Autoroutes

Des jumeaux numériques pour les routes de demain

Dossier : Urbanisme et mobilitéMagazine N°738 Octobre 2018
Par Jean-Laurent FRANCHINEAU

Les véhicules de demain seront de plus en plus con­nec­tés et autonomes. Si l’attention des médias se porte surtout sur les voitures et leurs équipements, il ne faut pas oubli­er que les infra­struc­tures routières devront con­naître des boule­verse­ments sim­i­laires. Car, demain, nos routes assis­teront encore plus nos véhicules. 


© Bob 

Avec l’arrivée des véhicules autonomes et con­nec­tés, nos sociétés entrent dans l’ère des sys­tèmes de sys­tèmes du trans­port ter­restre routi­er dont les com­posantes prin­ci­pales seront des véhicules plus ou moins autonomes (depuis la délé­ga­tion de con­duite de niveau 3 jusqu’à son automa­ti­sa­tion totale de niveau 5 sur toutes les routes), des infra­struc­tures routières coopéra­tives et con­nec­tées, et des sys­tèmes d’information back-office qui traiteront en temps réel une masse impor­tante d’informations recueil­lies sur ces voies et qui fourniront une super­vi­sion à ces nou­veaux véhicules. 

REPÈRES

VeDe­CoM (VÉhicule DÉcar­boné COm­mu­ni­quant et sa Mobil­ité) est un nou­v­el organ­isme instal­lé à Sato­ry, porté par le pôle Mov’eo, des­tiné à ren­forcer l’innovation dans le domaine des trans­ports ter­restres et de l’écomobilité. Cet insti­tut de tran­si­tion énergé­tique (ITE) regroupe une cinquan­taine de parte­naires, dont une par­tie des fil­ières de l’automobile, des infra­struc­tures et de l’écomobilité, des décideurs et acteurs des ter­ri­toires et des représen­tants de la recherche académique. Il pos­sède des com­pé­tences mul­ti­dis­ci­plinaires éten­dues allant des matéri­aux et procédés relat­ifs aux com­posants élec­triques, des out­ils de maîtrise de l’énergie jusqu’aux fac­teurs humains liés à la con­duite de véhicules et à l’économie et à l’aménagement du territoire. 

Une évolution progressive

À court terme, par rap­port aux cas d’usage envis­agés, il faut s’attendre à voir des véhicules par­ti­c­uliers à con­duite déléguée en zone péri­ur­baine sur voies à chaussées séparées qui apporteront une assis­tance au pilotage en con­di­tion d’embouteillage sur périphériques ou sur autoroutes péri­ur­baines à moins de 50 km/h et qui néces­siteront une infra­struc­ture con­nec­tée en cer­tains points seule­ment (comme les bretelles d’accès, les zones de bifur­ca­tion, les péages, les zones de travaux ou les lieux d’accidents). Nous voyons égale­ment des navettes autonomes de trans­port de voyageurs ou de logis­tiques sur voie dédiée ou sur zones pro­tégées sans con­duc­teur à bord qui cou­vriront les pre­miers ou les derniers kilo­mètres de déplace­ment à vitesse réduite autour de 30 km/h et qui s’appuieront sur une infra­struc­ture de bord de route très équipée de caméras, de radars et de bornes de com­mu­ni­ca­tion aux car­refours et aux intersections. 

Cinq niveaux d’aide à la conduite

Les con­struc­teurs se sont mis d’accord sur une clas­si­fi­ca­tion des niveaux d’autonomie en cinq niveaux : 

  • Niveau 1 : assistance ; 
  • Niveau 2 : avec super­vi­sion du conducteur ; 
  • Niveau 3 : sans super­vi­sion tem­po­raire du con­duc­teur et con­nec­tiv­ité véhicule-véhicule & véhicule-infrastructure ; 
  • Niveau 4 : sans super­vi­sion du con­duc­teur mais avec super­vi­sion déportée et con­nec­tiv­ité hybride redondée ; 
  • Niveau 5 : con­duite autonome sur toutes les routes. 

