RGREEN INVEST : « Il est urgent d’accélérer le passage à l’échelle des projets d’hydrogène vert »

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°780 Décembre 2022
Par Nicolas ROCHON

Nico­las Rochon, prési­dent fon­da­teur de RGREEN INVEST, accom­pa­gne depuis plus de 20 ans les entre­pre­neurs du secteur des éner­gies renou­ve­lables et de l’infrastructure dans le développe­ment de pro­jets des­tinés à ren­forcer notre résilience face au change­ment cli­ma­tique. Dans cet entre­tien, il dresse un état des lieux du poten­tiel de développe­ment de l’hydrogène vert qui s’impose de plus en plus comme une des solu­tions pour rem­plac­er les éner­gies fossiles.

Comment est née RGREEN INVEST ?

RGREEN INVEST est une société de ges­tion indépen­dante spé­cial­isée dans le finance­ment de la tran­si­tion énergé­tique. Depuis plus de dix ans, nous pro­posons des solu­tions finan­cières adap­tées aux pro­jets visant l’atténuation et l’adaptation au change­ment cli­ma­tique. Au début des années 2000, j’avais codévelop­pé la Finan­cière de Cham­plain, une société de ges­tion qui était alors pio­nnière sur la ges­tion de fonds dédiés à la pro­tec­tion de l’environnement. Nous inter­ve­nions auprès d’acteurs cotés en Bourse. En 2009, j’ai cédé mes parts pour créer le groupe RGREEN avec l’ambition d’avoir un impact plus fort sur les enjeux de la tran­si­tion énergé­tique en ayant une rela­tion directe avec les entrepreneurs. 

Concrètement, comment se traduit la vision de RGREEN INVEST ? 

Nous sommes avant tout une société de ges­tion dédiée aux entre­pre­neurs dont la voca­tion est d’accélérer la tran­si­tion énergé­tique. Notre ambi­tion est de garan­tir le meilleur aligne­ment pos­si­ble des intérêts des entre­pre­neurs et des investis­seurs. Ain­si, dans le cadre de nos investisse­ments, nous sommes le plus sou­vent minori­taires, car nous sommes con­va­in­cus que l’entrepreneur doit rester maître de ses déci­sions, de son entre­prise et de son développement. 

L’hydrogène va être amené à jouer un rôle important en matière de décarbonation des usages et des industries, mais aussi pour lutter contre le réchauffement climatique. Qu’en est-il ?

L’hydrogène est, en effet, une source de beau­coup d’espoir. Dans un con­texte d’urgence cli­ma­tique, nous dis­posons d’un levi­er d’action extra­or­di­naire dans le cadre de la décar­bon­a­tion des proces­sus indus­triels. A l’heure actuelle, plusieurs de ces proces­sus utilisent quan­tité d’hydrogène « gris » (à base de gaz ou de char­bon) en tant que réac­t­if pour des usages tels que la pro­duc­tion d’ammoniac et de ce fait d’engrais néces­saires à l’agriculture, la pro­duc­tion de méthanol pour la chimie, le raf­fi­nage et la désul­fu­ra­tion de pro­duits pétroliers et demain la pro­duc­tion de fuel/biofuels syn­thé­tiques, ou encore la pro­duc­tion d’acier vert. 

L’enjeu décisif à court terme est d’arriver à pro­duire mas­sive­ment un hydrogène « vert » à par­tir d’énergies renou­ve­lables, et ce afin de décar­bon­er au max­i­mum ces proces­sus. Il existe aus­si un enjeu long terme de l’hydrogène comme vecteur dans le domaine du stock­age d’énergie, du trans­port de marchan­dis­es, mais égale­ment de manière plus prospec­tive du trans­port col­lec­tif de per­son­nes. À not­er cepen­dant qu’au-delà du ren­de­ment énergé­tique qui reste tout de même lim­ité en matière de stock­age d’énergie, cer­taines études récentes iden­ti­fient le dihy­drogène comme un gaz à effet de serre indi­rect en cas de fuites, car il aurait, entre autres, la pro­priété de pro­longer la durée de vie du méthane dans l’atmosphère. C’est une per­spec­tive certes promet­teuse, mais complexe.

Sur un plan financier, de quelles façons les acteurs financiers peuvent-il accélérer le passage à l’échelle de l’hydrogène ?

Aujourd’hui, il y a de plus en plus d’investisseurs qui veu­lent financer des pro­jets en lien avec l’hydrogène. Toute­fois, il n’y a pas encore suff­isam­ment de pro­jets de généra­tion d’hydrogène vert à l’échelle req­uise. Le frein n’est pas pour autant tech­nologique, car nous dis­posons des briques tech­nologiques pour pro­duire de l’hydrogène vert à par­tir d’énergies renou­ve­lables. Cepen­dant, un sys­tème de garanties pro­posé par l’État et les dif­férents organ­ismes publics est indis­pens­able pour anticiper les investisse­ments dans ce secteur et élim­in­er ce qui retarde le red­i­men­sion­nement de cer­tains pro­jets qui n’ont pas trou­vé d’équilibre économique. 

Dans cette démarche, quels sont les enjeux mais également les opportunités pour les investisseurs ?

