Pour un impôt à taux unique et néanmoins équitable

Dossier : Fiscalité : les nouvelles formulesMagazine N°687 Septembre 2013
Par Jean-Marie COUR (X56)

L’argent ne fait pas le bon­heur. Mais une per­son­ne dont le revenu est mille fois supérieur au revenu médi­an ne sera sans doute pas ras­sas­iée si un de ses sem­blables dis­pose d’un revenu dix fois supérieur au sien.

REPÈRES
La sat­is­fac­tion d’un indi­vidu don­né dépend moins de son besoin de dépense que de la per­cep­tion qu’il a de sa place dans la société et de ses rap­ports à ses sem­blables. Au milieu de la dis­tri­b­u­tion des indi­vidus classée par sat­is­fac­tion décrois­sante, il compte autant de per­son­nes qu’il a le sen­ti­ment de domin­er que de per­son­nes qui le domi­nent et le ren­dent envieux. À cette posi­tion, la sat­is­fac­tion est nulle. Au-dessus, la sat­is­fac­tion est pos­i­tive. En dessous, elle est néga­tive, on par­le alors de frustration.

Satisfaction et revenu

En nous inspi­rant de la loi de Weber qui relie l’intensité d’un sig­nal à la réponse sen­sorielle cor­re­spon­dante telle que l’ouïe ou la vue, pos­tu­lons que la sat­is­fac­tion σ ressen­tie par une per­son­ne de revenu r est fonc­tion du log­a­rithme du rap­port r/ρ entre le revenu et le revenu médian.

Une aug­men­ta­tion homoth­é­tique de tous les revenus serait sans effet sur la sat­is­fac­tion ressentie

Au sein d’un pays, une aug­men­ta­tion homoth­é­tique de tous les revenus serait donc sans effet sur la sat­is­fac­tion ressen­tie par chaque per­son­ne. Mais ce ne serait pas le cas si la dis­tri­b­u­tion des revenus est mod­i­fiée. C’est en effet par rap­port à la sit­u­a­tion de ses sem­blables, plus favorisés et moins favorisés, que chaque per­son­ne éval­ue sa sat­is­fac­tion relative.

Clas­sons les N per­son­nes du pays par revenu r décrois­sant. Une façon sim­ple d’exprimer ce rap­port est d’écrire que la sat­is­fac­tion σ ressen­tie par la per­son­ne de rang « n » est fonc­tion du rap­port w = (N – n)/n entre le nom­bre de per­son­nes dont le revenu est inférieur et le nom­bre de per­son­nes dont le revenu est supérieur, soit w = (1 – x)/x, avec x = n/N, quan­tile de n.

Quand x varie de 0 à 1, w décroît de l’infini à zéro, et vaut 1 pour x = 0.5. Si on donne à σ la valeur 0 à la per­son­ne de revenu médi­an ρ qui a autant de dom­i­nants que de dom­inés, σ est néga­tive au-delà : on peut alors par­ler de frus­tra­tion. Ces con­di­tions sont rem­plies si σ est fonc­tion de la vari­able u = LN (w). Il en est alors de même du revenu r qui est égal ρ*exp (σ).

On peut donc par­tir de la dis­tri­b­u­tion con­nue des revenus pour pré­cis­er la fonc­tion σ (u) en cher­chant le meilleur ajuste­ment d’une fonc­tion de u sim­ple et dépen­dant d’un petit nom­bre de paramètres. La fonc­tion à trois paramètres σ(u) = α* u + β* u2 + γ* u3 per­met de recon­stituer l’ensemble de la dis­tri­b­u­tion réelle des revenus français, avec des écarts entre le revenu observé et le revenu cal­culé inférieurs à la marge d’erreur sur la mesure du revenu par enquête soit 1% ou 2%, et cela dès le pre­mier cen­tile de cen­tile, soit les 500 per­son­nes les plus riches.

