Quelle reconversion pour les sites industriels ?

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°628 Octobre 2007
Par Hubert KIRCHNER (80)

Première observation

Première observation

Dans chaque méti­er, une part des fab­ri­ca­tions que l’on peut estimer com­prise entre 10 et 20 % restent local­isées dans leur pays d’o­rig­ine du fait des ser­vices qui leur sont attachés. Délais de fab­ri­ca­tion très courts, con­seils de fab­ri­ca­tion apportés dès la phase de con­cep­tion, exper­tise tech­nique ou indus­trielle rare, forte per­son­nal­i­sa­tion des pro­duits, séries de petite taille, sécuri­sa­tion des matières ou des pro­duits sont les ser­vices asso­ciés qui sont le plus sou­vent demandés. Et ce besoin de ser­vices, loin de se réduire, aug­mente car ceux-ci con­stituent de plus en plus les clés de réus­site com­mer­ciale des nou­veaux pro­duits. Ce type de fab­ri­ca­tions que l’on appelle « les fab­ri­ca­tions à forts ser­vices ajoutés » ne se délo­calise pas.

Deuxième observation

Les com­pé­tences des per­son­nels de pro­duc­tion et les équipements de fab­ri­ca­tion peu­vent par­fois séduire des indus­tries très dif­férentes de celle d’o­rig­ine. Ain­si, les com­pé­tences des per­son­nels d’une unité de fab­ri­ca­tion de pro­duits optoélec­tron­iques et ses salles blanch­es avaient con­va­in­cu un pro­fesseur de médecine anglais de créer un lab­o­ra­toire de tests pré­clin­iques de molécules des­tinées à traiter les patholo­gies neu­rologiques. Minu­tie, capac­ité à tra­vailler dans des espaces ultra­pro­pres, en blouse, masques, gants et sous binoc­u­laire asso­ciées à la disponi­bil­ité de salles blanch­es pour lesquelles une sim­ple adap­ta­tion était néces­saire avaient séduit le pro­fesseur. Dans un cas, tra­vail sur des puces (élec­tron­iques), dans l’autre tra­vail sur des rats…

L’analyse des com­pé­tences col­lec­tives et des moyens indus­triels devenus disponibles du fait de la baisse d’ac­tiv­ité con­stitue le fonde­ment de toute recon­ver­sion, cela indépen­dam­ment des pro­duits et marchés his­toriques du site.

La recon­ver­sion de sites indus­triels repose sur ces deux obser­va­tions : les apti­tudes poly­va­lentes des per­son­nels d’exé­cu­tion et de cer­tains out­ils indus­triels et l’ex­is­tence, dans tout marché de fab­ri­ca­tion (ou de R & D !), de nich­es sur lesquelles la demande de ser­vices encour­age, voire impose une local­i­sa­tion de proximité.

Opéra­tionnelle­ment, la recon­ver­sion va tout d’abord con­sis­ter à établir une pho­togra­phie indus­trielle et économique détail­lée des activ­ités-métiers présents sur le site : iden­ti­fi­ca­tion, analyse puis détourage « papi­er » des activ­ités-métiers c’est-à-dire sans touch­er aux organ­i­sa­tions en place. Puis élab­o­ra­tion d’un compte de résul­tats pro­for­ma de chaque activ­ité-méti­er iden­ti­fié, compte tenu d’une part des charges indus­trielles encore présentes pour les prochains mois ou années et d’autre part des pos­si­bil­ités de réduire les coûts lors d’une opéra­tion de cession.

Une fois cette étape achevée, le tra­vail con­siste à met­tre en « vente » séparé­ment sur le marché cha­cune des activ­ités-métiers du site. Déter­mi­na­tion des pro­fils de repre­neurs poten­tiels à approcher. Iden­ti­fi­ca­tion des entre­pris­es à con­tac­ter dans une approche très large et exten­sive des métiers pou­vant présen­ter des syn­er­gies avec ceux du site.

Puis appel à can­di­da­tures et appel à pro­jets de reprise auprès des can­di­dats qui se sont déclarés intéressés. Choix du ou des meilleurs pro­jets suiv­ant des critères qui peu­vent vari­er selon le groupe indus­triel cédant ; le pre­mier d’en­tre eux étant tou­jours : la péren­nité du pro­jet de reprise, c’est-à-dire l’ab­sence d’ef­fet boomerang. En effet, si le cédant reste engagé juridique­ment dix-huit mois à compter de la ces­sion, cet engage­ment est sociale­ment et poli­tique­ment plus long, d’en­v­i­ron trois ans.

