Raoul Dautry, du rail à l’atome

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°532 Février 1998Par : Vladimir HALPÉRINRédacteur : Jacques ROYER (42)

Dans sa pré­face au livre d’Halpérin, J.-L. Cré­mieux-Bril­hac note, non sans peut-être un brin de pes­si­misme, que “ Dau­try a été englo­bé dans le semiou­bli dédai­gneux où la mémoire col­lec­tive refoule la IIIe Répu­blique de l’entre-deux-guerres ” – sort immé­ri­té pour cet X de la pro­mo 1900.

La car­rière de Dau­try aurait pu culmi­ner avec les postes de direc­tion qu’il assu­ma avec bon­heur à la tête des che­mins de fer de l’État ou, en 1931, au conseil de direc­tion de l’Aéropostale (où il ren­contre Guillau­met et Mer­moz) et de la Com­pa­gnie Géné­rale Transatlantique.

Mais son des­tin prend une dimen­sion natio­nale à la décla­ra­tion de guerre où il est nom­mé ministre de l’Armement, un poste où l’armistice de 1940 l’empêcha de don­ner sa mesure.

Un de ses der­niers actes, en juin 1940, est cepen­dant d’organiser le sau­ve­tage du stock d’eau lourde nor­vé­gienne qui, grâce à sa déter­mi­na­tion, sera sous­trait à la pré­pa­ra­tion mena­çante d’armes ato­miques pro­je­tée par l’ennemi.

À la Libé­ra­tion, de Gaulle l’appelle aux lourdes tâches de ministre de la Recons­truc­tion et de l’Urbanisme, qui, rap­pe­lons-le, com­mencent par un immense labeur de déblaie­ment et de démi­nage dans un pays où les des­truc­tions dépassent celles de 1919.

Puis, de 1946 à 1951, il joue avec Joliot-Curie un rôle-clé dans la créa­tion du CEA (Com­mis­sa­riat à l’énergie ato­mique), en tant qu’administrateur géné­ral, délé­gué du gouvernement.

Hal­pé­rin, juste par­mi les justes, qui appro­cha Dau­try aux heures sombres de l’occupation, à Lyon, est mieux pla­cé que qui­conque pour cam­per, preuves à l’appui, sa sta­ture de patriote et d’homme d’État avant, pen­dant et après la tour­mente de 1939–1945.

Ce témoi­gnage est habi­té par le souffle qui ne ces­sa d’animer la per­son­na­li­té de Dau­try, de défi en défi, et sou­ligne aus­si sa moder­ni­té. Au fil de l’ouvrage, sont illus­trés des traits de carac­tère comme sa légen­daire capa­ci­té de tra­vail, la facul­té “d’apprendre à apprendre”, toutes qua­li­tés exer­cées sans doute dès son séjour rue Des­cartes, mais aus­si son art de consti­tuer et d’animer des équipes sou­dées et dévouées.

Avant la lettre, il pra­tique le “ pen­ser à l’échelle glo­bale, exé­cu­ter à l’échelle locale ” ensei­gné dans les écoles actuelles de mana­ge­ment, et un grand art de la com­mu­ni­ca­tion interne qui s’élargit en vision du social – bref un huma­nisme dont il arti­cule les prin­cipes dans le livre auquel il donne le beau titre du Métier d’homme.

À lire, et à faire lire – non seule­ment pour faire connaître un per­son­nage qui incarne si bien la pre­mière moi­tié du siècle, mais aus­si pour le vision­naire qui mili­ta pour les grands défis de la seconde moi­tié – du tun­nel sous la Manche à un urba­nisme sou­cieux des ban­lieues, de l’établissement du CERN (Centre euro­péen de la recherche nucléaire) à la construc­tion de l’Europe.

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