Réinvestir la sacralité du livre

Dossier : Google m'a tuer ! (Le livre et Internet)Magazine N°653 Mars 2010Par Benoît YVERT

L’ir­rup­tion du numé­rique dans le monde du livre inquiète ses acteurs, même si bien des choses ont évo­lué depuis peu. Dis­tin­guons deux lec­tures, la lec­ture per­son­nelle, pour le seul plai­sir, et la lec­ture pro­fes­sion­nelle, en quête d’in­for­ma­tions. Le livre sur­vi­vra pour la lec­ture plaisir.

REPÈRES
Le Centre natio­nal du livre a été créé pour encou­ra­ger la créa­tion et la dif­fu­sion d’ouvrages de qua­li­té, via divers dis­po­si­tifs de sou­tien aux acteurs de la chaîne du livre (auteurs, édi­teurs, libraires, biblio­thèques, orga­ni­sa­teurs de mani­fes­ta­tions lit­té­raires). Il est éga­le­ment un lieu de ren­contres, d’échanges et d’actions interprofessionnelles.

On peut conci­lier biblio­phi­lie et lec­ture infor­ma­tive sur écran

Mais il devra céder à d’autres sup­ports pour la lec­ture pro­fes­sion­nelle, il devra pour le moins leur concé­der de l’es­pace. Est-ce à dire que l’on publie­ra moins de livres ? Même si cela devait être le cas, ce n’est pas for­cé­ment une situa­tion regret­table. Tout au contraire, cela pour­rait s’a­vé­rer une bonne nou­velle. Cela ren­drait le livre au magis­tère de la littérature.

Psy­chose
L’inquiétude est ata­vique dans le milieu du livre. Le livre est depuis long­temps annon­cé comme mort. Au dix-neu­vième siècle, quand on a lan­cé le livre à un franc, on a pré­dit sa dis­pa­ri­tion. On l’a répé­té à l’avènement de la radio, puis de la télé­vi­sion, puis de l’ordinateur. Or le livre est tou­jours là, on en publie et on en vend de plus en plus.

Et cela redonne aus­si du temps au livre ! Lorsque, comme à pré­sent, on publie en France 60 000 nou­veaux titres par an, la rota­tion en librai­rie est bien trop rapide. Les libraires ont à peine le temps de défaire les car­tons, de pro­po­ser des titres aux lec­teurs, s’im­posent déjà les retours.

Sortir de son univers

Des monu­ments, comme le Code civil, les dic­tion­naires et ency­clo­pé­dies, peuvent aisé­ment et au béné­fice de tous, car ils sont encom­brants, cou­lis­ser vers l’é­cran. Et cela n’en­lève rien à la magie du livre-objet qu’on conti­nue­ra à gar­der chez soi.

Un sur quatre
Même s’il dimi­nue, le taux de non-lec­teurs demeure éle­vé. Près d’un Fran­çais sur quatre de plus de 15 ans n’a pas lu de livres au cours des douze der­niers mois.
Dans le même temps, le nombre de faibles lec­teurs aug­mente tan­dis que celui des forts lec­teurs dimi­nue. 38 % des per­sonnes inter­ro­gées lisent moins de 10 livres par an (en comp­tant les bandes des­si­nées), contre 24 % en 1973.

Si cela appa­raît comme ras­su­rant, en prin­cipe, cer­tains faits sont pré­oc­cu­pants. Alors que l’on comp­tait 22 % de lec­teurs lisant plus de vingt-cinq titres par an en 1973, en 2005 ils n’é­taient plus que 15 %. Cette dérive est inquié­tante. On ne fait pas suf­fi­sam­ment le paral­lèle entre cette dimi­nu­tion du nombre de gros lec­teurs et la frac­ture sociale. Le livre reste le der­nier ins­tru­ment de cor­rec­tion de l’i­né­ga­li­té des chances.

Cela dit, on croyait en avoir fini avec l’illet­trisme et, depuis une dizaine d’an­nées, il fait un retour spec­ta­cu­laire, ce qui n’est pas étran­ger à la dis­pa­ri­tion du livre comme objet struc­tu­rant. Il faut réin­ves­tir la sacra­li­té du livre à l’école.

Rester optimistes

Cer­tains s’a­larment de ce que le livre pour­rait suivre le même déclin que la presse écrite. Il y a là un paral­lèle qu’il faut récu­ser. Le livre, c’est le temps et le silence. À l’op­po­sé de la socié­té contem­po­raine, mar­quée par le bruit, la rapi­di­té et l’hy­per­con­som­ma­tion publi­ci­taire, le livre reste l’an­ti­chambre du pacte répu­bli­cain fon­dé sur le savoir et le mérite

Biblio­thèques pour tous
La fré­quen­ta­tion des biblio­thèques n’a pas décru : elles res­tent l’é­qui­pe­ment cultu­rel favo­ri des Fran­çais. Mais, son public est majo­ri­tai­re­ment étu­diant et appar­tient en grande par­tie aux classes moyennes alors que la biblio­thèque a été créée pour les plus démunis.

