Restauration de peuplements piscicoles perturbés : exemple du système hydrographique de la Seine

Dossier : Les milieux naturels continentauxMagazine N°566 Juin/Juillet 2001
Par Philippe BOET

Évolution des peuplements

La préhis­toire des pois­sons déter­mine la faune orig­inelle de nos cours d’eau

Quelques poissons de la SeineLa faune pis­ci­cole de nos cours d’eau s’est for­mée durant l’ère ter­ti­aire, il y a une ving­taine de mil­lions d’an­nées. Cette faune orig­inelle subit ses pre­miers boule­verse­ments lorsque la glace recou­vre le nord de l’Eu­rope, au début de l’ère quaternaire.

Ces change­ments cli­ma­tiques entraî­nent alors la dis­pari­tion de nom­breuses espèces. Blo­quées par des chaînes mon­tag­neuses ou des bras de mer, ces dernières ne peu­vent pas se retir­er vers le sud du con­ti­nent. Ces bar­rières géo­graphiques expliquent la rel­a­tive pau­vreté de la faune européenne par rap­port à celle nord-améri­caine, qui a pu descen­dre vers le Sud via le bassin du Mis­sis­sipi. En effet, à lat­i­tude égale, l’Amérique du Nord compte 950 espèces con­tre 193 en Europe de l’Ouest.

Sur notre con­ti­nent, seules les espèces les plus résis­tantes aux bass­es tem­péra­tures ont survécu, dans une zone étroite et libre de glace, s’é­ten­dant entre les glac­i­ers de Scan­di­navie et ceux des Alpes. Il s’ag­it essen­tielle­ment de pois­sons migra­teurs : anguille, estur­geon, saumon et truite.

Le bassin de la Seine, rel­a­tive­ment isolé des autres cours d’eau, pos­sède un fonds pis­ci­cole assez pau­vre : sa faune orig­inelle, suite aux épisodes glaciaires, est estimée à 33 espèces. Aujour­d’hui, elle en compte 45.

Après la dis­pari­tion des glaces, cer­taines espèces qui avaient trou­vé refuge dans le bassin du Danube revi­en­nent colonis­er les fleuves européens. Cette évo­lu­tion explique la large répar­ti­tion géo­graphique des espèces ren­con­trées sur le con­ti­nent européen.

Elle rend aus­si compte de la diminu­tion gradu­elle est-ouest du nom­bre d’e­spèces observées dans les prin­ci­paux bassins hydro­graphiques. Ain­si plus de 100 espèces sont dénom­brées dans le bassin du Danube, 60 dans le bassin du Rhin, 58 dans le bassin du Rhône et 50 dans celui de la Loire.

Une évolution fortement marquée par les activités humaines

Quelques poissons de la SeineLes pre­mières per­tur­ba­tions du sys­tème Seine liées à l’homme com­men­cent dès l’An­tiq­ui­té avec l’in­tro­duc­tion de nou­velles espèces pis­ci­coles. Ain­si, l’él­e­vage de la carpe par les Romains entraîne la dis­sémi­na­tion de cette espèce dans toute l’Eu­rope. Ces échanges d’e­spèces se pour­suiv­ent ensuite au Moyen Âge sous l’im­pul­sion des moines. Au IXe siè­cle, de nom­breux monastères amé­na­gent en effet les cours d’eau en étangs pour la pro­duc­tion de gar­don, de roten­gle ou de bro­chet, et favorisent la dis­per­sion de ces espèces d’eaux calmes.

Mais c’est essen­tielle­ment au XIXe siè­cle que les per­tur­ba­tions sont les plus impor­tantes. Les nat­u­ral­istes accli­ma­tent de nom­breuses espèces orig­i­naires du con­ti­nent nord-améri­cain, dont les plus con­nues sont la tru­ite arc-en-ciel, la perche-soleil ou le poisson-chat.

Quelques poissons de la SeinePar­al­lèle­ment, la liai­son des dif­férents fleuves par des canaux de nav­i­ga­tion per­met la dis­per­sion et la coloni­sa­tion de cer­taines espèces. Au total, 5 espèces nou­velles : grémille, hotu, tox­os­tome, bar­beau et san­dre appa­rais­sent dans la Seine suite à la con­nex­ion entre dif­férents bassins hydro­graphiques européens, ce qui représente 10 % de la faune actuelle.

