Portrait de Bruno Angles

Quatre ans au service de la communauté polytechnicienne

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°747 Septembre 2019
Par Bruno ANGLES (84)

J & R : Nos lecteurs ont pu prendre connaissance de ton « testament » de président de l’AX dans notre dernier numéro (juin-juillet 2019). Pourrais-tu nous dire aujourd’hui ce que tu as retiré, plus personnellement, de cette expérience ? Et d’abord, as-tu eu des sujets d’étonnement à ton arrivée ?

BA : La pre­mière chose qui m’a frap­pé, ce sont les moyens impor­tants de la délé­ga­tion générale : j’avais été habitué, en tant que prési­dent de l’association des ingénieurs des Ponts, l’AIPC (dev­enue depuis UnIPEF) ou de la fon­da­tion de l’École des ponts, à des struc­tures très petites (2 ou 3 per­son­nes). À l’AX, je décou­vrais une délé­ga­tion forte de presque vingt per­son­nes. C’était de vrais moyens ! C’était bien sûr une chance, et il fal­lait en tir­er le max­i­mum pour le béné­fice de la com­mu­nauté. Mais c’était aus­si une respon­s­abil­ité : on ne pou­vait pas se bat­tre d’un côté pour l’excellence de l’École, et d’un autre ne pas se souci­er de l’excellence de l’association elle-même. C’est pourquoi, d’abord avec Bruno Van Parys puis avec Yves Demay, nous avons impul­sé une mod­erni­sa­tion très déter­minée de la délé­ga­tion générale. S’il reste bien sûr des amélio­ra­tions à apporter à cer­tains de nos proces­sus, la délé­ga­tion générale s’est incon­testable­ment beau­coup améliorée en qua­tre ans.

M’a frap­pé aus­si la manière dont se sont mobil­isés autour de moi, lit­térale­ment dès le lende­main de mon élec­tion, les mem­bres du con­seil de l’AX et les grands patrons poly­tech­ni­ciens comme Antoine Frérot, Xavier Huil­lard, Patrick Pouyan­né ou Philippe Varin, réu­nis au sein de la task force que j’avais créée pour accom­pa­g­n­er la réflex­ion stratégique sur l’avenir de l’École lancée par Jean-Yves Le Dri­an après le rap­port de Bernard Attali. Tous ont mon­tré une impli­ca­tion extra­or­di­naire. De même, quand il s’est agi de rassem­bler l’ensemble de la com­mu­nauté, j’ai pu mesur­er le degré d’implication de grands anciens comme Bernard Arnault, qui a spon­tané­ment demandé à me voir, ou comme le prési­dent Gis­card d’Estaing, qui m’a reçu immé­di­ate­ment ; et d’autres encore, comme Claude Bébéar ou Jean-Louis Bef­fa… Tous ces anciens illus­tres étaient pas­sion­nés, et inten­sé­ment mobilisables.

J’ai été aus­si frap­pé, dans tout ce proces­sus, de voir que la com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne, dans son immense majorité, est d’abord mue par l’intérêt général, et pas du tout dans une logique cor­po­ratiste. La ques­tion était bien : qu’est-ce qui va dans le sens de l’intérêt général pour le pays ? Et s’il y a des évo­lu­tions néces­saires du côté de l’École, nous étions tous à la recherche de ce qui était le plus per­ti­nent pour l’intérêt général.

“La communauté polytechnicienne
est d’abord mue par l’intérêt général”

J & R : Quels ont été tes plus grands moments de satisfaction ?

BA : Il y en a beaucoup.

Cer­taine­ment ce 15 décem­bre 2015, lorsque la vis­ite de Jean-Yves Le Dri­an, Emmanuel Macron et Thier­ry Man­don à Palaiseau m’a per­mis de con­stater que nous avions col­lec­tive­ment réus­si à con­va­in­cre le gou­verne­ment sur les lignes que nous avions défendues. Même sen­ti­ment, encore plus fort, le 25 octo­bre 2017, lorsque le Prési­dent de la République a annon­cé sa vision en deux pôles pour le Plateau de Saclay, avec l’invitation ferme à s’engager dans la créa­tion de ce qui s’est appelé alors tran­si­toire­ment NewU­ni, aujourd’hui con­crétisé sous la forme de l’Institut Poly­tech­nique de Paris, avec cette main ten­due à HEC. Ces deux jours-là, j’ai vrai­ment eu le sen­ti­ment que tout le tra­vail qu’on avait pu faire en amont avait été utile !

Il y a ce jour où Antoine Frérot m’a dit qu’il accep­tait de rejoin­dre le Con­seil parce que c’était moi qui le lui demandais : je me suis dit que tout ce que nous avions fait depuis deux ans n’était pas com­plète­ment nul !

