Pour former des ingénieurs entrepreneurs : la démarche de l’école des Mines d’Alès

Dossier : La France a besoin d'entrepreneursMagazine N°549 Novembre 1999
Par Gérard UNTERNAEHRER (72)

Quinze ans de maturation

L’é­cole des Mines d’Alès (EMA) est une des écoles rat­tachées au secré­tari­at d’É­tat à l’In­dus­trie, comme Albi, Douai et Nantes. Elle recrute la majorité des 170 étu­di­ants de chaque pro­mo­tion sur con­cours com­mun en fin de maths sup. et la durée de sa sco­lar­ité est de qua­tre ans. C’est une école d’ingénieurs général­istes et transdisciplinaires.

Out­re son enseigne­ment, elle entre­tient une activ­ité de recherche qui emploie 180 per­son­nes répar­ties en trois cen­tres de com­pé­tence : Alès, Nîmes et Pau.

Les diplômés de l’É­MA n’ont pas de prob­lèmes de débouché : 99 % trou­vent un emploi dans les six mois suiv­ant l’ob­ten­tion de leur diplôme. Ils se pla­cent de façon majori­taire dans les grands groupes indus­triels (comme les ingénieurs des autres écoles), en nég­ligeant les PME et en igno­rant la voie de la créa­tion d’entreprise.

Cette sit­u­a­tion con­fort­able ne sat­is­fait pas pleine­ment la Direc­tion. Aus­si, dès 1984, sous l’im­pul­sion d’un grand nova­teur, Hen­ri PUGNERE, qui est aujour­d’hui le directeur de l’É­cole, l’É­MA s’est don­né les moyens d’ac­com­pa­g­n­er les jeunes diplômés por­teurs de pro­jets de pro­duits nou­veaux à la mise au point de ces pro­duits au sein des lab­o­ra­toires de l’É­cole ; elle leur a procuré en out­re une bourse de sub­sis­tance et une for­ma­tion à la créa­tion d’entreprise.

Douze ans après, en 1996, à la suite d’un col­loque sur “L’en­seigne­ment supérieur et la créa­tion d’en­tre­prise”, l’É­MA entre­prit une suite d’ac­tions pour faire évoluer la cul­ture de son étab­lisse­ment : en respon­s­abil­isant davan­tage les élèves, en insti­tu­ant un enseigne­ment de philoso­phie, en recru­tant des sportifs de haut niveau, et en ouvrant son corps enseignant sur la vie économique extérieure, notam­ment les entre­pris­es. Elle a pu ain­si envis­ager de pass­er à un stade plus avancé de “révo­lu­tion cul­turelle”, et en juin 1998, son con­seil d’ad­min­is­tra­tion a décidé de con­ver­tir plus com­plète­ment l’É­MA en une “école d’ingénieurs entre­pre­neurs” avec même l’am­bi­tion d’être la pre­mière école française répon­dant à ce besoin majeur de l’é­conomie française.

Pour la ren­trée de 1999 un cur­sus entière­ment rénové a été annon­cé aux élèves, avec la pleine coopéra­tion du corps pro­fes­so­ral, et pour cer­tains, de rad­i­cales reconversions.

Car c’est un intense tra­vail d’équipe qui a per­mis de con­cré­tis­er ce grand projet.

L’in­no­va­tion n’a pas porté que sur le cur­sus des qua­tre années de for­ma­tion : elle a porté aus­si sur le dis­posi­tif pour faire mûrir les pro­jets de créa­tions d’en­tre­pris­es et faciliter leur réal­i­sa­tion (ce que nous appelons à Alès “l’in­cu­ba­teur”) ; et enfin sur la façon d’im­pli­quer plus large­ment l’É­cole dans le développe­ment économique des régions où elle a déjà des antennes de recherche-développe­ment (Nîmes, Pau et bien enten­du Alès).

Nous allons appro­fondir le chapitre de la for­ma­tion pro­pre­ment dite des ingénieurs et évo­querons plus rapi­de­ment les autres initiatives.

A l'Ecole des mines d'Alès
Gérard Unter­naehrer.

Le nouveau cursus de formation des ingénieurs

Les pro­mo­tions issues de la sélec­tion actuelle nous parais­sent tout à fait aptes à pren­dre le tour­nant de la nou­velle for­ma­tion ; elle cor­re­spond en fait — nous l’avons véri­fié — aux moti­va­tions pro­fondes des élèves. Être le plus près pos­si­ble des entre­pris­es réelles et devenir eux-mêmes de vrais entre­pre­neurs les intéresse au plus haut point.