PNB ver­sus BNB
Sat­is­fac­tion et revenu sont les deux facettes d’un même phénomène. Selon le prob­lème traité, on peut priv­ilégi­er l’une ou l’autre. La vari­able revenu est celle qui con­vient pour abor­der des ques­tions d’ordre économique : la somme des revenus four­nit une mesure du « pro­duit nation­al brut » (PNB).
La vari­able sat­is­fac­tion est celle qui con­vient pour abor­der des ques­tions d’ordre socio-économique : la somme des sat­is­fac­tions et la dis­tri­b­u­tion de ces sat­is­fac­tions inter­vi­en­nent dans la mesure de l’agrégat « bon­heur nation­al brut » (BNB).

Cet excel­lent ajuste­ment con­firme le bien­fondé du choix de la vari­able u comme vari­able déter­mi­nante de la dis­tri­b­u­tion des sat­is­fac­tions et donc des revenus.

La sat­is­fac­tion cumulée de tous les quan­tiles de revenu supérieur au revenu médi­an, et la frus­tra­tion cumulée de tous les autres quan­tiles, sont d’autant plus fortes que la dis­tri­b­u­tion est plus iné­gal­i­taire. Les seules dis­tri­b­u­tions pour lesquelles la sat­is­fac­tion cumulée des pre­miers est égale à la frus­tra­tion cumulée des autres sont celles pour lesquelles β = γ = 0, et cela quelle que soit l’inégalité des revenus mesurée par le paramètre α. Ce n’est pas le cas de la dis­tri­b­u­tion des revenus en France, qui a une inci­dence néga­tive sur le « bon­heur nation­al brut ».

La sat­is­fac­tion est un con­cept relatif, elle dépend du rang de la per­son­ne dans la dis­tri­b­u­tion des revenus du pays con­sid­éré et de la forme de cette dis­tri­b­u­tion. Dans tous les pays du monde et à toutes les dates, les per­son­nes situées à la médi­ane de la dis­tri­b­u­tion ont la même sat­is­fac­tion, égale à zéro. Com­par­er la sat­is­fac­tion d’un habi­tant d’un pays pau­vre à celle d’un habi­tant d’un pays riche n’a de sens que si ces deux per­son­nes appar­ti­en­nent, dans chaque pays, au même quantile.

Comment, sur ces bases, déterminer l’impôt sur le revenu ?

La façon la plus équitable de répar­tir l’impôt sur le revenu entre tous les con­tribuables est de faire en sorte que cet impôt mod­i­fie la sat­is­fac­tion de cha­cun d’un même fac­teur λ appliqué à tous les quan­tiles : après impôt, la sat­is­fac­tion résidu­elle est δ(u) = λ*σ (u), et le revenu net après impôt « s » est alors : s/ρ = (r/ρ)λ. Le paramètre λ est déter­miné de façon que le prélève­ment glob­al sur l’ensemble des revenus soit égal à l’objectif fixé par le gouvernement.

À tous les niveaux de revenus au-dessus du revenu médi­an, la perte rel­a­tive de sat­is­fac­tion induite par l’impôt est iden­tique : toutes les per­son­nes ont le sen­ti­ment de con­tribuer de façon égale à l’effort de mobil­i­sa­tion de ressources au prof­it de l’État. De même, la frus­tra­tion ressen­tie par les per­son­nes de revenu brut inférieur au revenu médi­an est réduite dans les mêmes proportions.

Mod­i­fi­er la sat­is­fac­tion de cha­cun d’un même facteur

Dans ce qui précède, l’impôt est nul au revenu médi­an. On peut choisir un autre quan­tile à par­tir duquel l’impôt est nul ou négatif. Si par exem­ple on décide de dis­penser de l’impôt les 20 % de la pop­u­la­tion aux revenus les plus faibles, le seuil d’imposition est x w = 0.8 cor­re­spon­dant au revenu r w = 0.47 fois le revenu médian.

