Des membres du binet LGBTI à l'École polytechnique

Rencontre avec le Binet Moonlight : l’association LGBTI à polytechnique

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°783 Mars 2023
Par Greta GUERINI

Alexandre (X21), Pau­line (X21) et Étienne (X21), membres du binet Moon­light, l’association LGBTI à l’École poly­tech­nique, racontent son évo­lu­tion depuis sa créa­tion et témoignent de l’expérience d’inclusion de la com­mu­nau­té LGBTI à l’École polytechnique.

Depuis quand le binet Moonlight existe ?

Alexandre : Le binet existe depuis 2003, à cette époque il s’appelait XY pour le livre XY de l’identité mas­cu­line d’Élisabeth Badin­ter, mais ce nom n’était pas actuel et ne fai­sait pas l’unanimité.

Pau­line : Nos pré­dé­ces­seurs ont choi­si le nom Moon­light, en hom­mage au film Moon­light : L’Histoire d’une vie écrit et réa­li­sé par Bar­ry Jen­kins en 2016. Aujourd’hui existe aus­si l’association LGBTQX, créée par les Bache­lors, avec laquelle nous par­ta­geons les valeurs et cer­tains évé­ne­ments comme la Pride qui aura lieu au mois de mai.

Comment les anciens sont-ils arrivés à la création de ce binet ? 

Pau­line : Quand le binet a été créé, ses membres n’étaient pas publics. Il fal­lait deman­der au pré­sident pour rejoindre le groupe. Le fait que l’accès pou­vait être inter­pré­té comme un coming out avait créé une énorme pres­sion sociale.

Alexandre : La blague à l’époque de la Manif pour tous était de se moquer d’une per­sonne en décla­rant sur Sig­ma (ancien­ne­ment Fran­kiz, Sig­ma est le site des élèves qui per­met de se tenir infor­mé des évé­ne­ments ayant lieu à l’École) qu’elle était inté­res­sée par XY.

Comment interagissez-vous avec la communauté des étudiants polytechniciens ? 

Pau­line : Per­son­nel­le­ment je gère la pré­sence du binet dans l’IK. Je coor­donne les publi­ca­tions de celles et ceux qui veulent y écrire chaque semaine. Le but est de par­ler de culture queer au sens large, avec par­fois des témoi­gnages personnels.

Alexandre : Le binet est actif dans plu­sieurs domaines. Nous orga­ni­sons des pro­jec­tions de film et nous nous retrou­vons régu­liè­re­ment au local, par exemple avant les StyX. Nous avons aus­si des acti­vi­tés plus mili­tantes : par exemple en décembre, à la faveur de la jour­née mon­diale de la lutte contre le Sida, nous avons col­la­bo­ré avec le Sidac­tion en orga­ni­sant une col­lecte de dons et en dis­tri­buant des pré­ser­va­tifs sur le cam­pus. Pour la cam­pagne Kès, nous avons aus­si réa­li­sé un stand, avec une expo­si­tion de pho­tos, des quizz et un espace maquillage.

Quel est le message que vous voulez transmettre ?

Alexandre : Le but prin­ci­pal est de faire connaître la com­mu­nau­té queer à l’X. Nous exis­tons et cela n’est pas tou­jours évident. 

Pau­line : Le binet a été créé pour offrir un safe space. C’est moins mili­tant par rap­port à d’autres binets comme XoF, mais nous par­lons de thé­ma­tiques impor­tantes comme les LGBT-phobies.

Étienne : Le mes­sage est que cha­cun et cha­cune puisse faire ce qu’il ou elle veut : une per­sonne ne doit pas se sen­tir obli­gée de faire son coming out. Nous offrons un endroit pour pou­voir s’exprimer : celles et ceux qui veulent être queer à l’École doivent se sen­tir en sécu­ri­té. Moon­light n’est pas réser­vé aux per­sonnes queer : tout le monde peut rejoindre le binet.

Est-ce qu’il y a des cas de discrimination à l’X ?

