Richard Strauss : Ariane à Naxos

Richard Strauss : Ariane à Naxos

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°786 Juin 2023
Par Marc DARMON (83)

Ari­ane à Nax­os est l’opéra com­posé par Strauss juste après Le Cheva­lier à la rose. Comme celui-ci, il est dans un style bien plus acces­si­ble que les deux opéras qui l’ont précédé, Elek­tra et Salomé, et par­ti­c­ulière­ment orig­i­nal. Le pro­logue met en scène un Com­pos­i­teur qui se fait impos­er jusqu’à la mort, par un com­man­di­taire ignare et pressé, de mélanger son opera seria, qui relate les lamen­ta­tions d’Ariane aban­don­née sur l’île de Nax­os par Thésée, avec un opéra bouffe faisant inter­venir les per­son­nages de la com­me­dia dell’arte. Puis l’opéra lui-même mélange effec­tive­ment l’appel à la mort d’Ariane, puis son chant d’amour avec Bac­chus venu la sauver, avec les amourettes de Zer­bi­nette, Scara­mouche et Arle­quin. Cette trame est le sup­port d’une des plus belles musiques de Strauss et d’un des plus fins textes de son libret­tiste de l’époque, le grand dra­maturge Hugo von Hofmannsthal.

L’opéra créé à Vienne est devenu un clas­sique vien­nois. Cette soirée vien­noise présen­tée sur ce DVD est don­née à l’occasion du cent cinquan­tième anni-ver­saire du com­pos­i­teur en 2014. La mise en scène est inven­tive (le com­pos­i­teur accom­pa­gne au piano le grand air de Zer­bi­nette par exem­ple) et con­trastée comme il est néces­saire pour ce mélange de com­me­dia dell’arte et de drame romantique.

Musi­cale­ment, c’est somptueux, à tous points de vue. Les qua­tre artistes prin­ci­paux (Ari­ane, Bac­chus, Zer­bi­nette, le Com­pos­i­teur) sont absol­u­ment exemplaires.

Le regret­té Johan Botha, tombé malade un an après ces représen­ta­tions, joue un Bac­chus héroïque, mal­gré la musique maniérée que Strauss attribue à ses ténors. En effet le com­pos­i­teur donne tou­jours aux per­son­nages mas­culins qu’il aime une tes­si­ture grave (Oreste, Iokanaan, Mandry­ka…) et con­fie le rôle de ténor à des per­son­nages mièvres ou faibles (Hérode, Égis­the, et ici Bac­chus…). La sopra­no fin­landaise Soile Isokos­ki qui chante ici mag­nifique­ment Ari­ane s’est retirée de la scène peu après également.

En Zer­bi­nette, la jeune et pim­pante Daniela Fal­ly, dont les col­oratures ver­tig­ineuses sem­blent couler sans effort de sa gorge, est bril­lante, alliant une grande sou­p­lesse avec une coquet­terie dés­in­volte. Et la mez­zo française Sophie Koch est remar­quable dans le rôle du Com­pos­i­teur qui est un de ses plus grands rôles. Le reste de la dis­tri­b­u­tion est le meilleur stan­dard viennois.

Pour­tant, la star de la soirée est sur le podi­um : Chris­t­ian Thiele­mann est con­sid­éré à juste titre comme un des meilleurs chefs d’orchestre straussiens aujourd’hui et dirigeait para­doxale­ment Strauss ce soir-là pour la pre­mière fois à l’Opéra de Vienne. Même les pre­mières mesures élas­tiques du prélude mon­trent la voie de l’extrême trans­parence que le chef a choisie. Aucun détail n’est nég­ligé et il faut admir­er la ten­sion qu’il retire d’un orchestre de 35 musi­ciens. En effet son orchestre, léger et « cham­briste », est très bien enreg­istré. Par exem­ple les bois qui indiquent les sen­sa­tions et les émo­tions (le désir de Zer­bi­nette…) envelop­pent par­faite­ment les chanteurs.

On a sou­vent van­té dans ces rubriques com­ment le DVD per­met désor­mais de ressen­tir chez soi des émo­tions qui se rap­prochent du con­cert. Voir les musi­ciens, le chef d’orchestre, le pub­lic apporte une sen­sa­tion de réal­isme que n’offrait pas le disque. Et naturelle­ment pour l’opéra l’apport du DVD est encore plus remar­quable. Prof­iter de la mise en scène et du jeu des acteurs dans des décors pen­sés pour le spec­ta­cle est irrem­plaçable. Cette pro­duc­tion d’Ari­ane à Nax­os de Strauss à Vienne en 2014 en est un par­fait exemple.


S. Isokos­ki, J. Botha, D. Fal­ly, Opéra de Vienne, Chris­t­ian Thielemann

1 DVD ou 1 Blu-ray Arthaus

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