Économie et fiscalité

Dossier : Fiscalité : les nouvelles formulesMagazine N°687 Septembre 2013
Par Jacques LESOURNE (48)

Il importe de par­tir des clig­no­tants macroé­conomiques. Actuelle­ment, en France, tous ces clig­no­tants sont au rouge : un déficit pub­lic avec une dette publique impor­tante, une crois­sance atone, un taux de chô­mage élevé et un déficit du com­merce extérieur. Quant aux caus­es, elles provi­en­nent des dépens­es et des modes de finance­ment des col­lec­tiv­ités publiques et de l’État protecteur.

REPÈRES
Dans le domaine de la fis­cal­ité, il est utile de dis­tinguer trois niveaux de problèmes.
Le pre­mier niveau, que l’on peut qual­i­fi­er de local, est illus­tré par la TVA sur la restau­ra­tion où l’on s’est inter­rogé sur son niveau adéquat par rap­port aux vien­nois­eries des boulangers. Cet aspect n’est pas celui qui retient mon atten­tion ici.
Le deux­ième con­cerne des réformes fis­cales de grande portée, mais qui sont plus liées à la sup­pres­sion d’inefficacités qu’à des choix de société, par exem­ple l’adoption, grâce à Mau­rice Lau­ré, de la TVA, qui a évité une cas­cade fis­cale improductive.
Le troisième niveau, relatif aux liens entre fis­cal­ité et struc­ture économique, est celui que j’évoquerai.

Clignotants au rouge

Pre­mier point chaud, le chô­mage peut appa­raître par suite de plusieurs enchaînements.

Quelle peut être la con­tri­bu­tion de réformes fis­cales à l’extinction des clignotants ?

Tout d’abord peut exis­ter un chô­mage dit keynésien, lié à une demande insuff­isante. Pour le com­bat­tre, il faudrait relancer la crois­sance, ce qui est pra­tique­ment impos­si­ble sans accroître le déficit pub­lic. Existe égale­ment un chô­mage dit clas­sique, lorsque le coût du tra­vail (salaire et charges sociales) fait qu’il n’est pas rentable de recruter. Enfin peut appa­raître un chô­mage de con­ve­nance per­son­nelle, où le tra­vail au noir per­met d’échapper aux taxes.

Dès lors se pose une ques­tion : quelle peut être la con­tri­bu­tion de réformes fis­cales à l’extinction des clig­no­tants ? Mais, en France, une ques­tion de cet ordre inter­fère tou­jours avec une autre totale­ment dif­férente : une réforme fis­cale con­tribue-t-elle à réduire l’inégalité des revenus (ou des patrimoines) ?

Agir sur le coût du travail

Agir en pre­mier lieu sur le coût du tra­vail sem­ble souhaitable pour agir con­tre le chô­mage et le déficit extérieur. Le gou­verne­ment vient d’apporter une réponse par­tielle sous la forme d’un plan de com­péti­tiv­ité, mais il n’est pas sûr que cela soit suff­isant. Le coût du tra­vail est l’une des caus­es du déficit de notre com­merce extérieur. De ce fait sont apparus des débats qui touchent à la fis­cal­ité, notam­ment quant aux assi­ettes et aux taux.

Maîtriser les dépenses publiques

Le sec­ond axe con­cerne les dépens­es publiques (hors État pro­tecteur). Sont à con­sid­ér­er les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales et l’État.

Deux propo­si­tions pour réduire les charges sociales sur les salaires
D’une part aug­menter la TVA, aug­men­ta­tion dite « sociale », en repor­tant une par­tie des charges sociales sur le tra­vail, vers la TVA, voie que le gou­verne­ment n’a explorée que très timide­ment. Toute­fois, une forte hausse de la TVA incit­erait à pass­er par des formes d’échanges détournées pour éviter de la supporter.
D’autre part aug­menter la CSG et éventuelle­ment fusion­ner impôt sur le revenu et CSG (on peut naturelle­ment com­bin­er les deux propositions).

Dans les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales que sont les régions ou les départe­ments, un effort reste à men­er. Au niveau des com­munes, plus hétérogènes, les grandes ont des prob­lèmes équiv­a­lents à ceux des régions ou départe­ments, tan­dis que les petites n’offrent pas le même pro­fil car elles ne peu­vent recourir à l’emprunt aus­si aisé­ment (rap­pelons qu’en Espagne les régions sont, pour une part notable, respon­s­ables des dérapages).

