Trajectoire de développement pour le trafic individuel motorisé (TIM).

Préparer les villes à accueillir des véhicules automatisés

Dossier : Urbanisme et mobilitéMagazine N°738 Octobre 2018
Par Fabienne PERRET
Par Camille GIROD

Le développe­ment de la con­duite automa­tisée mobilise d’énormes moyens dans le monde indus­triel et tech­nologique. Pour les villes et les ter­ri­toires, il est essen­tiel d’étudier les con­séquences d’un déploiement de ces nou­veaux modes de déplace­ment et les straté­gies à déploy­er en con­séquence : adap­ta­tion des infra­struc­tures, ajuste­ments juridiques, évo­lu­tion du rôle des autorités publiques, etc. 

Dans un pre­mier rap­port, nous avons cher­ché à don­ner un aperçu com­plet et réal­iste du développe­ment de la con­duite automa­tisée dans le pays durant les prochaines années, tant du point de vue des autorités publiques (villes, aggloméra­tions et can­tons), que de celui des prestataires de ser­vices de trans­port ain­si que des plan­i­fi­ca­tri­ces et plan­i­fi­ca­teurs. Le rap­port se con­cen­tre sur les pos­si­bil­ités d’utilisation dans le cadre de la mobil­ité quo­ti­di­enne, et le rôle que les dif­férentes par­ties prenantes joueront dans cette évolution. 

REPÈRES

Les véhicules automa­tisés ont le poten­tiel de chang­er fon­da­men­tale­ment notre mobil­ité. Cepen­dant, nous ne savons guère com­ment cela affectera notre com­porte­ment en matière de mobil­ité, de cir­cu­la­tion routière, de développe­ment du ter­ri­toire ou des besoins en infra­struc­tures. En col­lab­o­ra­tion avec de nom­breux parte­naires, EBP a réal­isé une étude qui situe les effets de la con­duite automa­tisée dans le con­texte suisse et qui pro­pose des ori­en­ta­tions sur ce sujet. 

Un développement en six étapes

Le sché­ma 1 représente une tra­jec­toire en six étapes du développe­ment de l’automatisation dans le traf­ic indi­vidu­el motorisé (TIM), aujourd’hui jugée plau­si­ble par les spé­cial­istes. Quant à savoir quelle suc­ces­sion d’étapes depuis les véhicules con­ven­tion­nels jusqu’à l’automatisation com­plète sera effec­tive­ment suiv­ie, cela dépend entre autres des développe­ments tech­niques, du cadre légal, de l’acceptation par la société et des déci­sions du monde politique. 


Sché­ma 1 : tra­jec­toire de développe­ment pour le traf­ic indi­vidu­el motorisé (TIM).

Le mod­èle décrit se base sur les cinq niveaux d’automatisation défi­nis au plan inter­na­tion­al. Les autori­sa­tions et appro­ba­tions néces­saires seront tech­nique­ment et spa­tiale­ment éten­dues, de l’autorisation spé­ciale pour des pistes d’essai pour cer­tains développeurs, par l’ouverture tem­po­raire de voies ou routes pilotes de véhicules préal­able­ment autorisés, jusqu’à l’ouverture générale de l’ensemble du réseau routi­er aux véhicules automatisés. 

Une ouverture progressive

Ceux-ci devraient pré­val­oir d’abord sur les routes à haut débit (état 2 et 3 du sché­ma), et ensuite dans les espaces urbains (état 3 et 4). Du fait de son sys­tème fer­mé, l’exploitation du réseau autorouti­er est plus sim­ple. Dans les espaces urbains, la sit­u­a­tion est beau­coup plus com­plexe en rai­son du traf­ic mixte avec d’autres moyens de trans­port (vélos, bus, pié­tons, etc.). Cepen­dant, les vitesses de cir­cu­la­tion sont plus faibles et par con­séquent les pos­si­bil­ités des tech­nolo­gies de détec­tion d’objets en mou­ve­ment sont net­te­ment meilleures. En out­re, la cou­ver­ture du réseau de don­nées, indis­pens­able à la con­duite automa­tisée, devrait encore longtemps être meilleure que dans les zones rurales. Pour cette rai­son, l’application de la con­duite automa­tisée sur les routes interur­baines n’est pas envis­agée avant l’état 4. 

