Pour un impôt plus facile

Dossier : La réforme de l'ÉtatMagazine N°593 Mars 2004
Par Marc-Henri DESPORTES (91)

Comme l’avaient com­pris les pères fon­da­teurs de notre république, un impôt cor­recte­ment géré est essen­tiel au fonc­tion­nement de l’É­tat de droit. Cela n’en fait pas pour autant un pro­duit spon­tané­ment appré­cié par ses clients cap­tifs. Associ­er à ce pro­duit le juste niveau de ser­vice auquel chaque Français est en droit de pré­ten­dre, lui assur­er que les admin­is­tra­tions fer­ont le max­i­mum pour sim­pli­fi­er la com­plex­ité qu’il aura à sup­port­er sont autant d’ob­jec­tifs légitimes d’évo­lu­tion des poli­tiques publiques. Légitimes parce que l’ad­min­is­tra­tion doit un ser­vice de qual­ité à l’usager qui est en attente d’un traite­ment per­son­nal­isé, légitimes aus­si parce que le meilleur ser­vice ne peut que jouer en faveur du ” civisme fiscal “.

Comme le dis­ent avec humour les Néer­landais, ” S’il n’est pas en notre pou­voir de vous ren­dre l’im­pôt agréable, nous devons agir pour vous le ren­dre plus facile. ” Cette action de sim­pli­fi­ca­tion se heurte néan­moins à un cer­tain nom­bre d’ob­sta­cles : à la com­plex­ité de la lég­is­la­tion et des procé­dures s’a­joute la com­plex­ité des struc­tures. L’im­pôt sur le revenu est cal­culé, est déclaré à la Direc­tion générale des impôts, mais il est à pay­er à la Direc­tion générale de la compt­abil­ité publique. Ce n’est en revanche pas vrai de l’im­pôt sur la for­tune, et les entre­pre­neurs qui ont un jour voulu savoir où en était le traite­ment de leur demande de rem­bourse­ment de crédit de TVA savent le nom­bre de ser­vices qui peu­vent être impliqués dans ce type de procédure…

La poli­tique de ser­vice ne peut donc réus­sir que si elle est au cœur de la démarche stratégique des admin­is­tra­tions fis­cales, et c’est bien le choix qui a été fait depuis main­tenant quelques années et qui a été encore ren­for­cé par le gou­verne­ment actuel. Cette démarche de ser­vice sup­pose une action à trois niveaux : sur l’or­gan­i­sa­tion, sur les méth­odes et sur le sys­tème d’in­for­ma­tion. Loin d’être anec­do­tique ou de relever d’un effet de mode, l’ac­tion sur l’in­for­ma­tique porte sur l’outil de pro­duc­tion de ces grandes machines à traiter de l’in­for­ma­tion que sont les admin­is­tra­tions fis­cales. C’est de ce chantier, bap­tisé ” pro­gramme Coper­nic “, qu’il est ques­tion ici, j’en expli­querai les objec­tifs et le con­tenu, mais aus­si les enjeux spé­ci­fiques qui sont attachés à sa conduite.

Faciliter l’impôt avec les technologies de l’information

Le pro­gramme d’évo­lu­tion du sys­tème d’in­for­ma­tion est bâti sur des objec­tifs sim­ples : partager pleine­ment l’in­for­ma­tion con­cer­nant l’usager entre tous ceux qui en ont l’usage y com­pris ce dernier et tir­er tout le poten­tiel des tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion pour sim­pli­fi­er la vie aux usagers et offrir des out­ils plus effi­caces aux agents. Ce partage de l’in­for­ma­tion a été con­stru­it autour de la notion de compte fis­cal : le compte fis­cal d’un usager regroupe l’ensem­ble des infor­ma­tions rel­a­tives à celui-ci. On y retrou­ve donc ses paiements, ses déc­la­ra­tions, ses avis d’im­po­si­tion, mais aus­si ses récla­ma­tions et leur état de traite­ment, ou ses choix de modal­ités de paiement.

