Promenade de fin d’été

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°597 Septembre 2004Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Entre les con­ser­va­teurs qui refusent – par paresse d’esprit ? – tout ce qui a été com­posé après Rav­el et Stravin­s­ki, et les aya­tol­lahs de la musique con­tem­po­raine, il y a, comme tou­jours, un juste milieu, celui de l’amateur éclairé, fidèle aux valeurs sûres mais curieux de décou­vertes. C’est à lui que s’adresse cette chronique.

Szymanowski, Magin, Tan Dun, improvisations

Szy­manows­ki, com­pos­i­teur polon­ais mort en 1937, peut être classé par com­mod­ité par­mi les postro­man­tiques. Mais con­traire­ment à celles de Richard Strauss et Rach­mani­nov, par exem­ple, qui ont cap­i­tal­isé sur Wag­n­er et Tchaïkovs­ki, sa musique est totale­ment inno­vante et ne ressem­ble à aucune autre, avec des har­monies d’une extra­or­di­naire richesse, une orches­tra­tion foi­son­nante, des con­struc­tions non académiques et des thèmes d’un lyrisme exac­er­bé. Ses deux Con­cer­tos pour vio­lon méri­tent d’être rangés par­mi les grands con­cer­tos du XX e siè­cle, aux côtés de ceux de Prokofiev et Bar­tok, au-dessus de ceux de Sibelius et Elgar. Thomas Zehet­mair les a enreg­istrés en 1996 avec l’Orchestre sym­phonique de Birm­ing­ham dirigé par Simon Rat­tle, enreg­istrement réédité aujourd’hui avec la 4e Sym­phonie, pour piano et orchestre1 . Un très beau disque.

Milosz Mag­in, récem­ment dis­paru, pianiste et com­pos­i­teur, était Polon­ais lui aus­si. Philippe Devaux, excel­lent pianiste à décou­vrir, s’est mis en devoir de faire con­naître son œuvre en enreg­is­trant divers­es pièces dont une exquise Sonatine et sa Sonate n° 22 . Mag­in est, d’une cer­taine façon, un Kœch­lin polon­ais qui aurait écouté à la fois Bar­tok et Poulenc. Le jeu clair de Devaux est bien adap­té à cette musique austère et subtile.

Tan Dun vient d’enregistrer sous sa direc­tion, en pre­mière mon­di­ale, sa Pas­sion selon saint Matthieu sous le titre de Water Pas­sion3, avec deux solistes et le chœur Rias de Berlin. L’ensemble instru­men­tal se réduit à un vio­lon, un vio­lon­celle, et trois pupitres de per­cus­sions avec instru­ments divers, y com­pris cloches et eau sous toutes ses formes. On peut dire de Tan Dun, comme on l’a dit de Tchaïkovs­ki, qu’il écrit de la musique de film, adap­tée à son époque. Et alors ? Rien d’austère ni de facile non plus dans cette musique très évo­ca­trice, struc­turée et bien écrite, mar­quée par la musique religieuse tibé­taine, et que vous écouterez les yeux fer­més, dans votre posi­tion favorite de yoga, avec une théière de thé blanc à prox­im­ité. La musique dite clas­sique s’est figée au XIXe siè­cle, et l’habitude de broder sur les œuvres inter­prétées en con­cert s’est per­due en même temps que la capac­ité des instru­men­tistes à impro­vis­er. Mikhaïl Rudy, inter­prète majeur et indis­cutable, s’est asso­cié avec Misha Alperin pour une série d’improvisations à deux pianos sur des œuvres de Bach, Mozart, Schu­mann, Chopin, Debussy, Scri­abine, Prokofiev notam­ment4 . Résul­tat séduisant et intéres­sant, peut-être trop timide et trop pré­paré – on ne sent guère l’improvisation – mais, comme aurait dit Baude­laire, enfin du nouveau !