Les principes de notre nou­velle péd­a­gogie, qui a été mise en place en parte­nar­i­at avec HEC-Entre­pre­neurs, sont les suivants :

  • pri­or­ité à la for­ma­tion-action qui place l’é­tu­di­ant face à des prob­lèmes dont il n’a pas tous les élé­ments de réponse, en récla­mant de lui ini­tia­tive et propo­si­tion concrète ;
  • le plonger aus­si dans l’en­vi­ron­nement de la vie économique et de l’en­tre­prise, pour résoudre des prob­lèmes réels dont l’en­jeu est important ;
  • don­ner aux élèves qui le souhait­ent des facil­ités pour dévelop­per un pro­jet per­son­nel à car­ac­tère entre­pre­neur­ial (créa­tion d’en­tre­prise, pro­jet human­i­taire…) en béné­fi­ciant d’une sco­lar­ité amé­nagée et des divers­es ressources de l’École.


La trans­mis­sion de con­nais­sances, par la péd­a­gogie clas­sique, occupe encore deux tiers du temps ; le troisième tiers com­prend qua­tre types d’activités.

  • Une fois à deux fois par an une “mis­sion de ter­rain”, sur cinq semaines en con­tinu, menée par une équipe de trois élèves, chaque mis­sion est pro­posée par un pro­fes­sion­nel extérieur à l’É­cole (le plus sou­vent un chef d’en­tre­prise), qui s’en­gage à en assur­er le pilotage. Le tra­vail réal­isé est présen­té devant un jury de pro­fes­sion­nels qui en dis­cute la méth­ode et les résultats.
    Cette séance de présen­ta­tion est con­cen­trée sur une journée pour les 50 à 60 pro­jets réal­isés, avec la par­tic­i­pa­tion de l’ensem­ble des élèves et des pro­fesseurs, plus une bonne cen­taine d’in­dus­triels. Cette journée con­stitue un événe­ment prop­ice aux échanges et à l’innovation.
  • Deux fois par an des min­imis­sions d’une semaine cha­cune. Les élèves tra­vail­lent sur un sujet à car­ac­tère sci­en­tifique ou tech­nologique, tutorés par un spé­cial­iste du sujet. Tout en réal­isant une appli­ca­tion, ils appro­fondis­sent leurs con­nais­sances et leurs com­pé­tences sur ce sujet.
  • À la fin de chaque année un stage en entre­prise de huit à douze semaines, avec prise de respon­s­abil­ités réelles ; le stage de 4e année com­porte l’étab­lisse­ment d’un vrai pro­jet industriel.
  • Tout au long de la 3e année un pro­jet d’une durée totale d’en­v­i­ron deux cent cinquante heures mené par équipes de trois et con­sis­tant à relever un défi sci­en­tifique, tech­nique ou tech­nologique (pro­jet de R&D ou étude de procédé de fab­ri­ca­tion par exemple).
    Cet exer­ci­ce vise à dévelop­per le sens de l’or­gan­i­sa­tion et le tra­vail en équipe.

Les étapes de l’apprentissage

L’ensem­ble de cette péd­a­gogie a pour objec­tif de dévelop­per par­al­lèle­ment les com­pé­tences sci­en­tifiques, tech­niques et celles de man­age­ment, et par ailleurs les qual­ités humaines : esprit d’ini­tia­tive, curiosité, capac­ité à s’or­gan­is­er et à se dépass­er, inser­tion dans une équipe, accep­ta­tion de la remise en cause par autrui.

Il est intéres­sant de voir com­ment les thèmes des divers­es mis­sions et pro­jets évolu­ent d’an­née en année :

  • en pre­mière année se pla­cent para­doxale­ment les pro­jets les plus com­plex­es, ceux qui con­cer­nent la créa­tion d’en­tre­prise. C’est le meilleur moyen de plonger tout de suite l’élève dans les réal­ités économiques et de lui faire percevoir tout ce qui se situe au-delà de la tech­nique : aspects com­mer­ci­aux, financiers, juridiques… ;
  • en deux­ième année, l’élève s’ex­erce à la com­bi­nai­son des divers fac­teurs de réussite :
    — d’une part, pro­duit — marché — finance­ment, il s’ag­it d’éla­bor­er une stratégie “mar­ket­ing“ ‘, ou un mon­tage financier, ou un plan d’ac­tion à l’in­ter­na­tion­al, ou une poli­tique de communication…,
    — d’autre part com­bi­nai­son des fonc­tions recherche, pro­duc­tion, organ­i­sa­tion, il s’ag­it de pren­dre rapi­de­ment en charge le prob­lème réel d’une entre­prise (par exem­ple ges­tion de pro­duc­tion, logis­tique, qual­ité…), et de pro­pos­er une solu­tion argu­men­tée de façon convaincante ;
  • la troisième année est l’an­née de l’in­no­va­tion, avec créa­tion de pro­duits et ser­vices nou­veaux : l’équipe doit détecter un besoin, un prob­lème, une insat­is­fac­tion, une appé­tence, un rêve qui pour­rait con­duire à la réal­i­sa­tion d’un pro­duit de ser­vice inno­vant ; elle aura à con­duire les phas­es de per­cep­tion et d’analyse du besoin, d’émer­gence de solu­tions, et de val­i­da­tion de la solu­tion retenue. Cette mis­sion intéresse tout par­ti­c­ulière­ment les indus­triels soucieux du développe­ment d’ac­tiv­ités nou­velles dans leur entreprise ;
  • la qua­trième année, tra­di­tion­nelle­ment année d’op­tion, peut devenir pour les élèves les plus dynamiques un véri­ta­ble espace de créa­tion avec une for­ma­tion adap­tée à un pro­jet per­son­nel pou­vant aller jusqu’à la créa­tion d’une entre­prise. De plus, chaque élève devra réalis­er une expéri­ence sig­ni­fica­tive à l’é­tranger. L’É­cole s’or­gan­ise pour ren­dre le niveau européen bac + 3 lis­i­ble au cen­tre de sa for­ma­tion en qua­tre ans.