À par­tir de cette notion et du poten­tiel des tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion, il est pos­si­ble d’in­tro­duire de la liber­té là où la con­trainte était forte : liber­té de choisir le canal de son choix pour ses démarch­es (télé­phone, Inter­net, cour­ri­er ou guichet), mais aus­si liber­té de choisir l’en­droit et le moment (Inter­net est acces­si­ble 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, les cen­tres d’ap­pels sont ouverts de 8 heures à 22 heures en semaine et de 9 heures à 19 heures le same­di). Au-delà, ces tech­nolo­gies per­me­t­tent égale­ment d’of­frir des ser­vices nou­veaux qui n’é­taient pas pos­si­bles aupar­a­vant : fournir un accusé de récep­tion pour les télédéc­la­ra­tions, pro­pos­er une let­tre d’in­for­ma­tion fis­cale élec­tron­ique adap­tée aux thèmes retenus par l’in­ter­naute, ou encore offrir la pos­si­bil­ité de suiv­re l’é­tat d’a­vance­ment du traite­ment d’une réclamation…

Si ces objec­tifs ont le mérite de la sim­plic­ité, leur mise en œuvre s’est néan­moins heurtée à la réal­ité con­crète du sys­tème d’in­for­ma­tion his­torique : con­stru­it pro­gres­sive­ment, sou­vent impôt par impôt et activ­ité par activ­ité, il éparpil­lait l’in­for­ma­tion sur l’usager en y intro­duisant des inco­hérences de mis­es à jour, d’i­den­ti­fi­ca­tion. Ce prob­lème, par ailleurs très courant dans toutes les grandes organ­i­sa­tions, néces­si­tait pour son traite­ment une refonte en pro­fondeur : d’un sys­tème con­stru­it autour des proces­sus internes de l’ad­min­is­tra­tion, il fal­lait pass­er à un sys­tème struc­turé par la réal­ité externe qu’est l’usager. Une telle révo­lu­tion méri­tait bien le nom de copernicienne !

Cette ” refon­da­tion ” du sys­tème néces­si­tant des travaux impor­tants et longs, il a été dès le démar­rage décidé de men­er de front les chantiers cor­re­spon­dants et ceux, plus rapi­des, qui cor­re­spondaient à la mise en place de nou­veaux ser­vices, quand bien même ces nou­veaux ser­vices seraient incom­plets ou inac­ces­si­bles à cer­tains tant que les travaux de fond n’au­raient pas abouti. Ce choix devait per­me­t­tre de livr­er le max­i­mum de ser­vices aux usagers et aux agents tout au long du pro­gramme, et ain­si d’éviter tout ” effet tunnel “.

Les objec­tifs prin­ci­paux du pro­gramme Coper­nic et la nature des travaux pour y par­venir expliquent sa dimen­sion par­ti­c­ulière : une durée de huit ans pour un bud­get de près d’un mil­liard d’eu­ros, et, pour le men­er, jusqu’à 250 per­son­nes en maîtrise d’ou­vrage et à peu près autant en maîtrise d’œu­vre. Si un tel investisse­ment peut sem­bler colos­sal, il est à rap­porter à l’am­pleur des enjeux : 100 000 agents util­isa­teurs, 250 mil­liards d’eu­ros gérés chaque année, plus de 30 mil­lions de foy­ers et 3 mil­lions d’entreprises…

Des services déjà largement utilisés

La déci­sion de lancer le pro­gramme a donc été prise en 2001, et con­fir­mée plusieurs fois depuis, notam­ment au vu des pre­miers résul­tats obtenus. Il a en effet déjà très con­crète­ment per­mis d’élargir la palette de ser­vices offerts aux usagers, et nous con­sid­érons évidem­ment que la prin­ci­pale mesure de son suc­cès auprès d’eux est le niveau d’u­til­i­sa­tion de ces mêmes ser­vices. Un petit tour d’hori­zon des réal­i­sa­tions phares du pro­gramme per­met d’en juger :

  • le por­tail fis­cal sur Inter­net (www.impots.gouv.fr) per­met d’ac­céder à toute la régle­men­ta­tion fis­cale et à l’ensem­ble des ser­vices en ligne : il a déjà été vis­ité près de 25 mil­lions de fois en 2003 ;
  • la télédéc­la­ra­tion de l’im­pôt sur le revenu a été util­isée par 600 000 inter­nautes en 2003, soit une crois­sance de 400 % par rap­port à l’an­née précédente ;
  • le ser­vice de télédéc­la­ra­tion et télé­paiement de la TVA col­lecte men­su­elle­ment près de 6 mil­liards d’eu­ros soit la moitié du mon­tant glob­al pour cet impôt ;
  • les cen­tres d’ap­pels (numéro unique : 0820 32 42 521) offrent depuis cette année un ser­vice nation­al aux par­ti­c­uliers comme aux entre­pris­es qui le souhaitent.