Deux opéras presque inconnus

Le suc­cès inex­tin­guible des Pins de Rome et des Fontaines de Rome a fait bien du mal à Respighi en occul­tant le reste de son œuvre pour­tant foi­son­nante et mul­ti­forme. La Cam­pana som­m­er­sa, écrit dans les années vingt d’après le drame sym­bol­iste Die Ver­sunkene Glocke de Ger­hardt Haupt­mann, con­voité par Rav­el, est un opéra fort et orig­i­nal, plus proche de Debussy et Brit­ten que de Puc­ci­ni, et qui devrait ten­ter les met­teurs en scène d’aujourd’hui et les détourn­er de leurs vaines entre­pris­es de renou­vel­er une fois de plus Cosi fan tutte ou Ari­ane à Nax­os. Bien sûr, il y a dans la Cam­pana som­m­er­sa la rage de tous les com­pos­i­teurs des années vingt de faire aus­si bien que Pel­leas, mais le style ital­ien, les arias superbes con­fiées aux prin­ci­paux solistes – ténor et sopra­no, les excel­lents Lau­ra Aikin et John Daszak dans l’enregistrement récent par l’Orchestre nation­al de Mont­pel­li­er dirigé par Friede­mann Lay­er5 – sont de nature à emporter l’adhésion du public.

Straszny Dwor (Le Manoir han­té) du Polon­ais Stanis­law Moniuszko (1819–1872), enreg­istré voici peu par les solistes, les chœurs et l’orchestre de l’Opéra nation­al de Varso­vie dirigés par Jacek Lasp­szyk6 , est l’archétype de l’opéra polon­ais patri­o­tique du XIXe siè­cle, comme La Vie pour le Tsar (vio­lem­ment antipolon­ais) de Glin­ka est celui de l’opéra russe. Aucune inno­va­tion, des airs sim­ples et bien jolis, une grandil­o­quence de bon aloi : une curiosité à décou­vrir si vous aimez Auber ou Meyerbeer.

Bartok et flûte éclectique

Bar­tok est, lui aus­si, vic­time du suc­cès d’un nom­bre rel­a­tive­ment restreint de ses œuvres, sur­jouées. Pour lui, comme pour d’autres (Prokofiev notam­ment), inter­prètes et organ­isa­teurs de con­certs devraient faire preuve de courage et s’intéresser à la par­tie immergée de l’iceberg. Ain­si des deux Sonates pour vio­lon et piano et de la Sonate pour vio­lon seul, enreg­istrés par Chris­t­ian Tet­zlaff, vio­lon, et Leif Ove And­snes7 . Les Sonates pour vio­lon et piano datent de la péri­ode la plus créa­tive de Bar­tok, au début des années vingt. En mari­ant recherch­es formelles fondées sur le dodé­ca­phon­isme et folk­lore hon­grois, Bar­tok donne un exem­ple écla­tant – hélas sans émule sérieux, le génie est chose rare – de ce que peut être l’innovation non pour elle-même mais au ser­vice de l’inspiration. La Sonate pour vio­lon seul, com­mandée par Menuhin alors que Bar­tok était dans la mis­ère aux États-Unis, et ter­minée peu avant sa mort, est sans doute le som­met de son œuvre : dans un total dépouille­ment, avec une per­fec­tion de la forme qui rejoint Bach, Bar­tok atteint, comme Bach avec l’Art de la Fugue, à l’absolu, après lequel il n’est plus que silence.

Pour ter­min­er sur une note plus déten­due, si vous aimez la flûte et le grand Michel Debost, digne suc­cesseur de Jean-Pierre Ram­pal, si vous avez aimé les trois dis­ques “ Flûte Panora­ma ”, vous aimerez le nou­veau “Panora­ma pour flûte et orchestre”, pro­duit par notre cama­rade Jean-Pierre Fer­ey8 . Avec l’Orchestre sym­phonique de Miskolc (Hon­grie), dirigé par François-Xavier Roth, Michel Debost joue des pièces char­mantes qui n’ont d’autre objet que d’être agréables tout en étant bien écrites, de Saint-Saëns, Cham­i­nade, Bern­stein, et même Boulez, et d’auteurs moins con­nus comme Arthur Foote, avec A Night Piece qui aurait pu inspir­er Miles Davis.

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1. 1 CD EMI 5 57777 2.
2. 1 CD PASSAVANT PAS 1002.
3. 2 CD SONY 099708.
4. 1 CD EMI 5 57769 2.
5. 2 CD ACCORD 476 1884.
6. 2 CD EMI 5 57489 2.
7. 1 CD VIRGIN 5 45668 2.
8. 1 CD SKARBO DSK 3042.

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