Ce sont cepen­dant les amé­nage­ments du XXe siè­cle qui ont les con­séquences les plus cat­a­strophiques pour les pois­sons. L’ex­em­ple le plus mar­quant est la dis­pari­tion de la plu­part des espèces migra­tri­ces, à l’ex­cep­tion de l’an­guille. Ce déclin est dû à la con­struc­tion de bar­rages-éclus­es, con­sti­tu­ant des obsta­cles infran­chiss­ables pour la remon­tée des riv­ières. Ain­si, le saumon et la grande alose sont repérés pour la dernière fois dans les eaux de la Seine vers 1920…

Nombre d'espèces de poissons en chaque endroit de la Seine

Des facteurs physiques et biologiques déterminent l’évolution des peuplements piscicoles

La répar­ti­tion et la den­sité de peu­ple­ment des pois­sons dans le réseau hydro­graphique dépen­dent de la vitesse du courant ain­si que de l’oxygé­na­tion et de la tem­péra­ture de l’eau. Pour accom­plir leur cycle biologique, les pois­sons doivent aus­si pou­voir se déplac­er libre­ment entre trois grands types d’habi­tats aux­quels sont asso­ciés les fonc­tions fon­da­men­tales de repro­duc­tion, d’al­i­men­ta­tion et de refuge. Pour se repro­duire par exem­ple, de nom­breuses espèces migrent lon­gi­tu­di­nale­ment (de l’a­mont vers l’aval) tan­dis que d’autres se dépla­cent latérale­ment pour rejoin­dre des éten­dues aqua­tiques — ans­es annex­es ou bras morts — qui bor­dent le cours d’eau, afin de gag­n­er leurs aires de ponte.

Des zones de grand déficit inégalement réparties le long de la Seine

La richesse et la bio­di­ver­sité de la pop­u­la­tion pis­ci­cole de la Seine sont très hétérogènes. Nor­male­ment, sur des fleuves ” plus naturels “, il y a plus d’e­spèces en aval qu’en amont car les par­ties bass­es présen­tent une plus grande diver­sité d’habi­tats pour les poissons.

Glob­ale­ment, on retrou­ve ce sché­ma théorique dans les secteurs amont de la Seine. Il est con­tred­it par con­tre plus en aval : la richesse en espèces dimin­ue forte­ment juste avant l’ar­rivée à Paris, puis plus encore en aval des rejets de la sta­tion d’épu­ra­tion d’Achères, où seules trois espèces par­ti­c­ulière­ment résis­tantes parvi­en­nent à sur­vivre : le gar­don, la brème et la carpe.

Abondance de jeunes poissons de l’année dans les biefs de la Seine
Abon­dance de jeunes pois­sons de l’année (nom­bre cap­turé par unité de sur­face de 78 m2)
dans les milieux annex­es d’un bief presque naturel et d’un bief nav­igué de la Seine.

Des aménagements très perturbateurs

Si la qual­ité chim­ique des eaux a évolué de façon favor­able depuis une ving­taine d’an­nées, les pois­sons souf­frent tou­jours autant des dif­férents amé­nage­ments hydrauliques de la Seine qui ont forte­ment per­tur­bé l’or­gan­i­sa­tion naturelle des com­mu­nautés de poissons.

Le brochet : une espèce-clé

Ain­si, à l’a­mont du bassin, les bar­rages et étangs arti­fi­ciels empêchent cer­taines espèces comme les salmonidés (saumons et tru­ites) d’ac­céder à leurs zones de repro­duc­tion. En lim­i­tant l’am­pli­tude des inon­da­tions print­anières, la régu­la­tion du débit nuit à la repro­duc­tion du bro­chet qui fraye sur les prairies inondées.

Plus bas, le tracé naturel de nom­breux secteurs sur la Seine a été mod­i­fié. L’u­ni­formi­sa­tion du lit du cours d’eau qui résulte de cette ” chenal­i­sa­tion ” détru­it sou­vent les habi­tats ou les zones spé­ci­fiques de repro­duc­tion de cer­tains pois­sons. Ne trou­vant plus un envi­ron­nement adéquat, les espèces d’eaux vives comme le bar­beau, la van­doise ou le hotu sont alors rem­placées par d’autres moins exigeantes comme le chevesne, le gar­don, la carpe et la brème. Ces trois derniers pois­sons, qui résis­tent aus­si à la dégra­da­tion de la qual­ité de l’eau, sont les plus abon­dants à l’aval de Paris.