Si ces résul­tats sont déjà une réelle source de sat­is­fac­tion, les travaux sont loin d’être ter­minés. Les plus gros d’en­tre eux, qui con­cer­nent l’évo­lu­tion des aspects les plus essen­tiels du sys­tème d’in­for­ma­tions sont actuelle­ment en cours selon leur cal­en­dri­er prévi­sion­nel pour des mis­es en ser­vice éch­e­lon­nées entre 2005 et 2008.

La ” start-up ” Copernic

Ini­ti­er et con­duire un vaste chantier d’ad­min­is­tra­tion élec­tron­ique comme Coper­nic a néces­sité et néces­site tou­jours l’in­ven­tion de nou­velles façons de tra­vailler. Afin de préserv­er notre capac­ité d’in­no­va­tion des habi­tudes et des procé­dures qui avaient été forgées pour d’autres tailles de pro­jet, nous avons retenu une approche assez voi­sine de celle de la créa­tion d’une entreprise.

Pour con­va­in­cre les ” financeurs ” du pro­jet, nous avons ain­si com­mencé par définir un ” plan d’ac­tion opéra­tionnel ” qui nous a servi de ” busi­ness plan ” : il con­te­nait les objec­tifs du pro­gramme et l’a­gence­ment des chantiers induits, mais aus­si des analy­ses des attentes des usagers et des agents con­stru­ites autour de sondages spé­ci­fiques. C’est ce plan qui a fait l’ob­jet d’un accord du min­istre et qui a été régulière­ment actu­al­isé depuis. Une fois cette feuille de route validée, il a fal­lu choisir un statut juridique adap­té aux besoins, à savoir per­me­t­tre un équili­bre entre les deux ” action­naires ” que sont la DGI et la DGCP, et autoris­er une cer­taine flu­id­ité des ressources avec ces deux direc­tions afin de se garder une bonne sou­p­lesse de ges­tion. La struc­ture retenue a donc été celle de ser­vice à com­pé­tence nationale, rat­taché aux deux direc­tions générales : une ” joint ven­ture ” en quelque sorte, et la pre­mière de son genre, même si le mod­èle a resservi depuis !

L’é­tape suiv­ante a été de retenir un mode de réal­i­sa­tion pour les pro­jets du pro­gramme. D’une part, l’am­pleur du pro­gramme et sa vitesse de démar­rage néces­si­taient la mobil­i­sa­tion très rapi­de de ressources maîtrisant les tech­nolo­gies les plus mod­ernes, mais d’autre part, DGI et DGCP dis­po­saient de fortes com­pé­tences autour des sys­tèmes d’in­for­ma­tion, et avaient un solide savoir-faire dans la con­duite de pro­jet. Il a donc été retenu de con­serv­er en interne la con­duite du pro­gramme, ses choix d’ar­chi­tec­ture, et le con­trôle des prestataires, mais de con­fi­er l’essen­tiel de la réal­i­sa­tion à des sociétés de ser­vice. Cette solu­tion per­met non seule­ment de mieux pilot­er le déroule­ment des pro­jets, mais encore d’op­ti­miser la reprise en main­te­nance des réal­i­sa­tions, qui est l’en­jeu économique­ment le plus cri­tique. Nous avons dans le même temps défi­ni l’or­gan­i­sa­tion des équipes du pro­gramme en retenant une struc­ture à deux niveaux : un pre­mier niveau chargé d’as­sur­er le ” secré­tari­at général ” du pro­gramme et de définir le posi­tion­nement des chantiers et l’ar­chi­tec­ture générale et un sec­ond niveau, sous le con­trôle per­ma­nent du pre­mier, où est effec­tive­ment assurée la con­duite opéra­tionnelle des projets.

