L'école polytechnique et l'hôpital

Renforcer les liens entre les X et l’hôpital, une évidence avec la pandémie ?

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°756 Juin 2020
Par Raphaël BOUGANNE (2010)
Par Aude NYADANU (2011)
Par Louise MELLOT (2014)

Face à une situa­tion sani­taire inédite et pour affron­ter la vague épi­dé­mique Covid-19 du prin­temps 2020, une large cohorte citoyenne s’est por­tée volon­taire pour ren­for­cer le sys­tème hos­pi­ta­lier fran­ci­lien. Ces volon­taires, nos hôpi­taux ne les comptent d’habitude pas dans leurs rangs, tout du moins pas si nom­breux. Par­mi eux, la com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne s’est mobi­li­sée. Pour la grande majo­ri­té le milieu hos­pi­ta­lier fut une décou­verte et la source de nom­breux éton­ne­ments. En dehors de cet engoue­ment indis­pen­sable mais éphé­mère, les liens pro­fes­sion­nels entre les X et notre sys­tème de san­té sont plu­tôt rares et ceux-ci gagne­raient à être mas­si­ve­ment ren­for­cés. L’impact poten­tiel des X au sein des hôpi­taux nous semble consi­dé­rable et por­teur de sens. Com­ment pour­rions-nous dès aujourd’hui appor­ter plus à ce sec­teur indis­pen­sable de la société ?

À quelques excep­tions près, l’ampleur de la pan­dé­mie de Covid-19 n’a pas été anti­ci­pée, et les acteurs en charge du bon fonc­tion­ne­ment de notre sys­tème de san­té ont été bou­le­ver­sés par cet inat­ten­du. Au début de la vague fran­çaise en mars, ces mêmes acteurs se sont aper­çus que nos hôpi­taux ne seraient pas de taille à encais­ser un afflux mas­sif de patients, par manque de moyens humains et maté­riels. De fait, cette pénu­rie s’est révé­lée d’autant plus into­lé­rable qu’elle met­tait en dan­ger non seule­ment la san­té et la vie des malades, mais aus­si celles des soi­gnants. Pour parer à cela, le confi­ne­ment a été appli­qué et, outre ses effets atté­nua­teurs sur la pan­dé­mie, il a pro­vo­qué une prise de conscience rapide et vio­lente de la situa­tion sani­taire, et notam­ment de la détresse des hôpi­taux. De nom­breux citoyens ont alors choi­si de mettre à dis­po­si­tion leur temps et leur éner­gie. Il y avait donc conco­mi­tam­ment une demande : des « bras » pour aider les hôpi­taux à sur­mon­ter la vague qui s’annonçait, et une offre, des « bonnes volon­tés » de mil­liers de citoyens confi­nés et sou­hai­tant contribuer.

Un réseau social pour recruter efficacement des bénévoles non-soignants

C’est pour appa­rier les deux que nous, Aude et Louise, avons eu l’idée de mon­ter une nou­velle plate-forme agile dédiée au recru­te­ment de volon­taires non-soi­gnants pour l’AP-HP. Il s’agit d’une plate-forme numé­rique (basée sur le réseau social d’entreprise Slack) pour fédé­rer des ren­forts et sou­la­ger l’ensemble du dis­po­si­tif de soins. Un enjeu majeur rési­dait dans la cor­res­pon­dance entre les besoins extrê­me­ment variés de l’AP-HP et les com­pé­tences et envies des volon­taires. Le lan­ce­ment de cette plate-forme a été fait en s’appuyant réso­lu­ment sur la com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne, qui s’est mobi­li­sée pour cette ini­tia­tive et l’a relayée effi­ca­ce­ment dans son réseau. Alors que la plate-forme a été ouverte le 19 mars, le cap des 10 000 ins­crits a été atteint avant la fin du mois. Cette réus­site tint dans plu­sieurs fac­teurs. Tout d’abord la rapi­di­té : la mise en place a pu s’affranchir des contraintes admi­nis­tra­tives habi­tuelles qui auraient ralen­ti le pro­ces­sus. Ensuite l’affluence : l’urgence de la crise per­mit de rapi­de­ment mobi­li­ser des mil­liers de volon­taires autour d’un objec­tif com­mun, faire face ensemble. Enfin la liber­té : beau­coup d’autonomie fut don­née aux hôpi­taux pour béné­fi­cier de cette res­source (en temps nor­mal l’AP-HP ne fait inter­ve­nir des béné­voles que dans un cadre associatif).

