Proust et les polytechniciens © Tesson

Proust et les poly­techniciens, une familiarité inattendue

Dossier : Proust et les PolytechniciensMagazine N°785 Mai 2023
Par Jérôme BASTIANELLI (X90)

Proust et Poly­tech­nique, un rap­proche­ment inat­ten­du ? Eh bien, pas tant que cela, en fait. Déjà parce que l’écrivain comp­ta plusieurs anciens élèves dans sa famille ou par­mi ses rela­tions, comme on va le voir dans le dossier. Mais aus­si parce qu’il pos­sé­dait une cul­ture sci­en­tifique très large, dans de mul­ti­ples domaines. Certes, le romanci­er fait dire à l’un de ses per­son­nages qu’« on ne com­prend rien à un cours d’algèbre », ce qui reflète sans doute ses pro­pres sou­venirs d’une médiocre sco­lar­ité dans les matières sci­en­tifiques, lorsqu’il était élève du lycée Con­dorcet. Mais, pour autant, le physi­cien François Van­nuc­ci a dénom­bré, dans les trois mille pages d’À la recherche du temps per­du, près de trois cents extraits faisant référence aux sci­ences (citons-en un, pour le plaisir : les men­songes d’Albertine « sont bien plus aisés, comme les lois astronomiques, à dégager par le raison­nement qu’à observ­er, qu’à sur­pren­dre dans la réal­ité », prob­a­ble allu­sion à Urbain Le Ver­ri­er (X1833) qui en 1839 avait décou­vert par le cal­cul l’existence de Neptune).

Proust, curieux de tout, était au courant des avancées sci­en­tifiques les plus récentes de son époque, telles que la décou­verte des rayons X, et s’intéressait vive­ment aux développe­ments tech­nologiques de son temps, tels que l’avion ou le télé­phone (il se pas­sion­nait notam­ment pour le théâtro­phone – l’ancêtre du stream­ing ! – et avait même anticipé l’invention de la visio-télé­phonie). De plus, l’auteur de La Recherche était en quelque sorte lui-même un chercheur. L’astrophysicien Jean Audouze remar­que que, « en mul­ti­pli­ant les nom­breuses ver­sions de son texte, les vari­antes et les esquiss­es », Proust agit comme un sci­en­tifique « qui recom­mence à plusieurs repris­es ses obser­va­tions ou ses expéri­ences, qui mod­i­fie ses énon­cés ou ses mod­èles, pour les rap­procher des solu­tions qui lui con­vi­en­nent au prob­lème qu’il se pose ». Pour décrire les actions de ses per­son­nages, Proust a très sou­vent recours aux hypothès­es les plus var­iées, les plus improb­a­bles, par exem­ple quand il passe en revue les dif­férents motifs qui pour­raient expli­quer le silence du lifti­er du Grand Hôtel de Bal­bec : « Il ne me répon­dit pas, soit éton­nement de mes paroles, atten­tion à son tra­vail, souci de l’étiquette, dureté de son ouïe, respect du lieu, crainte du dan­ger, paresse d’intelligence ou con­signe du directeur. » Cette tour­nure d’esprit, qui cherche à ne rien omet­tre, n’est-elle pas pro­fondé­ment sci­en­tifique ? C’est l’une des raisons pour lesquelles, dans un hom­mage qu’il lui rend quelques mois après sa mort, Guy de Pour­talès dit de Proust que « sa phrase est sub­stantielle comme celle d’un traité sci­en­tifique ». Il faut égale­ment rap­pel­er que – sans par­ler des rap­proche­ments, certes un peu grossiers, qui ont été faits, par­fois de son vivant, entre son œuvre et les théories d’Albert Ein­stein – ce que Proust décrit du fonc­tion­nement de la mémoire a été con­fir­mé par la neurobiologie.

“Proust fut aussi, à sa manière, une sorte de poly-technicien.”

De là à dire que Proust aurait été un par­fait poly­tech­ni­cien, il y a un pas que nous ne franchi­rons pas. Y avait-il lui-même songé ? On peut s’amuser à le croire, en lisant cette phrase de Jean San­teuil, le roman inachevé qui précède À la recherche du temps per­du : « Sa mère étonne le lit­téra­teur en lui rap­pelant qu’à quinze ans il eut la pas­sion des math­é­ma­tiques, s’achetait des instru­ments d’optique, voulait entr­er à Poly­tech­nique. » Mais il faut plutôt voir dans cette allu­sion (la seule référence que l’on trou­ve à Poly­tech­nique, dans l’œuvre et la cor­re­spon­dance) une volon­té de creuser les con­trastes pour illus­tr­er une théorie chère à l’écrivain, qu’il détaillera d’ailleurs dans Le Temps retrou­vé : au cours de notre vie, les évo­lu­tions de nos cen­tres d’intérêt, de nos goûts, de nos amours, con­stituent autant de dis­pari­tions de l’être que nous fûmes (et dès lors, nous dit l’écrivain, il ne faut pas crain­dre la mort puisque nous sommes déjà morts plusieurs fois – mais nous nous éloignons de notre sujet). Reste que Proust, celui qui analysa aus­si pro­fondé­ment tous les ressorts de l’âme humaine, qui évo­qua avec génie des sujets aus­si var­iés que la musique, la pein­ture, l’amour, la diplo­matie, la guerre, l’ascension sociale, le pou­voir de l’imagination, le rôle de la lit­téra­ture, la cui­sine, la botanique, les moyens de trans­port, les paysages, la moder­nité, et bien sûr la mémoire, fut aus­si, à sa manière, une sorte de poly-technicien.

P.-S. : À ceux qui s’intéressent au sujet, recom­man­dons la lec­ture de Proust et les sci­ences, ouvrage de Jean-Pierre Ollivi­er paru en 2018 aux édi­tions Hon­oré Champion.


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