Si, dans ce cas, l’objectif du gou­verne­ment est de prélever par cet impôt 13% du revenu total des Français, le paramètre λ qui per­met d’atteindre cet objec­tif vaut : λ = 0.90. Le taux d’imposition vaut 7.5 % pour le revenu médi­an, 15 % pour x = 10 %, 23 % pour x = 1%, 54% pour la cen­tième per­son­ne la plus riche, et 66 % pour les 5 hap­py few. Au-delà du seuil d’imposition, le revenu après trans­fert aug­mente, il est par exem­ple mul­ti­plié par 6 pour x = 999 ‰.

Moins de manipulations
Un tel sys­tème d’imposition aurait pour prin­ci­pal incon­vénient de priv­er l’État de beau­coup de ses pos­si­bil­ités de négo­ci­a­tion et d’intervention en fonc­tion de la con­jonc­ture, puisque les seuls paramètres sur lesquels il pour­rait jouer seraient le taux de prélève­ment moyen sur l’ensemble des revenus (13% dans l’exemple ci-dessus) et le cen­tile au-delà duquel le revenu n’est pas impos­able (ici 80%). Pour qu’un mode d’imposition des revenus sem­blable à celui pro­posé puisse être adop­té et main­tenu longtemps à l’abri des manip­u­la­tions habituelles, la seule solu­tion serait de laiss­er au gou­verne­ment à peu près la même marge d’intervention con­jonc­turelle ou sec­to­rielle de pilotage et de négo­ci­a­tion que ce que lui pro­cure le sys­tème d’imposition actuel au prix de toutes les dérives et dis­tor­sions habituelles.
Cet objec­tif pour­rait être atteint en fix­ant chaque année dans la loi de finances le cen­time addi­tion­nel, ou taux sup­plé­men­taire de prélève­ment sur l’ensemble des revenus, dont le pro­duit serait, si la con­jonc­ture l’exige, affec­té au seul bud­get d’intervention, sans aucune dérogation.

La pro­gres­siv­ité de l’impôt est d’autant plus mar­quée que le taux moyen de prélève­ment sur l’ensemble des revenus est plus fort. Mais, quel que soit l’objectif de prélève­ment glob­al, toutes les per­son­nes sont égale­ment affec­tées au sens défi­ni dans cette note en ter­mes de baisse de la sat­is­fac­tion (ou de la frus­tra­tion) et la hiérar­chie des revenus avant impôt est con­servée, sans aucune anom­alie dans les taux mar­gin­aux d’imposition.

Le sys­tème d’imposition pro­posé équiv­aut donc à ce que l’on appelle une flat tax dont le taux est égal à 1 – λ : il devrait donc être perçu comme équitable, être com­pris et accep­té par tous les con­tribuables soucieux de l’intérêt général. Dans le cas ci-dessus, le taux moyen d’imposition de 13% de l’ensemble des revenus se traduit par une flat tax de 1 – 0.90 = 10% appliquée non au revenu mais à la sat­is­fac­tion de toutes les com­posantes de la pop­u­la­tion impos­able, et par une baisse de 10 % de la frus­tra­tion des 20% des ménages aux revenus les plus faibles.

Cette propo­si­tion élim­ine tout ce qui, dans le sys­tème en vigueur, appa­raît comme arti­fi­ciel, arbi­traire et sujet à con­tro­verse : il n’y a ici ni tranche d’imposition ni taux prédéfi­ni par tranche ni néces­sité de redéfinir chaque année les lim­ites de ces tranch­es et les taux cor­re­spon­dants, ni référence à un taux max­i­mum d’imposition, qui n’a a pri­ori aucune rai­son d’être.

Cet arti­cle est un résumé de la note du 26 avril 2011 inti­t­ulée : « Com­ment déter­min­er l’impôt sur le revenu de façon logique et équitable ».
Le détail des cal­culs est présen­té dans le fichi­er Excel inti­t­ulé : « Loi de dis­tri­b­u­tion des revenus et modal­ités d’imposition respec­tant l’équité ». La note et les fichiers peu­vent être demandés à jean­mariecour [at] numericable.fr

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