Pour l’État est en cause la pour­suite de la poli­tique de Nico­las Sarkozy de non-rem­place­ment automa­tique des départs à la retraite. Le gou­verne­ment s’est engagé dans une réduc­tion effec­tive des dépens­es. Un délai de deux ans a été accordé par Brux­elles, mais la France est désor­mais con­trainte d’atteindre l’objectif fixé.

L’État protecteur remis en cause ?

Plus générale­ment, « l’extinction des clig­no­tants » sup­pose que l’on abor­de le finance­ment de l’État pro­tecteur et la réduc­tion des déficits de l’État et des col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales (c’est-à-dire le niveau des dépens­es publiques). Sur le pre­mier point sont en cause les retraites, les allo­ca­tions famil­iales et les dépens­es de santé.

Con­cer­nant les retraites, l’augmentation de l’espérance de vie demande que l’âge de départ à la retraite soit retardé d’une frac­tion de l’espérance sup­plé­men­taire, sinon la charge que les act­ifs doivent pay­er devient pro­hib­i­tive. Nico­las Sarkozy était passé de 60 à 62 ans, mais cette réforme est insuff­isante et le monde poli­tique reste pru­dent. Il est pour­tant impératif d’agir.

La France est désor­mais con­trainte d’atteindre l’objectif fixé

Au sujet des allo­ca­tions famil­iales, si l’on veut réduire le vol­ume des charges, on peut soit dimin­uer le vol­ume total, soit créer des tranch­es en fonc­tion des revenus. Le gou­verne­ment a choisi d’agir sur le quo­tient famil­ial et de main­tenir des allo­ca­tions indépen­dantes des revenus. Cette réforme annulera le déficit du compte des allo­ca­tions famil­iales, mais, telle quelle, n’aura pas d’effet sur le coût du travail.

Enfin les dépens­es de san­té, point le plus com­plexe, risquent d’augmenter du fait du vieil­lisse­ment de la pop­u­la­tion et du pro­grès des tech­nolo­gies médi­cales. Avec l’hypothèse aus­si d’aboutir à une cou­ver­ture sociale à deux vitesses.

Aus­si le prob­lème se révèle-t-il impor­tant, et la société française n’est qu’à moitié prête à l’entendre. Au début de son man­dat, Nico­las Sarkozy, sous la pres­sion, avait sup­posé que l’acceptation des réformes néces­sit­erait une crois­sance par­al­lèle, obtenue par un déficit de l’État, ce qui a mis la France en dif­fi­culté lorsqu’elle a dû, pour lut­ter con­tre la crise des sub­primes, accroître encore le déficit.

Équilibres macroéconomiques

Une ques­tion d’éthique
L’instauration de tranch­es de revenus pour l’obtention des allo­ca­tions famil­iales reviendrait à ori­en­ter la natal­ité vers les class­es les moins aisées, cen­sées de ce fait être dédiées à la fonc­tion sociale d’assurer la natal­ité, ce qui pose des prob­lèmes d’éthique.

La France a néan­moins une chance. Si les agences de nota­tion n’ont pas été plus sévères, c’est qu’il existe dans notre pays une struc­ture solide per­me­t­tant que l’impôt ren­tre con­ven­able­ment. Cela mal­gré les deux prob­lèmes que sont l’évasion fis­cale clas­sique et le tra­vail au noir. Pour­tant, le délai de deux ans sera court pour men­er des réformes suffisantes.

Si l’euro s’effondre, on ne revien­dra pas à la sit­u­a­tion précé­dente, mais à des changes flot­tants à l’intérieur de l’Europe, avec le risque de déval­u­a­tions intra-européennes. Il faut admet­tre que, dans un régime de taux de change fixe, l’avantage qu’il représente exige en con­trepar­tie un strict con­trôle des équili­bres macroé­conomiques nationaux.

Écarts de revenu et de patrimoine

En par­al­lèle avec la lutte pour l’extinction des clig­no­tants, le gou­verne­ment social­iste espère aus­si maîtris­er les écarts de revenu et de pat­ri­moine. Un prob­lème plus com­plexe dans une économie mon­di­al­isée que pour une société fermée.