Il y a cette dernière vis­ite au prési­dent Gis­card d’Estaing pour lui présen­ter les résul­tats de notre mobil­i­sa­tion pour l’École, et où il m’a rac­com­pa­g­né en me dis­ant, de sa voix inim­itable : « Je vous remer­cie d’être venu m’apporter des nou­velles rassurantes. »

Il y a le Bal de l’X à l’occasion des 225 ans de l’École poly­tech­nique, à l’issue duquel de nom­breux par­tic­i­pants, X mais aus­si non‑X, m’ont dit qu’ils avaient vécu un moment exceptionnel.

Il y a cette per­son­ne de la délé­ga­tion générale qui voulait par­tir et que j’ai con­va­in­cue de rester : je me suis dit que les quelques heures que j’avais passées à dis­cuter avec elle n’avaient pas été perdues.

Il y a eu le jour de la mise en ser­vice du nou­veau site inter­net, où je me suis dit qu’on avait fait un vrai saut quantique !

Il y a eu ces ravi­vages de la Flamme à l’Arc de tri­om­phe, avec les élèves et nos amis anciens de la Saint-Cyri­enne, de Navale ou de l’École de l’air : des moments très émouvants.

Il y a eu la qual­ité des échanges avec les jeunes, en par­ti­c­uli­er les dîn­ers avec la Kès nou­velle­ment élue. Je me sou­viens de la dif­fi­culté de les con­va­in­cre de me tutoyer !

Il y a eu la qual­ité excep­tion­nelle de la rela­tion avec Denis Ranque, prési­dent de la Fondation.

Et enfin, bien sûr, ma désig­na­tion, à l’unanimité, comme prési­dent d’honneur, par le con­seil de l’AX le 26 juin dernier.

J & R : Si tu as eu beaucoup de satisfactions, tu as bien aussi quelques regrets ?

BA : Bien sûr !

Par exem­ple, je pense qu’on aurait pu aller plus vite sur l’international et la mise en place du pro­gramme des ambas­sadeurs. Ça démarre enfin main­tenant avec Marc Valentiny et Michel Geor­gin, mais on a trop tardé ! Du côté des événe­ments, il y a eu de belles réus­sites : les Bals, les petits-déje­uners, les ravi­vages de la Flamme, les col­lo­ques avec HEC…, mais pour le Grand Mag­nan, on peut cer­taine­ment faire mieux. Il y a le site inter­net, que je ne trou­ve pas encore assez intu­itif pour les vis­i­teurs. Il y a le pro­jet de colo­cal­i­sa­tion de l’AX et la FX à la Mai­son des X, pour lequel j’aurais aimé qu’on aille plus vite. Il y a la place des X dans le débat pub­lic : avec les col­lo­ques AX-HEC, nous avons bien avancé, mais on devrait pou­voir aller plus loin. Il reste une grande marge de progrès !

J & R : Pour finir, peux-tu nous dire ce que t’inspire le nouveau débat sur les grandes écoles, que le gouvernement vient de relancer ?

BA : Je crois pro­fondé­ment au tra­vail et au mérite répub­li­cain. J’ai vécu toute mon enfance à l’étranger. À 17 ans, je suis passé de mon lycée européen de Lux­em­bourg à Ginette, et là j’étais le seul de mon lycée. J’y ai trou­vé de très nom­breux élèves venant de Franklin… Je ne savais même pas ce que c’était ! Une fois à l’X, je décou­vre l’existence du corps des Ponts : je ne savais pas que ça exis­tait ! Tout cela pour dire que tout n’était pas écrit à l’avance…

Le débat actuel sur la mix­ité, aus­si bien sociale que de genre, est tout à fait légitime, mais il y a une bonne et une mau­vaise façon de l’aborder. Si on impose que, demain, il y ait 50 % de filles à l’X, alors qu’il n’y en a tou­jours qu’environ 20 % en pré­pa, c’est sûr que cela affaib­li­ra le niveau. Il faut con­tin­uer à tra­vailler en amont pour con­va­in­cre les filles de faire des fil­ières sci­en­tifiques. C’est la même chose pour la mix­ité sociale : si on pour­suit cette logique à l’extrême, on pour­rait bien sûr décider de tir­er au sort les can­di­dats… Mais ce n’est pas pos­si­ble : on ferait inévitable­ment baiss­er le niveau. Là aus­si, si on veut être sérieux, c’est l’amont qu’il faut tra­vailler. J’ai émis avec Yves Demay l’idée d’un pro­gramme, qui a reçu un accueil très favor­able du min­istère de l’Éducation nationale, pour impli­quer dans cette démarche non seule­ment les élèves de l’École – qui le sont déjà –, mais aus­si les anciens en asso­ciant l’X, l’AX et la Fondation.

Cela a été un très grand hon­neur pour moi d’être pen­dant ces qua­tre années celui qui impulse l’action de l’association et aus­si celui qui la représente à l’extérieur. Je souhaite bonne chance à mon successeur !

J & R : Les valeurs polytechniciennes en trois mots ?

BA : Méri­to­cratie, sens de l’intérêt général, et loyauté.

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