Indus­trielle­ment, l’ex­péri­ence mon­tre que les deux prin­ci­paux fac­teurs de suc­cès de ces opéra­tions de recon­ver­sion-ces­sion sont :
1) de repo­si­tion­ner chaque activ­ité avec une struc­ture de coût com­péti­tive par rap­port aux marchés sur lesquels elle va désor­mais évoluer,
2) de s’as­sur­er que le repre­neur dis­pose d’une capac­ité immé­di­ate à apporter une charge indus­trielle sig­ni­fica­tive issue de ses pro­pres clients.

La diver­si­fi­ca­tion ex nihi­lo d’une activ­ité indus­trielle qui tra­vail­lait pour un unique client, la plu­part du temps un client interne au groupe, ren­con­tre un taux d’échec élevé. Dans ce con­texte, la prob­a­bil­ité de trou­ver des repre­neurs est directe­ment liée à l’é­tat du marché glob­al dans les métiers pro­posés. Le niveau de tech­nic­ité ou la qual­ité des instal­la­tions et équipements indus­triels seront des élé­ments impor­tants de moti­va­tion des repre­neurs. La capac­ité du cédant à assur­er un niveau min­i­mal d’ac­tiv­ité pen­dant les trente-six pre­miers mois de la ces­sion déter­min­era la taille des équipes repris­es. En fin de recon­ver­sion, un site mul­ti­ac­tiv­ités recon­ver­ti sera devenu un vil­lage indus­triel dont les bâti­ments et ter­rains auront été cédés en cours de processus.

Sociale­ment, ces ces­sions sont dans la plu­part des cas des restruc­tura­tions-ces­sions car le repre­neur n’of­fre de repren­dre qu’un effec­tif réduit. Par­fois même, les équili­bres économiques imposés par le marché con­duisent à deman­der aux salariés l’a­ban­don d’ac­cords col­lec­tifs avan­tageux, voire une réduc­tion de leur rémunéra­tion. Ces con­di­tions très dif­fi­ciles sont sociale­ment accep­tées si d’une part elles sont objec­tive­ment jus­ti­fiées et si d’autre part des indem­nités vien­nent com­penser ces préju­dices subis. Une com­mu­ni­ca­tion sociale de qual­ité inclu­ant une vision partagée de la sit­u­a­tion économique de l’ac­tiv­ité est alors un gage de réussite.

Sta­tis­tique­ment, les pro­jets de recon­ver­sion-ces­sion per­me­t­tent de sauver 50 % des emplois men­acés, l’éven­tail allant de 0 % à 100 %. Les salariés qui n’ont pas pu par­ticiper à un pro­jet de reprise béné­fi­cient alors des mesures de reclasse­ment indi­vidu­el qui sont définies dans un plan de sauve­g­arde de l’emploi (PSE). Le cédant, s’il est une grande entre­prise, devra égale­ment s’en­gager dans un pro­gramme de réin­dus­tri­al­i­sa­tion du bassin d’emplois en aidant à la créa­tion d’au­tant d’emplois qui auront été détru­its : réin­dus­tri­al­i­sa­tion intr­a­site en faisant venir des activ­ités nou­velles sur le site, réin­dus­tri­al­i­sa­tion à l’ex­térieur du site en aidant des PME à créer des emplois et en aidant de nou­velles entre­pris­es à s’in­staller sur le bassin d’emplois.

In fine, la recon­ver­sion d’un site indus­triel aura util­isé les trois « R » : Recon­ver­sion-ces­sion d’ac­tiv­ités-métiers, Réin­dus­tri­al­i­sa­tion du bassin d’emplois et Reclasse­ments indi­vidu­els. Ce sont les trois out­ils de tout pro­jet de recon­ver­sion. Est-il besoin de pré­cis­er que plus tôt inter­vient la recon­ver­sion-ces­sion d’un site indus­triel, moins les reclasse­ments et la réin­dus­tri­al­i­sa­tion sont néces­saires, et infin­i­ment moins coû­teuse est sa reconversion ?

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