Le recrute­ment des ressources néces­saires qui a suivi n’a pas été la tâche la plus légère : il por­tait sur plus de deux cents per­son­nes, et s’est fait prin­ci­pale­ment par appels à can­di­da­ture internes. Une pro­mo­tion mas­sive pour attir­er le plus pos­si­ble de monde, des entre­tiens sélec­tifs, une forte dose de for­ma­tion pour met­tre tout le monde à niveau, l’ad­jonc­tion de con­tractuels spé­cial­isés et de con­sul­tants en assis­tance à maîtrise d’ou­vrage ont per­mis d’obtenir une équipe in fine rel­a­tive­ment solide et homogène. C’est sans aucun doute dans ce domaine que les procé­dures de ges­tion publique ont été les plus lour­des à porter.

L’en­tre­prise Coper­nic ain­si con­sti­tuée, il a fal­lu abor­der la con­cep­tion de nos pro­duits selon une approche adap­tée, qui inté­grait le plus en amont pos­si­ble les attentes de nos futurs clients que sont les usagers. Nous sommes par­tis de leur vision pour con­cevoir une véri­ta­ble offre de ser­vice, conçue à par­tir de l’analyse de leur cycle de vie, de leurs attentes recueil­lies par des sondages appro­priés. Nous les avons ensuite asso­ciés à la réal­i­sa­tion des chantiers à tra­vers des groupes d’usagers réguliers. Quand il a été ques­tion pour la pre­mière fois de plan mar­ket­ing, il y a eu un petit choc cul­turel, mais qui a rapi­de­ment été bal­ayé par l’év­i­dence : les nou­veaux modes de rela­tions avec l’ad­min­is­tra­tion sont en con­cur­rence directe avec les anciens, qu’il n’est pas ques­tion de sup­primer, et il s’ag­it donc bien de trou­ver les moyens d’ori­en­ter le choix de l’usager… L’as­so­ci­a­tion des agents a évidem­ment été par­ti­c­ulière­ment tra­vail­lée, à tra­vers notam­ment la mise en place d’un réseau de cor­re­spon­dants dans chaque départe­ment pour les deux directions.

À chaque étape de ce proces­sus, les obsta­cles ont été nom­breux. Con­traire­ment à ce que l’on imag­ine sou­vent, ils rel­e­vaient bien sou­vent davan­tage du poids des habi­tudes ou de la peur du change­ment, et plus rarement des règles de la ges­tion publique elles-mêmes. Mais, à chaque fois, la déter­mi­na­tion, l’en­t­hou­si­asme et l’ap­pétit de pro­grès des hommes et des femmes du pro­gramme ont per­mis de sur­mon­ter ces dif­fi­cultés et d’obtenir des résul­tats remar­quables, au-delà même du sim­ple champ pub­lic, comme pour la sig­na­ture élec­tron­ique où le pro­gramme a joué un rôle de pio­nnier. En refu­sant toutes les lim­ites habituelles pour aller chercher très prag­ma­tique­ment par la négo­ci­a­tion et la con­vic­tion des solu­tions nou­velles, nous avons pu trou­ver des pos­si­bil­ités de pro­grès là où beau­coup avaient renoncé.

L’usager comme levier du changement

Sans pré­ten­dre à la général­i­sa­tion, l’ex­péri­ence des acteurs du pro­gramme Coper­nic a été que l’at­tente d’un ser­vice per­son­nal­isé était aujour­d’hui non seule­ment pro­fonde chez nos conci­toyens, mais surtout net­te­ment perçue par les agents, et que con­stru­ire un pro­jet autour de la sat­is­fac­tion de cette attente per­me­t­tait de fédér­er une énergie con­sid­érable, issue de l’ad­min­is­tra­tion et ori­en­tée vers le change­ment. Loin des dis­cours scep­tiques sur l’im­pos­si­ble réforme de l’É­tat, nous sommes prêts à partager avec tous ceux qui le souhait­ent des enseigne­ments résol­u­ment optimistes. 

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