RETOURS

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°667 Septembre 2011Rédacteur : Jean Salmona (56)

La mésaven­ture d’Orphée nous a appris à éviter de nous retourner.

À la ren­trée, il est bon, quand on n’est plus ado­les­cent – cer­tains, bien­heureux, le restent toute leur vie – d’oublier les vacances et de s’immerger dans de nou­veaux pro­jets. Por­tons tout de même un dernier regard sur des dis­ques récents que nous avons aimés et aux­quels nous res­terons peut-être fidèles mal­gré tout.

Fidelio

Tan­dis que d’apparentes révo­lu­tions fleuris­sent ou s’étiolent, Dec­ca a pub­lié oppor­tuné­ment l’enregistrement du Fide­lio don­né en 2010 au Fes­ti­val de Lucerne sous la direc­tion de Clau­dio Abba­do avec notam­ment Nina Stemme (Léonore) et Jonas Kauf­mann (Flo­restan) et le remar­quable Orchestre du Fes­ti­val1. Audelà de l’ambition philosophique et human­iste de l’oeuvre – exal­ta­tion des valeurs des Lumières, vic­toire de la liber­té sur l’oppression, tri­om­phe de l’amour et de la joie, etc. – c’est sans doute ce que Beethoven a écrit de plus fort, avec des airs dont cer­tains sont sub­limes et une orches­tra­tion inhab­ituelle­ment riche pour un opéra.

L’irremplaçable Abba­do génère une émo­tion d’autant plus prég­nante que le disque – CD et non DVD – nous épargne une de ces mis­es en scène con­tem­po­raines qui peu­vent exas­pér­er et gâch­er l’audition.

Schubert

La musique de Schu­bert est pop­u­laire ; elle est agréable et d’abord aisé, ce qui peut par­fois la faire qual­i­fi­er de mièvre, à tort. Vous con­nais­sez évidem­ment les deux Trios de Schu­bert, pièces exquis­es écrites peu avant sa mort et sou­vent jouées. L’Andante du n° 2 a même été util­isé par Stan­ley Kubrick dans Bar­ry Lyndon.

Le trio Dali, qui les a enreg­istrés2 en jan­vi­er dernier, allie à la fraîcheur et la spon­tanéité de la jeunesse une matu­rité rare : équili­bre des instru­ments, per­fec­tion tech­nique, sérénité du jeu. La Sonate « Arpeg­gione » pour vio­lon­celle et piano, œuvre majeure et égale­ment con­nue, et la Fan­taisie pour vio­lon et piano, petit chef‑d’œuvre dif­fi­cile et moins con­nu, com­plè­tent le coffret.

Vous con­nais­sez aus­si Win­ter­reise – Le Voy­age d’hiver –, mar­qué à jamais par l’interprétation de Diet­rich Fis­ch­er-Dieskau : il fait par­tie des best-sell­ers schu­ber­tiens. L’originalité de l’enregistrement de l’excellent bary­ton Thomas Bauer est l’accompagnement au pianoforte, joué par le spé­cial­iste de l’ instru­ment Jos Van Immerseel3, qui con­fère à l’œuvre une légèreté inhab­ituelle, assez bien en sit­u­a­tion avec le poème de Wil­helm Müller.

Machaut, Marais

Si vous ne con­nais­sez pas Les Pièces en trio pour les flûtes, vio­lon et dessus de vio­le de Marin Marais (1692), courez vite remédi­er à cette lacune : c’est la musique du Grand Siè­cle dans sa forme la plus achevée, que joue l’ensemble Aux Pieds du Roy4.

Une musique de plaisir, et aus­si une musique com­plexe et achevée, très supérieure à la musique de Lul­ly, et qui annonce François Couperin.

Trois siè­cles aupar­a­vant, Guil­laume de Machaut com­pose des motets con­sacrés pour l’essentiel à l’amour et aux peines de coeur, poly­phonies vocales à trois voix pour la plu­part, poly­textuelles (un texte pour chaque voix), avec un accom­pa­g­ne­ment instru­men­tal. L’ensemble Musi­ca Nova (deux sopra­nos, deux mez­zos, deux ténors, une basse, plus flûte à bec, harpe, vièle et per­cus­sion) vient d’enregistrer l’intégrale de ces vingt-trois Motets5. C’est une révéla­tion, qui jette sur la musique du Moyen Âge finis­sant une lumière nou­velle : sub­til­ité et com­plex­ité de la forme musi­cale, beauté du texte dit en vieux français avec l’accent resti­tué (comme nous y a habitués Ben­jamin Lazar). Voilà qui nous rafraî­chit et nous esbau­dit fort : vive le Moyen Âge !

Camarades

Une autre décou­verte : notre cama­rade Philippe Sou­plet (85), bien con­nu pour sa maîtrise du piano jazz tra­di­tion­nel dans la ligne de Fats Waller et Willie Smith, se révèle un elling­tonien hors pair dans un disque récent aux côtés de la chanteuse Sonya Pinçon et d’une excel­lente sec­tion ryth­mique, enreg­istré en con­cert sous le titre « In the mood for Duke6 ».

Dans les thèmes swingués comme I don’t mean a thing comme dans les bal­lades (Sophis­ti­cat­ed Lady, Day Dream), avec un jeu d’une excep­tion­nelle clarté et des har­monies déli­cieuse­ment com­plex­es et sub­tiles, Philippe Sou­plet se mon­tre tel qu’il est : un des tout pre­miers pianistes de jazz français d’aujourd’hui.

Autre cama­rade : Lionel Stoleru (56), chef d’orchestre, a com­posé une Sym­phonie juive dont il a dirigé la pre­mière voici peu salle Gaveau à Paris, à la tête de son Orchestre roman­tique européen, con­cert enreg­istré dont le disque vient d’être pressé7. La sym­phonie, en 4 mou­ve­ments, est bâtie sur des thèmes de la liturgie juive et n’a d’autre ambi­tion que de les faire con­naître, inté­grés pour la pre­mière fois dans une oeu­vre symphonique.

Le style musi­cal est délibéré­ment celui du XIXe siè­cle, dans la lignée de Mendelssohn, qui n’aurait pas désavoué cer­tains pas­sages s’il avait eu le pre­mier l’idée d’une telle symphonie.

1. 1 CD DECCA.
2. 2 CD FUGA LIBERA.
3. 1 CD ZIG ZAG.
4. 1 CD AMBRONAY.
5. 2 CD AEON.
6. 1 CD SONYA.JAZZ.
7. 1 CD SAPHIR.

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