Fanfares pour entrer dans l’hiver

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°539 Novembre 1998Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Devant la pro­duc­tion foi­son­nante de la sai­son – les fêtes approchent – une alter­na­tive : focalis­er sur deux ou trois dis­ques excep­tion­nels, ou citer tout ce qui reste après un pre­mier tri. Le désir d’être éclec­tique l’emporte, mais con­damne évidem­ment au style télé­graphique (mais pas au style “ e‑mail ”, auquel on peut encore résister).

Bach

Les Can­tates par Tom Koop­man (vol­ume 7)1

Dans cette inté­grale égrenée avec régu­lar­ité, on va de bon­heur en bon­heur. Ici, le pre­mier cycle annuel de can­tates sacrées com­posées à Leipzig (1723–1724) par un Bach pro­lifique qui en écrit une pour chaque dimanche – en puisant un peu, ici et là, dans son réper­toire de Cöthen – pour se con­stituer un réper­toire à long terme. Pas une faib­lesse, pas un temps mort, une série de petits chefs‑d’oeuvre (12 dans ce vol­ume), avec un chef‑d’oeuvre plus grand, Herz und Mut und Tat und Leben.

Mendelssohn

Quatuors op. 12 et 13, par le Quatuor Mosaïques2

Mendelssohn était pré­coce et génial ; il a assim­ilé les quatuors de Beethoven mais il ne les copie pas, et ce que les com­pos­i­teurs con­fient en général vers la fin de leur vie à la for­ma­tion intimiste et con­cen­trée du quatuor, il le dit – pour ces deux quatuors – entre 18 et 20 ans, et c’est mer­veilleuse­ment con­stru­it, expres­sif, chan­tant. Il ne faut pas sous-estimer Mendelssohn : il a peut-être été le Mozart du XIXe siècle.

Kœchlin

Sonates pour vio­lon et piano, pour alto et piano3

Le cama­rade Fer­ey, qui édite ce disque, l’a inti­t­ulé “ La pas­sion de la liber­té ”, et il est vrai que notre grand ancien (pro­mo 1887) n’appartient à aucune école, et qu’il écrit ici une musique qui ne ressem­ble à aucune autre, con­tem­po­raine pour­tant des sonates de Debussy et Fau­ré. Si vous trou­vez Kœch­lin générale­ment ennuyeux (et pas tou­jours sans rai­son), écoutez ce disque, et il vous réc­on­ciliera avec un homme soli­taire et exigeant, mais non austère.

Bernstein compositeur

The Age of Anx­i­ety (sym­phonie n° 2 pour piano et orchestre), Séré­nade pour vio­lon solo, cordes, harpe et per­cus­sion, d’après le Ban­quet de Pla­ton, avec Isaac Stern4,
Kad­dish (sym­phonie n° 3 avec réc­i­tant, mez­zo-sopra­no, choeurs et orchestre, à la mémoire de J. F. Kennedy), Chich­ester Psalms pour choeur et orchestre5, les deux dis­ques avec le New York Phil­har­mon­ic, dir. L. Bernstein.

Un des qua­tre ou cinq grands chefs du demi-siè­cle, un fab­uleux péd­a­gogue, un homme engagé et anti­con­formiste, Bern­stein aura été aus­si pour l’Amérique de ce demi-siè­cle le com­pos­i­teur le plus représen­tatif, ce que Gersh­win avait été aux années 1920–1930 : hyper­créatif, généreux, foi­son­nant, éclec­tique. À découvrir.

Mahler,

Sym­phonie n° 3 par Esa-Pekka Salo­nen et le Los Ange­les Phil­har­mon­ic6
Sym­phonie n°7 par Bern­stein et le New York Phil­har­mon­ic7

La Troisième est l’une des moins jouées, peut-être parce que l’une des plus longues (95 min­utes) et deman­dant un effec­tif choral con­sid­érable, mais sans doute la plus orig­i­nale. C’est la Troisième qui se ter­mine par l’ineffable mou­ve­ment “ Langsam Ruhevoll ” que Béjart fit danser naguère par Jorge Donn sous le titre Ce que l’Amour me dit. La Sep­tième, plus clas­sique, con­tient elle aus­si un mou­ve­ment lent d’anthologie, “ Nacht­musik 2 Andante amoroso ”, dont Bern­stein exagère infin­i­ment la lenteur, pour notre plus grand plaisir. Salo­nen : une direc­tion trans­par­ente, aéri­enne, pré­cise, à la Boulez.

Pianistes :

• Martha Arg­erich, Prokofiev, Con­cer­tos 1 et 3, Bar­tok, Con­cer­to 3, Orch. Sym­phonique de Mon­tréal dir. Charles Dutoit8
• Mikhaïl Rudy, Shostakovich (ou Chostakovitch, au choix), Con­cer­to 2, Lon­don Phil­har­mon­ic, dir. Mariss Jan­sons9

Arg­erich est per­cu­tante, ultra-rapi­de, avec une tech­nique dia­bolique, et les trois con­cer­tos choi­sis, trois con­cer­tos majeurs du piano mod­erne, lui vont comme un gant (on regrette tout de même un peu le roman­tisme d’un Sam­son François dans le 3e de Prokofiev). Rudy joue un con­cer­to rigoureuse­ment clas­sique, chan­tant, léger, précédé par la Sym­phonie n°15, la dernière de Chostakovitch, com­plexe, à “ clés ”, intéres­sante comme un rébus com­pliqué, énig­ma­tique comme, en défini­tive, toute sa musique.

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1. 3 CD ERATO 3984–23141‑2.
2. 1 CD AUVIDIS E 8622.
3. 1 CD SKARBO D SK 1985.
4. 1 CD SONY SMK 60 558.
5. 1 CD SONY SMK 60 595.
6. 2 CD SONY S2K 60 250.
7. 1 CD SONY SMK 60 564.
8. 1 CD EMI 5 56654 2.
9. 1 CD EMI 5 56591 2.

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