­pel­er à la réalité.

Comme il n’avait pas de famille à Paris, nous le rece­vions à la mai­son. Un jour, alors que nous étions ensem­ble dans le train pour aller vis­iter la cathé­drale de Chartres, je lui fais part de mon pro­jet de faire avec ma sœur le tour des châteaux de la Loire. J’at­tendais sa réponse : Est-ce que je peux venir avec vous ? Naturelle­ment oui !

Le reste s’est passé à bicy­clette le long de la Loire alors que je roulais un peu en avant.

Ensuite il y a eu la guerre ; Robert devait par­tir en croisière sur la Jeanne d’Arc et naturelle­ment la croisière a été décom­mandée. Les deux écoles d’ap­pli­ca­tion : Génie mar­itime, celle de Robert, et Artillerie navale, la mienne, ont été repliées à Lorient.

Un autre prob­lème devait alors se pos­er, risquant de retarder l’u­nion : la fiancée qui venait de pass­er son agré­ga­tion d’alle­mand était affec­tée au lycée de Saint-Quentin.

Le mariage a eu lieu à Lori­ent dans l’in­tim­ité, en octo­bre 1939. Les jeunes époux pou­vaient se voir tous les week-ends à Paris mais c’est avec moi que Robert s’est mis en ménage. Il m’aimait bien mais il aurait préféré autre chose.

Ayant ter­miné son école d’ap­pli­ca­tion, il est affec­té aux ate­liers d’In­dret près de Nantes où il est rejoint par son épouse enceinte accom­pa­g­née de sa mère. Elle avait quit­té Saint-Quentin le 11 mai 1940 par le dernier train par­ti avant l’ar­rivée des Allemands.

Il n’a pas pu atten­dre la nais­sance de son enfant. Embar­qué sur un navire chargé d’ex­plosifs à des­ti­na­tion du Maroc, nav­iguant dans une mer infestée de mines et sous la men­ace des avions alle­mands, il s’est retrou­vé à Bis­car­rosse pour ensuite se ren­dre à Toulon.

Il n’a retrou­vé que plus tard sa femme et son enfant, Hélène, déjà âgée de six mois.

Au cours de ses mul­ti­ples déplace­ments pen­dant cette péri­ode trou­blée, il a été suivi, en plus de sa femme et ses deux enfants, par ses beaux- par­ents. Olivi­er est né à Lyon en 1942. Comme il était alors mal­sain et même dan­gereux de s’ap­pel­er Lévy ou encore de vivre sous une fausse iden­tité, ce que ses beaux-par­ents ont bien été oblig­és de faire, il les cou­vrait de son nom prenant pour lui-même un risque certain.

Il devait me dire un jour que, s’il arrivait mal­heur à sa femme et à ses enfants, il entr­erait dans les ordres. Grâce à lui, ce mal­heur a été évité. Isabelle et Vin­cent sont nés à Paris après la guerre.

Ce n’est pas au ser­vice de l’É­tat mais dans la grande indus­trie métal­lurgique que Robert Piron devait don­ner toute sa mesure. Engagé à la Société lor­raine de lam­i­nage con­tinu (Sol­lac), il en est devenu l’un des directeurs. Son œuvre maîtresse est la con­struc­tion des grands laminoirs de Thionville.

Sig­nalons aus­si ses études sur un min­erai pau­vre de Lor­raine, la ” minette “, qui auraient pu en per­me­t­tre l’ex­ploita­tion si des con­sid­éra­tions générales d’é­conomie n’en avaient décidé autrement.

Ses col­lègues, eux-mêmes de gros tra­vailleurs dont il était aimé, étaient stupé­fiés par sa puis­sance de travail.

Père de qua­tre enfants, grand-père, arrière-grand-père, ayant bril­lam­ment réus­si sa vie pro­fes­sion­nelle, après une longue et heureuse exis­tence il s’est éteint pais­i­ble­ment sans souf­frances, entouré de l’af­fec­tion de tous les siens. 

Jean-Claude Lévy (37)

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Quand dans les années cinquante, soix­ante je rejoig­nis, avec d’autres jeunes gens, la Lor­raine pour par­ticiper à l’une des aven­tures indus­trielles les plus pres­tigieuses d’après-guerre, la con­struc­tion de Sol­lac, fleu­ron de la Sidérurgie française, Robert Piron, qui était l’un des tout pre­miers ” aven­turi­ers “, avait déjà sa légende.

On savait que l’u­sine toute neuve, fruit du Plan Mar­shall, aurait la puis­sance élec­trique la plus mod­erne du monde de l’aci­er et que Robert Piron (X 37, mais aus­si Gad’z’Arts, et G.M.) y con­sacrait ses jours et une bonne par­tie de ses nuits.

On le dis­ait dis­trait, en fait, il ne l’é­tait pas, mais tout entier con­cen­tré, aspiré, presque englouti par le prob­lème qu’il avait à traiter.

Pen­dant toute sa vie indus­trielle, je ne l’ai jamais vu quit­ter, ne serait-ce que quelques instants, ce prob­lème que dans trois cas :

  • . pour sa famille — encore qu’elle devait se con­tenter de brèves présences,
  • pour la musique,
  • ou, plus sou­vent, pour un prob­lème plus difficile.


Tenace, il ne l’a­ban­don­nait que résolu, et ses col­lab­o­ra­teurs savent quelles recherch­es, quelles angoiss­es, quelles heures de dur tra­vail il leur fal­lait affron­ter pour y arriver.

Et il n’y avait pas plusieurs solu­tions, mais une seule, la meilleure, la plus mod­erne. Il la traquait partout, et sans souci de l’heure ou de la date, sur le ter­rain, dans son bureau, en Europe, aux USA, au Japon.

Et c’est ain­si que Sol­lac (tant en Lor­raine qu’à Fos-sur-Mer) finit par béné­fici­er, en élec­tric­ité, en élec­tron­ique, puis en infor­ma­tique de ce qu’il y avait de mieux au monde industriel.

Et c’est ain­si, que la Lor­raine, que les lois de l’é­conomie con­damnaient à ne plus être un pro­duc­teur d’aci­er liq­uide, pou­vait con­tin­uer encore de longues années à rester dans la course.

Recon­nais­sance de ses pairs, après la direc­tion générale de Sol­lac, le prési­dent de Sacilor de l’époque, Jacques May­oux, en fai­sait son vice-président.

Sa famille, ses enfants, ses petits-enfants ont enfin pu prof­iter pleine­ment, après sa retraite, de sa générosité, de sa curiosité et de sa fantaisie.

Mais main­tenant qu’il repose en Paix, beau­coup de femmes et d’hommes des usines lor­raines ou phocéennes qui ont la chance, après les grandes tem­pêtes sidérurgiques, d’avoir con­servé un emploi dans ce qui est devenu l’une des pre­mières entre­pris­es mon­di­ales (Arcelor), doivent savoir qu’ils le doivent en par­tie à son engage­ment, à sa com­pé­tence, et à sa ténacité. 

Claude Ink (49)

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