En sim­pli­fi­ant au max­i­mum, la mon­di­al­i­sa­tion tend à accroître les iné­gal­ités dans sa phase actuelle. Pourquoi ? Parce qu’elle met en rap­port, par les échanges inter­na­tionaux, des sociétés dévelop­pées où les com­pé­tences rares sont abon­dantes et les com­pé­tences faibles moins nom­breuses, et des sociétés en développe­ment rapi­de où c’est le con­traire. D’où la ten­dance sur le marché du tra­vail mon­di­al à l’augmentation rel­a­tive de la rémunéra­tion des com­pé­tences rares et à la baisse rel­a­tive des rémunéra­tions des com­pé­tences faibles dans nos pays. La rup­ture se fait main­tenant aux alen­tours des class­es moyennes qui sont le pili­er des démoc­ra­ties occidentales.

Mondialisation

Trans­met­tre l’entreprise
Une ques­tion par­al­lèle se pose quant aux impôts sur l’héritage et la trans­mis­sion d’entreprises. Certes, l’impôt sur l’héritage soulève des ques­tions éthiques : il n’est pas logique qu’un fils hérite d’une entre­prise alors qu’il est incom­pé­tent, mais tax­er trop forte­ment l’héritage mod­i­fierait le com­porte­ment de la généra­tion précé­dente et dimin­uerait la moti­va­tion de ceux qui sont capa­bles de réus­sir et souhait­ent léguer le fruit de cette réussite.

Au niveau des dirigeants d’entreprise, on observe par exem­ple des dif­férences entre ceux opérant dans des multi­na­tionales, dont les salaires se définis­sent par rap­port à ceux de leurs grands con­cur­rents étrangers, et ceux des entre­pris­es prin­ci­pale­ment nationales (même avec des expor­ta­tions nota­bles), dont la rémunéra­tion se définit sur un marché du tra­vail national.

Une rai­son de plus pour être très pru­dent sur les charges sociales sur les salaires faibles et moyens. La même analyse peut être faite pour ceux qui opèrent sur les marchés financiers mon­di­aux ou locaux.

Dans ce con­texte, on com­prend qu’aux États- Unis cer­tains patrons aient pro­posé une aug­men­ta­tion de leur impo­si­tion, con­traire­ment à ce que prô­nait le par­ti républicain.

Mais le gou­verne­ment français doit veiller à ne pas attein­dre des taux d’imposition con­fis­ca­toires qui ont des effets négat­ifs sur les com­porte­ments d’entrepreneurs et sont une inci­ta­tion à la fraude fiscale.

Commentaire

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Françoisrépondre
16 septembre 2013 à 8 h 29 min

” L’instauration de tranches

” L’instauration de tranch­es de revenus pour l’obtention des allo­ca­tions famil­iales reviendrait à ori­en­ter la natal­ité vers les class­es les moins aisées, cen­sées de ce fait être dédiées à la fonc­tion sociale d’assurer la natal­ité, ce qui pose des prob­lèmes d’éthique. ”


De plus, c’est une grave erreur que d’ori­en­ter la natal­ité vers les class­es les moins aisées puisque que leurs enfants, quels que soient les sys­tèmes de bours­es et d’aides divers­es mis en place, seront en moyenne les moins éduqués (ne serait-ce, indépen­dam­ment de toute con­sid­éra­tion finan­cière, que par l’in­flu­ence de l’en­vi­ron­nement cul­turel famil­ial sur le niveau d’é­d­u­ca­tion atteint ). Or un jeune moins éduqué est plus sus­cep­ti­ble d’être chômeur, de cotis­er de façon très faible aux dif­férents sys­tèmes de retraite, de san­té, etc.


L’ef­fi­cac­ité serait au con­traire d’ori­en­ter la natal­ité vers les class­es les plus aisées. Nous ne sommes plus à une époque où ce qui était impor­tant était de pou­voir align­er le plus grand nom­bre pos­si­ble de fan­tassins face à l’Alle­magne : il faut main­tenant avoir une pop­u­la­tion au moins aus­si éduquée que celle de nos concurrents.

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