Chaque élève peut, à tout moment de sa sco­lar­ité, con­trac­tu­alis­er avec l’É­cole un cur­sus per­son­nal­isé afin de réalis­er un pro­jet per­son­nel ambitieux (pro­jet sportif, créa­tion d’une entre­prise, incu­ba­teur, etc.).

L’ANVAR vient de pass­er une con­ven­tion avec l’é­cole des Mines d’Alès pour apporter un sou­tien financier de 40 000 F aux pro­jets per­son­nels de créa­tions de pro­duits innovants.

Tel est le pro­gramme de réforme du proces­sus de for­ma­tion des élèves que nous sommes en train de met­tre en route à Alès. Les dif­fi­cultés que nous ren­con­trerons nous obligeront cer­taine­ment à ajuster notre tir et retouch­er notre pro­gramme, mais ce qui paraît déjà acquis, c’est l’ad­hé­sion de toutes les par­ties prenantes de cette réforme, élèves, enseignants, per­son­nel assis­tant, et les nom­breux parte­naires extérieurs : chefs d’en­tre­pris­es, uni­ver­si­taires, autorités de tutelle de l’ÉMA.

Au-delà de la formation initiale des ingénieurs

Il reste à dire quelques mots des activ­ités de l’É­MA, com­plé­men­taires à l’en­seigne­ment pro­pre­ment dit, qui con­stituent un envi­ron­nement qua­si indispensable.

Pour authen­ti­fi­er son inser­tion dans les réal­ités économiques, l’É­MA doit pour­suiv­re en l’in­ten­si­fi­ant sa par­tic­i­pa­tion au développe­ment des pro­jets jusqu’à l’in­dus­tri­al­i­sa­tion et la com­mer­cial­i­sa­tion des pro­duits et même sa par­tic­i­pa­tion au développe­ment des indus­tries locales.

Nous avons donc un plan pour dévelop­per notre dis­posi­tif d’in­cu­ba­tion et surtout sa con­nex­ion, en amont avec les organ­ismes de recherche, et en aval avec les pépinières d’en­tre­pris­es. Notre incu­ba­teur, qui accueille 20 créa­teurs aujour­d’hui, en accueillera 50 en 2005, et depuis son orig­ine il a per­mis la créa­tion d’une cinquan­taine d’en­tre­pris­es durables. Par­mi ces créa­teurs, les diplômés de notre École ont jusqu’i­ci été très minori­taires parce que l’en­seigne­ment reçu ne les y pré­parait guère, mais il est évi­dent que cela va changer.

Notre par­tic­i­pa­tion au développe­ment local, notam­ment à celui de zones d’ac­tiv­ité et de tech­nolo­gie, implique une pro­por­tion non nég­lige­able de notre corps enseignant et aus­si, à par­tir de cette année, un cer­tain nom­bre d’élèves qui y trou­veront des “mis­sions de terrain”.

Elle se déroule en parte­nar­i­at avec les acteurs économiques locaux et fait l’ob­jet d’un con­trat avec la col­lec­tiv­ité locale (le con­trat avec Pau a été signé dans l’été 99) ; notre apport est recon­nu comme très fructueux sur les deux chantiers déjà en cours (Nîmes et Alès). Par exem­ple, sur la techno­pole de Nîmes se sont instal­lées six entre­pris­es dans le domaine des biotech­nolo­gies et l’É­MA a un pro­gramme de recherche et de for­ma­tion dans ce domaine.

Une grande ambition

L’é­cole des Mines d’Alès fait donc plusieurs paris ambitieux, avec une per­spec­tive très vaste : le retour vers le bassin méditer­ranéen des activ­ités économiques à base de matière grise. Elle croit pou­voir influer sur le développe­ment économique et social de sa région et s’y investit.

Elle croit aux jeunes, leur fait con­fi­ance, et les accom­pa­gne dans leurs projets.

Enfin elle s’ou­vre sur la société civile et cul­tive une rela­tion forte entre les élèves, les enseignants et les respon­s­ables d’entreprises.

Pour met­tre en œuvre sa démarche entre­pre­neuri­ale, elle souhaite que les indus­triels ayant le goût d’en­tre­pren­dre la rejoignent afin de jouer le rôle de tuteur et trans­met­tre leur pas­sion au tra­vers de la réal­i­sa­tion de mis­sions, où les futurs ingénieurs s’aguerrissent.

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