Dans l’état 6, le com­porte­ment de mobil­ité est poussé sous l’influence de l’État dans une direc­tion durable, à l’aide de (nou­velles) régle­men­ta­tions et (nou­veaux) sys­tèmes inci­tat­ifs. Tous les moyens de trans­port peu­vent être affec­tés. L’influence inclut, par exem­ple, des inci­ta­tions à regrouper les itinéraires ou la restric­tion des tra­jets à vide. L’application de ces instru­ments peut égale­ment avoir lieu dans des états précé­dents, mais elle a été délibéré­ment placée à la fin de la tra­jec­toire de développe­ment pour une éval­u­a­tion d’impacts différenciée. 

L’espace urbain affecté à différentes échelles

Dans une sec­onde phase d’étude, des mod­ules d’approfondissement ont été étab­lis, comme l’analyse des effets de l’utilisation de véhicules automa­tisés sur l’espace urbain en Suisse. Ces effets se reflè­tent à deux échelles spa­tiales : d’une part à petite échelle au sein des villes et des aggloméra­tions, par exem­ple sur l’espace urbain, et d’autre part, égale­ment à grande échelle sur la struc­ture du milieu bâti. 

Importance  des changements subis par les types de trafic dans chaque espace  de mobilité.
Impor­tance des change­ments subis par les types de traf­ic dans chaque espace
de mobilité.

L’accent a tout d’abord été mis sur les effets de l’utilisation de véhicules automa­tisés sur le traf­ic dans l’espace urbain des villes et des aggloméra­tions et dans les espaces de mobil­ité en faisant par­tie. Force est de con­stater que ces effets dif­fèrent selon la fonc­tion d’un espace routi­er et dépen­dent du con­texte respec­tif lié aux affec­ta­tions lim­itro­phes et à la « mobil­ité vécue ». Pour l’analyse spa­tiale, cinq types d’espaces de mobil­ité ont donc été dis­tin­gués : axe de cir­cu­la­tion prin­ci­pal, artère cen­trale, route de quarti­er, zone arti­sanale et cen­tre de trans­port multimodal. 

Des changements à prévoir dans les différents espaces de mobilité

Les prob­a­bles change­ments dans les villes et aggloméra­tions résul­tant d’un état d’automatisation com­plète ont été décrits au vu des dif­férents types de traf­ic. Les chances et les risques qui en découlent ont été dif­féren­ciés selon les espaces con­sid­érés. Le tableau page 47 présente un aperçu des espaces de mobil­ité sus­cep­ti­bles d’être par­ti­c­ulière­ment con­cernés par les change­ments subis. 

D’une manière générale, les axes de cir­cu­la­tion prin­ci­paux et les zones arti­sanales sont les moins touchés étant don­né leur moin­dre com­plex­ité. En revanche sur les artères cen­trales, aux nom­breuses fonc­tions et affec­ta­tions essen­tielles pour le développe­ment urbain, plusieurs effets prob­a­bles sur la cir­cu­la­tion routière se super­posent. Il s’agit toute­fois d’attirer l’attention sur le fait que la fonc­tion­nal­ité d’un sys­tème de traf­ic urbain glob­al résulte de l’interaction de tous les modes de trans­port et de l’ensemble des espaces de mobilité. 

Transport urbain
© Leonid Andronov 

Risques, opportunités et défis

Pour les villes et les aggloméra­tions, la con­duite automa­tisée com­porte des oppor­tu­nités mais aus­si des risques et défis prévis­i­bles. Pour les villes, l’effet à long terme dépen­dra fon­da­men­tale­ment de l’exploitation des avan­tages de la con­duite automa­tisée dans le but de ren­forcer les trans­ports col­lec­tifs. En revanche, l’augmentation prob­a­ble de l’attrait (relatif) du TIM s’accompagnera d’effets indésir­ables : risque d’altération du traf­ic pié­ton­nier et cycliste, besoins d’aménagement des espaces publics, dif­fi­culté à exploiter des éventuels gains d’efficacité dans le traf­ic motorisé… 

Des incer­ti­tudes man­i­festes entourent encore l’évaluation des effets envis­age­ables dans les aggloméra­tions du fait des incon­nues tech­nologiques. Par ailleurs, les effets sur le ter­ri­toire résul­tant de l’utilisation des véhicules automa­tisés ne peu­vent pra­tique­ment pas être analysés de manière isolée. Pour la mise en place com­plète de la con­duite automa­tisée, le sys­tème de trans­port d’une ville doit être plan­i­fié à long terme, et est par con­séquent influ­encé par un grand nom­bre d’autres évo­lu­tions au niveau des trans­ports, de la société ou de l’économie. En out­re, la coex­is­tence de véhicules appar­tenant à dif­férents niveaux d’automatisation, ain­si qu’avec des véhicules non automa­tisés et d’autres usagers de la route, car­ac­téris­era encore pen­dant des décen­nies le paysage des trans­ports en ville. 