La clé du livre, c’est de res­ter fidèle à ses fon­da­men­taux. C’est ce que la presse n’a pas su faire, cédant à une sorte de course à l’é­cha­lote sté­rile avec les médias et per­dant ses lec­teurs en vou­lant en conqué­rir d’hy­po­thé­tiques. Les édi­teurs sont un autre atout du livre. La France à la chance d’a­voir encore des édi­teurs qui sont des pro­fes­sion­nels com­plets, et par­fois en même temps d’ex­cel­lents auteurs.

Il est, par contre, une crise bien réelle de la fonc­tion cri­tique. Elle est liée à plu­sieurs fac­teurs. On a sub­sti­tué à une cri­tique par­fois viru­lente et ouver­te­ment sub­jec­tive une cri­tique faus­se­ment objec­tive. On a ces­sé de don­ner suf­fi­sam­ment de place à la critique.

Une politique active de soutien

La numé­ri­sa­tion en marche
Pour le numé­rique, fort du pré­cé­dent de la musique, il a été déci­dé d’an­ti­ci­per plu­tôt que subir en attri­buant près de 30 mil­lions d’eu­ros sur trois ans, via le CNL, et gérés par une com­mis­sion du Syn­di­cat natio­nal de l’é­di­tion. Ces fonds ont non seule­ment ser­vi à la Biblio­thèque natio­nale pour la numé­ri­sa­tion du patri­moine écrit mais aus­si aux édi­teurs volon­taires pour les livres sous droits. Aujourd’­hui, une cen­taine d’entre eux a numé­ri­sé 16 000 titres.

Le minis­tère de la Culture a orga­ni­sé depuis sep­tembre 2006 une vaste concer­ta­tion avec plus de 200 pro­fes­sion­nels. Ces tra­vaux ont abou­ti à un rap­port inti­tu­lé » Pour que vive la poli­tique du livre » éta­bli par Sophie Bar­luet. Celle-ci s’est éga­le­ment appuyée sur des entre­tiens indi­vi­duels et des enquêtes – notam­ment sur les biblio­thèques et la librai­rie indé­pen­dante – menés sous l’é­gide de la Direc­tion du livre et de la lec­ture. Les 50 pro­po­si­tions pré­sen­tées en fin de rap­port sont axées autour des thèmes sui­vants : le sou­tien à l’é­co­no­mie du livre (librai­ries, édi­tion, auteurs, illus­tra­teurs et tra­duc­teurs) ; les enjeux du numé­rique pour l’é­crit, la lec­ture publique et le patri­moine écrit ; l’ac­tion de l’É­tat en faveur de la poli­tique du livre, notam­ment le rôle du Centre natio­nal du livre.

Ce rap­port montre éga­le­ment que les acteurs de la chaîne du livre ne tra­vaillent pas ensemble alors qu’ils par­tagent les mêmes valeurs. Une large expé­ri­men­ta­tion de la numé­ri­sa­tion a pu ain­si être entre­prise. Il fau­drait main­te­nant pas­ser à une numé­ri­sa­tion choi­sie. Pour­quoi ne pas uti­li­ser le numé­rique pour accom­plir l’am­bi­tion de Mal­raux qui vou­lait » rendre acces­sibles au plus grand nombre les oeuvres capi­tales de l’humanité » ?

La clé du livre, c’est de res­ter fidèle à ses fondamentaux

En ce qui concerne les libraires, une dizaine de mil­lions d’eu­ros a per­mis de créer un label pour les libraires indé­pen­dants de réfé­rence (LIR). Les label­li­sés seront exo­né­rés de la taxe pro­fes­sion­nelle. On attri­bue aus­si des bourses aux libraires (on est pas­sé en trois ans de 500 000 euros à 3 mil­lions) et il existe éga­le­ment un fonds de trans­mis­sion pour aider les nou­veaux libraires à prendre le relais de leurs aînés. Il faut » aider moins pour aider mieux « .

Quant à la gou­ver­nance, un Conseil du livre se réunit deux fois par an sous la pré­si­dence du ministre de la Culture. C’est une sorte de par­le­ment du livre qui n’a­borde que des sujets stra­té­giques. Ain­si, la poli­tique publique est trans­pa­rente. Tous les sujets évo­qués ici ont été dis­cu­tés et vali­dés en son sein.

Article tiré d’un entre­tien avec Josyane Savi­gneau, Le Monde, 13 juin 2009, p. 22.

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