De nom­breuses bar­rières sont ain­si tom­bées grâce à cette double confiance accor­dée à de bonnes idées et aux volon­taires. Cette pré­somp­tion de confiance fut indis­pen­sable au suc­cès. Nous avons donc pilo­té une petite équipe d’une dizaine de modé­ra­teurs (dont Raphaël Bou­ganne et Elise Amblard, de la pro­mo 2012) qui a coor­don­né la mise en place d’environ 150 mis­sions au pro­fit d’une ving­taine d’hôpitaux de l’AP-HP, en mobi­li­sant plus de 1 200 volon­taires. Les mis­sions réa­li­sées sont très variées : dis­tri­bu­tion de repas pour les soi­gnants, manu­ten­tion dans les lin­ge­ries, mise en place de la logis­tique et ges­tion du parc véhi­cules pour Covi­san, déve­lop­pe­ment infor­ma­tique pour la Task Force Data, etc. L’impact de cette plate-forme a été déci­sif. Cela a per­mis non seule­ment aux indi­vi­dus de sou­te­nir l’hôpital, mais aus­si, à plus large échelle, de tou­cher des ini­tia­tives col­lec­tives, des réseaux et des entre­prises, qui sont venus pro­po­ser eux-mêmes des solu­tions à l’hôpital.

L’inclusion de patients dans la base de données Covid-ICU confiée à des X

En paral­lèle avec cette action, Éric Mau­ry, pré­sident de la Socié­té de réani­ma­tion de langue fran­çaise et pro­fes­seur des uni­ver­si­tés-pra­ti­cien hos­pi­ta­lier à l’hôpital Saint-Antoine, a sol­li­ci­té l’École poly­tech­nique fin mars. Les réani­ma­teurs fran­çais ont en effet mis en place un pro­to­cole de recueil natio­nal des infor­ma­tions cli­niques des patients en réani­ma­tion. Ce cata­logue devrait per­mettre de défi­nir les fac­teurs de risque ain­si que ceux d’une évo­lu­tion défa­vo­rable et d’identifier les thé­ra­peu­tiques les plus actives contre cette mala­die encore lar­ge­ment incom­prise. Le recueil est effec­tué dans une base de don­nées natio­nale sou­vent incom­pa­tible avec les sys­tèmes d’information de chaque hôpi­tal. L’inclusion des patients dans la base étant extrê­me­ment chro­no­phage (trois heures à l’admission et envi­ron une heure par jour ensuite), cela ne pou­vait être réa­li­sé par les ser­vices de réani­ma­tion, débor­dés, même si cette réa­li­sa­tion était essentielle.

Mal­gré le manque de connais­sances médi­cales, la for­ma­tion scien­ti­fique des X per­met­tait de répondre à l’appel avec des « têtes bien faites » capables de com­prendre et faire vite et bien. Cela fut cru­cial pour agir en confiance et avec effi­ca­ci­té dans les ser­vices de réani­ma­tion. Au cœur de notre mis­sion d’intérêt géné­ral, la réponse à cette sol­li­ci­ta­tion fut coor­don­née par la direc­tion du cabi­net de l’École en lien avec les pro­mo­tions en sco­la­ri­té ain­si que par un appel aux jeunes anciens.

Deux élèves de la pro­mo­tion 2018 (Jacques Fries et Mar­gaux Levé) ont d’abord par­ti­ci­pé à une phase test début avril à l’hôpital Saint-Antoine. Cette phase test a per­mis de cali­brer les besoins et le dis­po­si­tif a ensuite été éten­du à 25 hôpi­taux d’Île-de-France. Ce sont au total 60 volon­taires (dont 53 X) qui ont contri­bué à ce recueil et nous les en remer­cions. Cer­tains pour­suivent encore aujourd’hui leur volon­ta­riat sur d’autres mis­sions et contri­buent à sou­te­nir la recherche clinique.

Les X ont une forte plus-value à apporter à l’hôpital

Au-delà de ces ini­tia­tives soli­daires, nous sommes convain­cus que les X pour­raient contri­buer de façon cru­ciale au sec­teur hos­pi­ta­lier, que ce soit dans l’organisation, l’innovation, la science des don­nées, les dis­po­si­tifs connec­tés ou bien d’autres. En effet, non seule­ment ce sec­teur est por­teur de sens, mais il s’agit aus­si d’un éco­sys­tème très riche, aux enjeux impor­tants et sti­mu­lants intel­lec­tuel­le­ment, en période de crise comme hors crise. La capa­ci­té des X à résoudre des pro­blèmes com­plexes est donc un atout majeur et dif­fé­ren­ciant et ils y tien­draient toute leur place. Il nous semble que les oppor­tu­ni­tés existent mais qu’elles ne sont pas encore bien iden­ti­fiées et res­tent peu relayées. Pour don­ner un exemple, le dépar­te­ment Web Inno­va­tion Don­nées de l’AP-HP, où tra­vaillent Eli­sa Sala­man­ca (2009) et Romain Bey (2010), gère l’Entrepôt de don­nées de san­té, véri­table outil big data pour la recherche cli­nique et lieu idéal où expri­mer ses com­pé­tences scien­ti­fiques. Une issue heu­reuse de cette crise serait donc une impli­ca­tion bien plus impor­tante des X au ser­vice des patients et de l’hôpital.

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