Dix pré­con­i­sa­tions

Le rap­port for­mule dix ori­en­ta­tions stratégiques et les mesures envis­age­ables cor­re­spon­dantes pour les villes et aggloméra­tions : plan­i­fi­er la mobil­ité de manière glob­ale et respectueuse de la ville ; tester des pos­si­bil­ités, échang­er des expéri­ences et élargir les con­nais­sances ; inté­gr­er les besoins et les requêtes des aggloméra­tions ; entretenir les dis­cus­sions publiques et aug­menter la sen­si­bil­i­sa­tion ; lim­iter le sur­plus de traf­ic ; ren­forcer les offres de trans­port col­lec­tif ; gér­er et con­trôler intel­ligem­ment les flux de traf­ic ; opti­miser l’utilisation des sur­faces publiques et privées ; garan­tir la sécu­rité de tous les usagers du traf­ic ; con­tribuer à une logis­tique des cen­tres-villes respectueuse de l’espace urbain. 

Respecter l’espace urbain et l’environnement

Le prin­ci­pal défi pour les aggloméra­tions est la mise en place d’un traf­ic respectueux de l’espace urbain et de l’environnement. Les pos­si­bil­ités d’action en ce qui con­cerne l’utilisation de véhicules automa­tisés doivent donc être inté­grées dans une con­sid­éra­tion glob­ale plus vaste qui regroupe des aspects de plan­i­fi­ca­tion en ter­mes de traf­ic, de ter­ri­toire et d’aménagement urbain. 

Les zones rurales peuvent redouter un mitage  du paysage soutenu  ou accru.
Les zones rurales peu­vent red­outer un mitage du paysage soutenu ou accru.

Des effets contrastés selon les zones

La struc­ture de l’espace devrait subir des change­ments majeurs, notam­ment liés aux mod­i­fi­ca­tions de l’accessibilité dans le TIM. Les espaces ruraux devraient en tir­er le plus grand prof­it, par des gains d’accessibilité sub­stantiels dus aux aug­men­ta­tions de capac­ité du réseau. L’utilisation du temps de tra­jet con­tin­uera de ren­forcer l’attrait du traf­ic pen­du­laire vers les espaces cen­traux. C’est tout par­ti­c­ulière­ment dans les zones rurales pau­vres en offres de trans­ports publics (TP), que des groupes d’usagers sup­plé­men­taires comme les enfants ou les per­son­nes âgées pour­ront amélior­er leur mobilité. 

En revanche, dans les villes et aggloméra­tions, les gains d’accessibilité devraient être plus faibles voire même négat­ifs. En effet, les encom­bre­ments pour­raient aug­menter compte tenu du sur­plus de traf­ic estimé et des capac­ités lim­itées. À cela vient s’ajouter le risque que le sur­plus de traf­ic et la faible dis­tance inter-véhicules réduisent la qual­ité de vie et de séjour. 

Une approche multi-domaine

La mise en œuvre des straté­gies de mobil­ité for­mulée néces­sit­era de cou­vrir de nom­breux thèmes et domaines. Notons en par­ti­c­uli­er la créa­tion d’un cadre juridique et d’un régime d’autorisation ; l’organisation du marché pour les nou­velles formes de trans­port col­lec­tif ; le posi­tion­nement et les mod­èles économiques des entre­pris­es de trans­port pub­lic actuelles ; la ges­tion des espaces ; le pilotage et con­trôle de la mise en place. 

Mitage du paysage et urbanisation accrue

En rai­son du décalage de l’attrait relatif, les zones rurales peu­vent red­outer un mitage du paysage soutenu ou accru. On peut toute­fois escompter que les gains d’efficacité dans les TP et les nou­velles formes d’offres dans le trans­port indi­vidu­el pub­lic (TIP) assureront l’attrait des espaces urbains et con­tin­ueront à ren­forcer les ten­dances d’urbanisation exis­tantes. En ce qui con­cerne les effets sur la struc­ture du milieu bâti, l’interaction et la con­cur­rence entre le TIM et le traf­ic col­lec­tif (TP, TIP) seront déter­mi­nantes. On ne peut toute­fois pas escompter que la mobil­ité automa­tisée à elle seule puisse mod­i­fi­er fon­da­men­tale­ment le rap­port entre les espaces. 