Moyens de réhabilitation

Sites annex­es

La réha­bil­i­ta­tion de sites aqua­tiques dits annex­es (anciens bras morts ou grav­ières) en com­mu­ni­ca­tion avec le chenal prin­ci­pal (voir encadré) peut être un moyen effi­cace pour offrir aux espèces les plus exigeantes les sites de repro­duc­tion dont elles ont besoin.

Inondation de prairies

Modèle hydraulique d'écoulement de la Seine propice à la reproduction des brochets
Un mod­èle hydraulique a per­mis de cal­culer le débit opti­mal à garan­tir en aval de la con­flu­ence Aube-Seine pour assur­er au print­emps suff­isam­ment de sur­faces de prairies inondées, prop­ices à la repro­duc­tion du bro­chet, sans trop affecter les ter­res agri­coles de La Bassée.

Il est pos­si­ble aus­si de gér­er les déri­va­tions et les lâch­ers d’eau des bar­rages-réser­voirs de façon à offrir aux bro­chets les éten­dues de prairies inondées indis­pens­ables à leur repro­duc­tion, tout en ménageant les intérêts des agriculteurs.

Aménagements et gestion

Le Cema­gref développe aus­si un mod­èle sta­tis­tique per­me­t­tant de prévoir, à l’échelle de tout le réseau hydro­graphique, la nature et la richesse du peu­ple­ment pis­ci­cole en fonc­tion de scé­nar­ios d’amé­nage­ment ou de ges­tion d’ouvrages.

Les recherch­es effec­tuées actuelle­ment ne pour­ront pas ramen­er la Seine à son état orig­inel mais il est aujour­d’hui pos­si­ble d’en­vis­ager une ges­tion équili­brée du milieu aqua­tique et des activ­ités humaines. Pour les chercheurs et les amé­nageurs, il s’ag­it main­tenant de préserv­er ou de restau­r­er les milieux aqua­tiques forte­ment per­tur­bés par les activ­ités humaines. Ces recherch­es per­me­t­tront, par ailleurs, d’é­val­uer l’im­pact écologique des nou­veaux amé­nage­ments de la Seine.

Exemple : le projet de réhabilitation du méandre de la Grande Bosse

Les recherch­es effec­tuées actuelle­ment ne pour­ront pas ramen­er la Seine à son état orig­inel mais il est aujour­d’hui pos­si­ble d’en­vis­ager une ges­tion équili­brée du milieu aqua­tique et des activ­ités humaines. Pour les chercheurs et les amé­nageurs, il s’ag­it main­tenant de préserv­er ou de restau­r­er les milieux aqua­tiques forte­ment per­tur­bés par les activ­ités humaines. Ces recherch­es per­me­t­tront, par ailleurs, d’é­val­uer l’im­pact écologique des nou­veaux amé­nage­ments de la Seine.

Ancien méan­dre de la Seine situé dans la plaine de La Bassée, en amont de Paris, le bras de la Grande Bosse va faire l’ob­jet d’une opéra­tion de réhabilitation.

L’ob­jec­tif prin­ci­pal est de rétablir un courant afin d’en faire une zone prop­ice à la repro­duc­tion des poissons.

Méandre de la Grande Bosse sur la Seine


Une pre­mière mod­éli­sa­tion de ce milieu a été effec­tuée pour déter­min­er le débit qu’il con­vient d’y créer.

Une sec­onde, réal­isée grâce au mod­èle EVal­u­a­tion de l’HAbi­tat pis­ci­cole (EVHA) mis au point au Cema­gref, a ensuite per­mis de tester l’in­térêt, en ter­mes de ” valeur d’habi­tat “, de l’aug­men­ta­tion du débit vis-à-vis de plusieurs espèces de poissons.

Par­mi plusieurs var­iétés testées, le bar­beau qui aime l’eau vive réag­it très pos­i­tive­ment à la restau­ra­tion du débit.

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