Des infrastructures routières à adapter

Ces pre­miers cas d’usage nous amè­nent à décou­vrir ou à redé­cou­vrir l’importance d’une infra­struc­ture routière lis­i­ble, coopéra­tive et numérisée. 

Il fau­dra adapter la sig­nal­i­sa­tion routière hor­i­zon­tale et ver­ti­cale, pour tenir compte d’un niveau de dégra­da­tion accept­able pour être lu et recon­nu en toutes cir­con­stances par les caméras et les lidars des nou­veaux véhicules. 

En ce qui con­cerne la con­nec­tiv­ité véhicule-infra­struc­ture, il y aura lieu de définir les zones à équiper a min­i­ma : bretelles d’accès, zones d’incidents ou d’accidents, zones de travaux, zones de bifur­ca­tion, zones de péage et car­refours. Il fau­dra égale­ment définir une poli­tique d’équipement en matière de télé­com­mu­ni­ca­tions en fonc­tion de la qual­ité de ser­vice atten­du le long des routes, en com­bi­nant au mieux les pos­si­bil­ités offertes par les divers­es généra­tions de télécommunications. 

Enfin, la numéri­sa­tion des infra­struc­tures jouera un rôle de plus en plus déter­mi­nant. Il con­vien­dra de définir le niveau de pré­ci­sion car­tographique req­uis et le niveau de rafraîchisse­ment d’information dynamique ou semi-dynamique atten­du pour ces nou­veaux véhicules autonomes. À cette fin, on com­mence à par­ler de car­togra­phie locale haute déf­i­ni­tion qui sig­nalera en temps réel les zones de travaux ou inci­dents et des points remar­quables dont on con­naît la pré­ci­sion comme les amers. 

Un indispensable travail de recherche

Ain­si, au cours de ces qua­tre dernières années, les travaux de recherche au niveau de l’institut VeDe­CoM en parte­nar­i­at avec l’Ifsttar, le Cere­ma et le SER dans le cadre du plan véhicule autonome nous ont amenés à remet­tre sur le devant de la scène les infra­struc­tures routières et leurs enjeux de mod­erni­sa­tion dans la per­spec­tive d’une route au xxie siè­cle con­nec­tée, automa­tisée et plus sûre. Cette mod­erni­sa­tion de la route va amen­er quelques change­ments pro­fonds à de mul­ti­ples niveaux. 

Les promess­es de la « 5G »

En télé­com­mu­ni­ca­tions, 5G est la cinquième généra­tion de stan­dards pour la télé­phonie mobile. 

La tech­nolo­gie 5G qui pour­rait per­me­t­tre des débits de télé­com­mu­ni­ca­tion mobile de plusieurs giga­bits de don­nées par sec­onde, soit jusqu’à mille fois plus rapi­de que les réseaux mobiles en 2013 et jusqu’à cent fois plus rapi­de que la 4G à l’horizon 2024. Ces débits élevés sont une réponse aux besoins crois­sants de don­nées liés à l’essor des smart­phones et des objets con­nec­tés. Des tests sont prévus en 2018 dans plusieurs régions de France pour un déploiment pro­gres­sif à par­tir de 2019. 