Planifier le trafic de façon harmonisée

Les réper­cus­sions à grande échelle sur la struc­ture de l’espace du milieu bâti dépen­dront en majeure par­tie des régle­men­ta­tions applic­a­bles à ce mode de con­duite ain­si qu’à la ges­tion du traf­ic et à l’aménagement du ter­ri­toire. Cela exige une plan­i­fi­ca­tion har­mon­isée du traf­ic et du ter­ri­toire qui tient compte des effets envis­age­ables de la con­duite automa­tisée. Dans ce con­texte, la con­duite automa­tisée offre la chance d’optimiser les chaînes de mobil­ité inter­modale, d’améliorer la liai­son entre les dif­férents modes et moyens de trans­port et d’intégrer les groupes d’usagers qui, jusqu’à ce jour, ne dis­po­saient que d’une mobil­ité restreinte. 

Dans les espaces urbains, la situation  est très complexe.
Dans les espaces urbains, la sit­u­a­tion est très complexe.

Pour une stratégie de la mobilité

Afin de gér­er les risques et oppor­tu­nités liés à l’automatisation de la con­duite, des straté­gies coor­don­nées por­tant sur la façon dont la con­duite automa­tisée peut être util­isée pour attein­dre les objec­tifs (poli­tiques) exis­tants ou futurs doivent être for­mulées à tous les niveaux éta­tiques. Il faut trou­ver un équili­bre entre les oppor­tu­nités économiques et sociales d’une part, et les risques liés à l’augmentation du traf­ic d’autre part, par exem­ple en ter­mes de bruit, de ressources ou d’utilisation du sol. L’État a pour tâche de créer les con­di­tions cadres idéales pour le fonc­tion­nement de l’économie et pour le bien-être indi­vidu­el de la pop­u­la­tion, tout en étant respon­s­able d’éviter les impacts nuis­i­bles sur la pop­u­la­tion et l’environnement.

Piloter et contrôler le déploiement

Il est néces­saire de démon­tr­er que les effets négat­ifs de la con­duite automa­tisée seront con­trôlés avec suc­cès. Des sys­tèmes de sur­veil­lance et de con­trôle appro­priés doivent donc être dévelop­pés à un stade pré­coce par la Con­fédéra­tion suisse, les can­tons et les villes con­join­te­ment, et leur applic­a­bil­ité doit être véri­fiée. La déf­i­ni­tion des don­nées néces­saires au pilotage et au con­trôle doit égale­ment s’inscrire dans ce con­texte. Si les effets posi­tifs souhaités sont restreints ou ne se con­cré­tisent pas, une redéf­i­ni­tion des straté­gies de mobil­ité, des bases juridiques ou de la mise en œuvre doit être envisagée. 

Du fait de son système fermé, l’exploitation  du réseau autoroutier est plus simple.
Du fait de son sys­tème fer­mé, l’exploitation du réseau autorouti­er est plus simple.

Acquérir de l’expérience

Aujourd’hui, il est dif­fi­cile de prédire ou de mod­élis­er les nom­breuses pos­si­bil­ités et les défis futurs de la con­duite automa­tisée. Des expéri­ences d’essai et des pro­jets pilotes peu­vent être util­isés pour acquérir de l’expérience et des con­nais­sances sur le traf­ic et les effets spatiaux. 

L’action du secteur pub­lic doit s’organiser autour de trois axes : pro­mou­voir les essais des entre­pris­es privées et exam­in­er com­ment les villes et aggloméra­tions peu­vent s’impliquer dans la mise en place et le suivi de ces essais axés sur le marché ; dans le cas d’essais financés par des entre­pris­es publiques de trans­port, s’assurer que le con­tenu des essais est coor­don­né et que les résul­tats sont sys­té­ma­tique­ment enreg­istrés et échangés ; tester les effets des règle­ments et des exi­gences avant leur intro­duc­tion à grande échelle. C’est la seule façon de détecter et d’éviter les effets indésir­ables à un stade précoce. 

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