DEUX PIANISTES ÉCLECTIQUES ET POLYTECHNICIENS

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°642 Février 2009Par : François de Larrard (78) et Jean-Pierre Ferey (75)Rédacteur : Jean Salmona (56)

Detoeuf a dit que l’École poly­tech­nique mène à tout, à con­di­tion d’en sor­tir. Les exem­ples ne man­quent pas de très bons musi­ciens, de com­pos­i­teurs, et même, avec Claude Helf­fer autre­fois et Jonathan Gilad aujourd’hui, de grands con­certistes de répu­ta­tion inter­na­tionale. Il y a aus­si deux nova­teurs, orig­in­aux, deux pianistes aux­quels est con­sacrée la présente chronique.

François de Larrard

François de Lar­rard est d’abord un jazzman de niveau pro­fes­sion­nel, bien con­nu, notam­ment, des habitués de Jazz X, et nous avons com­men­té ici ses enreg­istrements précé­dents. François est un musi­cien typ­ique­ment français – clarté, mesure et sub­til­ité – dans la lignée de Couperin à Debussy Il nous présente aujourd’hui deux dis­ques. Tout d’abord, sous le titre Pour Suite…, un disque de jazz avec son Quin­tette Rose Vocat (avec trompette, trom­bone, basse et bat­terie), dans des com­po­si­tions de lui-même et du trompet­tiste Evans Gouno1. Ce jazz, com­plexe, aton­al, très con­stru­it mais avec une place à l’improvisation, a deux car­ac­téris­tiques : il se dis­tingue par des recherch­es de rythme très nova­tri­ces, des har­monies qui doivent plus au game­lan bali­nais et au sys­tème modal qu’à Duke Elling­ton et Thelo­nious Monk ; et il ne ressem­ble à aucun autre, y com­pris par les arrange­ments qui relèvent plus de la musique de cham­bre et du con­tre­point que du jazz habituel.

Mais François est aus­si pianiste clas­sique et clavecin­iste, et le deux­ième disque com­prend, de Couperin (François), le 11e Ordre des pièces de clavecin et l’Art de touch­er le clavecin, et de Rameau cinq pièces tran­scrites des Con­certs2. Là, nous tou­chons à la per­fec­tion et au plaisir jubi­la­toire. François, rompu à l’élégance des orne­ments, ne joue pas « mécanique », comme tant de clavecin­istes, tout en se gar­dant des excès de l’interprétation trop libre. Il joue Rameau et Couperin comme on joue Debussy, et nous révèle comme une évi­dence math­é­ma­tique l’extrême raf­fine­ment d’une musique qui dis­simule sous une apparence galante et d’abord presque facile – pudeur à la Rav­el – une inven­tion et une com­plex­ité dignes du con­tem­po­rain Bach. Et il nous fait oubli­er bien vite tel pianiste d’aujourd’hui qui, sous cou­vert d’hommage, est, au fond, un peu trop le clone de la grande Mar­celle Mey­er. Sur le même disque, cinq Diurnes pour clavecin de Lar­rard, syn­thèse, d’une cer­taine façon, du jazz et de la musique du XVI­I­Ie siècle.

Jean-Pierre Ferey

Tout ama­teur quelque peu for­tuné avait autre­fois son « cab­i­net de curiosités ». Le mot a été gal­vaudé, et les « Curios Shops » que l’on trou­ve dans cer­tains pays, comme l’Inde, n’abritent plus guère que de pau­vres arti­cles d’artisanat pour touristes. Et pour­tant, il est tou­jours agréable de ren­con­tr­er des « curiosités », c’est-à-dire des objets, livres, pièces de musique, inso­lites, inhab­ituels. Notre cama­rade Jean-Pierre Fer­ey, pianiste, qui dirige la mai­son Skar­bo, s’est fait une spé­cial­ité de l’insolite discographique, et nous pro­pose ce mois-ci, sous le titre Toc­ca­ta Fes­ti­va, avec Frédéric Ledroit et lui-même au piano, un ensem­ble de pièces pour orgue et piano, har­mo­ni­um et piano, que l’on n’entend jamais3. Or, si les pièces de Boëll­mann et Widor relèvent effec­tive­ment de la caté­gorie des curiosités, si celles d’Eugène Gigout baig­nent dans une atmo­sphère nos­tal­gique qui évoque selon l’humeur l’orgue de Bar­barie ou les films de René Clair, la Toc­ca­ta Fes­ti­va de Samuel Bar­ber est une pièce majeure, un véri­ta­ble con­cer­to pour orgue et piano, aux har­monies jazz­iques, aux con­struc­tions savantes, que Rav­el et Bar­tok eussent aimée et qui jus­ti­fie le disque à elle seule : une révélation.

1. 1 CD http://rosevocat.free.fr
2. 1 CD http://francoisdelarrard.chez-alice.fr
3. 1 CD SKARBO.

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