Ils doivent d’abord bien cern­er et com­pren­dre les futurs usages de l’hydrogène pour iden­ti­fi­er les acteurs crédi­bles et en capac­ité de dévelop­per des infra­struc­tures durables. En effet, dans un nou­veau secteur, il y a tou­jours dif­férents choix à faire : Faut-il priv­ilégi­er les méga pro­jets, les démarch­es locales ancrées dans les ter­ri­toires ? Est-ce que le mod­èle pro­posé est vertueux, sûr et durable ? Per­met-il réelle­ment une économie de CO2e ?

Quelles sont les caractéristiques des projets qui retiennent votre attention ? 

Comme pre­mière étape, nous avons investi dans un des pre­miers pro­jets liés à la mobil­ité en Europe, dans une société de taxis à hydrogène dotée d’un busi­ness mod­el résilient et qui opère notam­ment à Paris. Nous sommes aus­si en train de finalis­er un investisse­ment dans un pro­jet insu­laire français. Toute­fois, actuelle­ment, il est dif­fi­cile de trou­ver des pro­jets per­for­mants d’un point de vue envi­ron­nemen­tal tout en étant viables économique­ment ou à l’échelle. Pour être com­péti­tif sur le seg­ment de l’hydrogène vert, il faut dévelop­per des pro­jets de taille sig­ni­fica­tive. Cela demande des fonds, un emplace­ment qui per­me­tte d’avoir accès à une pro­duc­tion d’énergies renou­ve­lables d’une cer­taine taille, une sécuri­sa­tion du proces­sus, depuis la pro­duc­tion de l’électron jusqu’à sa trans­for­ma­tion en hydrogène vert, et, in fine un client qui est prêt à s’engager sur un prix et des vol­umes impor­tants. En par­al­lèle, nous étu­dions en pri­or­ité des pro­jets totale­ment aut­o­fi­nancés par le privé qui ne reçoivent pas d’aides publiques. 

Selon vous, quelles sont les conditions de succès du Plan Hydrogène en Europe, et quels sont aussi les défis majeurs qu’il faudra surmonter ?

L’hydrogène est claire­ment iden­ti­fié comme un chaînon du suc­cès de la tran­si­tion énergé­tique. Pour franchir le cap, une action poli­tique est essen­tielle. C’est aujourd’hui que se des­sine notre mix énergé­tique et l’organisation de notre indus­trie pour les 50 prochaines années, et il faut pou­voir s’appuyer sur un cadre régle­men­taire sta­ble. Il ne faudrait pas revivre l’échec que nous avons con­nu avec le solaire. 

En out­re, la ques­tion de la pro­duc­tion d’hydrogène vert va pos­er un défi en ter­mes de trans­port et de stock­age. Tous les endroits sur Terre ne se valent pas pour le renou­ve­lable, et la pro­duc­tion d’hydrogène « vert » n’échappe pas à cette règle : les choix énergé­tiques sont aus­si des sujets d’arbitrage économique, com­mer­cial, poli­tique et de sou­veraineté. L’hydrogène sera surtout effi­cace, quel que soit son usage, s’il est pro­duit locale­ment, ou éventuelle­ment trans­porté à tra­vers des pipelines (si pos­si­bles déjà exis­tants). À court terme, il existe un usage insu­laire intéres­sant, par exem­ple pour la France en tant que stock­age d’énergie sur des zones non élec­trique­ment inter­con­nec­tées telles que la Corse ou les DOM-TOM. Mais hors de ces cas par­ti­c­uliers, il s’agira prin­ci­pale­ment de sujets locaux ou éventuelle­ment régionaux à l’échelle du con­ti­nent, avec une pro­duc­tion d’énergie renou­ve­lable oblig­a­toire­ment proche. Il existe par ailleurs un débat sur la pos­si­bil­ité d’échanges con­ti­nen­taux par bateau (par exem­ple avec des trans­for­ma­tions inter­mé­di­aires en hydrogène liq­uide ou en ammo­ni­ac), mais ces solu­tions restent écologique­ment et économique­ment coûteuses.

Il sera égale­ment néces­saire d’envisager la pro­duc­tion d’hydrogène bas car­bone via l’électricité nucléaire hors des pics de pro­duc­tion. Nous esti­mons que toutes les éner­gies bas car­bone devront être mobilisées.

Glob­ale­ment, nous devri­ons percevoir cette sit­u­a­tion comme une excel­lente oppor­tu­nité de décar­bon­er notre société tout en amélio­rant notre indépen­dance énergétique ! 

Quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs pour conclure ?

Les rap­ports du GIEC sont sans équiv­oque. Nous dis­posons d’un temps restreint pour réduire notre con­som­ma­tion énergé­tique, mais aus­si pour trou­ver des solu­tions pérennes de rem­place­ment du gaz et du pét­role, en par­ti­c­uli­er dans l’industrie et dans la mobil­ité. Je suis con­va­in­cu que l’hydrogène est une de ces solu­tions s’il est pro­duit grâce aux éner­gies renouvelables. 

Aujourd’hui, il est urgent d’accélérer le pas­sage à l’échelle des pro­jets d’hydrogène vert et d’adopter une stratégie poli­tique forte qui per­me­t­tra à l’Europe et à la France de faire de l’hydrogène un levi­er de développe­ment, d’indépendance et de sou­veraineté énergétique. 

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