Un référentiel numérique harmonisé

Au niveau numérique, toutes les tâch­es du ges­tion­naire de l’infrastructure vont devoir être numérisées et gérées dans la con­ti­nu­ité selon un référen­tiel numérique méti­er (en anglais, on par­le de BIM pour Build­ing Infor­ma­tion Mod­el­ing, de Build­ing Infor­ma­tion Mod­el, ou encore de Build­ing Infor­ma­tion Man­age­ment). Ce référen­tiel cou­vre la con­cep­tion de la voie, les équipemen­tiers qui lui sont attachés, sans oubli­er les ges­tions de travaux et les inci­dents au quo­ti­di­en. Il implique un lan­gage com­mun pour décrire les infor­ma­tions et don­nées con­cer­nant la cir­cu­la­tion : c’est le rôle de Datex II. Tous ces élé­ments devront être géoréférencés de manière pré­cise allant jusqu’à 10 cm (pré­ci­sion visée par le véhicule autonome pour le main­tien dans sa voie) et visant un rafraîchisse­ment de ces infor­ma­tions entre 100 et quelques mil­lisec­on­des en util­isant une com­mu­ni­ca­tion hybride (ten­ant compte de la vitesse de cir­cu­la­tion du véhicule jusqu’à 130 km/h, de la portée des cap­teurs de per­cep­tion locale du véhicule caméra, radar et lidar, et de la cou­ver­ture des vecteurs radio : G5 pour la tech­nolo­gie proche du wifi avec une portée max­i­male de 800 m ou la télé­phonie mobile 4G puis bien­tôt la 5G avec une portée de plusieurs kilomètres). 

Des navettes autonomes peuvent couvrir les derniers kilomètres d’un trajet.
Des navettes autonomes peu­vent cou­vrir les derniers kilo­mètres d’un tra­jet. 
© ladysuzi 

Créer les conditions d’une interopérabilité totale

Une interopéra­bil­ité totale entre véhicules et infra­struc­tures est indis­pens­able pour garan­tir le bon fonc­tion­nement et la sécu­rité des routes de demain et des véhicules autonomes qui les emprunteront. 

Les exploitants routiers, les lab­o­ra­toires de recherche en trans­port et l’administration vont devoir se coor­don­ner et s’organiser pour être plus présents dans les activ­ités de nor­mal­i­sa­tion au niveau européen (CEN) comme inter­na­tion­al (ISO). Ces activ­ités con­cer­nent en par­ti­c­uli­er les aides à la con­duite, des cap­teurs de bord ou les inter­faces homme-machine, les sys­tèmes de trans­port intel­li­gents (car­togra­phie, échanges d’informations routières entre ges­tion­naires d’infrastructures et four­nisseurs d’information géo­graphique locale dynamique. Ils devront aus­si s’intéresser aux travaux des équipemen­tiers de la route. Au niveau exploita­tion, un proces­sus pré­cis de numéri­sa­tion des opéra­tions d’exploitation devra être établi comme celui de leurs dif­fu­sions sur le réseau. Ces opéra­tions devront être signées, tracées et enreg­istrées, afin d’en apporter la preuve en cas d’incident. Des plans de repli devront être prévus en cas de panne. Ces opéra­tions ne seront réservées dans un pre­mier temps qu’à cer­tains axes et jus­ti­fieront leur apti­tude à autoris­er la con­duite autonome. 

Au niveau éta­tique, il fau­dra établir rapi­de­ment un bureau enquête acci­dent, qui devra tir­er rapi­de­ment les pre­miers enseigne­ments des inci­dents qui survien­dront et une cel­lule com­mu­ni­ca­tion qui informera nos conci­toyens sur les lim­ites d’utilisation de ces nou­veaux véhicules. 

Des opportunités pour l’exportation

En con­clu­sion, au-delà des dimen­sions physiques de nos routes, leur jumeau numérique assis­tera demain encore plus nos véhicules con­nec­tés et autonomes pour se déplac­er au-delà de 50 km/h. La cul­ture française du trans­port avec ses bonnes con­nais­sances tant au niveau de l’ingénierie routière que de l’exploitation ou de ses con­nais­sances de l’automobile devrait nous per­me­t­tre d’être bien placée au niveau inter­na­tion­al pour met­tre en œuvre sur cer­taines routes ces archi­tec­tures numériques de sys­tème avec un bon niveau de sécu­rité. Enfin, l’arrivée du plan véhicule autonome français sous la prési­dence de Mme Idrac ne pour­ra que ren­forcer, coor­don­ner et cap­i­talis­er ce savoir-faire au niveau national. 

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