Alexandre : Il faut faire la dif­fé­rence entre plu­sieurs niveaux de dis­cri­mi­na­tion. Aujourd’hui la vio­lence phy­sique est rare, alors qu’on peut se confron­ter à des blagues dou­teuses qui sont bles­santes. Il y a eu des pro­pos homo­phobes à La Cour­tine et pen­dant les stages mili­taires. Il ne s’agissait pas d’insultes directes, mais plu­tôt d’un cli­mat d’intolérance. À l’École, il peut y avoir une répro­ba­tion sociale sourde. Sou­vent, il y a un phé­no­mène d’autocensure qui se met en place : on a plus de mal à sor­tir, à être démons­tra­tif avec une per­sonne du même sexe.

“Souvent, il y a un phénomène d’autocensure qui se met en place : on a plus de mal à sortir, à être démonstratif avec une personne du même sexe.”

Étienne : La Cour­tine n’est pas un lieu très pro­pice à l’expression de son iden­ti­té. La plu­part des gens la cachent à ce moment-là, alors qu’ils n’auraient pas de pro­blèmes à la mon­trer ailleurs.

Pau­line : La dis­cri­mi­na­tion peut sur­gir dans d’autres occa­sions : il y a des gens qui n’osent pas dra­guer en soi­rée par peur, alors que les per­sonnes hété­ro­sexuelles ne se posent pas la question.

Est-ce qu’il est facile d’exprimer son identité à l’X ?

Alexandre : L’aspect ves­ti­men­taire est très impor­tant. À l’X, comme dans d’autres grandes écoles, les vête­ments typiques sont les jeans et les sweats – sou­vent aux cou­leurs d’un binet ou d’une pré­pa –, nous trou­vons rare­ment des styles extra­va­gants. Nor­ma­le­ment les règles sont claires : inter­dic­tion de se colo­rer les che­veux et pas de che­veux longs pour les hommes.

Pau­line : Avant j’étais à l’université et pour moi la dif­fé­rence est flagrante.

Étienne : Cela dépend aus­si des sec­tions, il y a des sec­tions spor­tives où les règles sont vrai­ment strictes.

Est-il facile de faire son coming out à l’École ? 

Étienne : Per­son­nel­le­ment je n’ai pas fait de véri­table annonce offi­cielle, j’en ai par­lé tran­quille­ment avec des cama­rades de sec­tion et j’ai trou­vé des per­sonnes à l’écoute.

Pau­line : Faire son coming out à l’X pour une per­sonne queer, ce n’est pas faire une grande annonce : c’est qu’elle sente qu’elle peut assu­mer son orien­ta­tion ou son iden­ti­té tout le temps, devant tout le monde sans se poser de ques­tion. 

Alexandre : Je pense aus­si que ce n’est pas dans la culture à l’École de mettre en avant ses convic­tions per­son­nelles et d’exprimer ses sen­ti­ments intimes, il y a une cer­taine pudeur. Cela ne va pas for­cé­ment dans le sens du coming out.

Est-ce que l’accès à un haut niveau d’études facilite l’acceptation comme membre de la communauté LGBTI aujourd’hui ?

Alexandre : Il y a une grande dif­fé­rence entre les grandes écoles et l’université. À l’X nous habi­tons ensemble 24 h / 24 et nous sommes beau­coup en contact les uns, les unes, avec les autres. À l’université, on construit son cercle d’amis, on n’a pas de groupe par défaut : cela peut être plus facile de trou­ver un groupe qui nous accepte. Faire des études per­met aus­si de s’émanciper, de choi­sir où l’on tra­vaille, de démé­na­ger : cela donne une cer­taine liber­té, on prend moins de risques si son coming out est mal reçu. 

Étienne : C’est vrai que, l’X étant un envi­ron­ne­ment stric­te­ment com­po­sé par des jeunes, il peut évo­luer très vite. Il y a seule­ment cinq ans, la situa­tion était com­plè­te­ment dif­fé­rente. L’École reste un cadre conser­va­teur par rap­port à d’autres éta­blis­se­ments dans l’enseignement supé­rieur, mais pro­gres­siste par rap­port à la socié­té.  


Mer­ci à Auré­lien Genin du Binet Pho­to pour l’i­mage de couverture.

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