Schéma de principe d’une chambre proportionnelle multifilaire​

Physique des hautes énergies : Israël au CERN

Dossier : IsraëlMagazine N°537 Septembre 1998
Par Jacques GOLDBERG (55)

Aujour­d’hui elle com­prend les lep­tons (l’élec­tron ordi­naire et ses frères plus lourds et insta­bles les lep­tons mu et tau, leurs com­pagnons neu­tri­nos non chargés, et leurs antipar­tic­ules), les quarks au nom­bre de six dont deux for­ment l’essen­tiel de la matière de notre monde, et les vecteurs por­teurs d’in­ter­ac­tions, le pho­ton pour la force élec­tro­mag­né­tique, les bosons Z et W pour la force faible (de fait insé­para­ble de la force élec­tro­mag­né­tique, mais sim­pli­fions…), les glu­ons pour la force forte dont les forces nucléaires sont un résidu tout comme celles de Van der Waals pour les forces atom­iques et molécu­laires (élec­triques).

Une théorie main­tenant bien établie décrit très bien tout cet univers, le “Mod­èle Stan­dard”, à laque­lle il reste toute­fois à expli­quer ce qu’est la masse et quelle est son orig­ine ; la for­mu­la­tion de Hig­gs répondrait à cette ques­tion si une par­tic­ule, insai­siss­able à ce jour, pou­vait être mise en évi­dence. Et non moins fon­da­men­tale­ment, il fau­dra bien savoir si la masse des neu­tri­nos est math­é­ma­tique­ment nulle ou seule­ment si petite qu’elle en est indétectable.

Les moyens de plus en plus chers et com­plex­es néces­saires à cette recherche l’ont depuis longtemps ren­due inter­na­tionale. Un cer­tain nom­bre de grands cen­tres exis­tent de par le monde. Le CERN de Genève est sans con­tes­ta­tion le pre­mier de ces cen­tres, tant par la moder­nité des moyens qu’il met à la dis­po­si­tion des chercheurs que par l’ex­cel­lence des résul­tats dont il est la source.

Des Israéliens tra­vail­lent au CERN presque depuis sa créa­tion dans les années 50. Longtemps asso­ciés à titre indi­vidu­el ou par petits groupes indépen­dants à des lab­o­ra­toires européens, ces chercheurs jouis­sent depuis 1992 d’un statut nation­al offi­ciel. Le CERN est une asso­ci­a­tion de pays mem­bres, comp­tant pra­tique­ment toute l’Eu­rope, avec en plus quelques obser­va­teurs dont la par­tic­i­pa­tion au bud­get du CERN est plus mod­este et dont la présence au Con­seil n’est pas assor­tie d’un droit de vote. Israël a été le pre­mier pays non européen à jouir de ce statut, ouvrant lit­térale­ment la voie au Japon, à la Fédéra­tion russe et aux USA.

C’est l’his­toire, les réal­i­sa­tions et les con­séquences de cette asso­ci­a­tion qui vont être présen­tées ici. Il ne s’ag­it ici que d’ac­tiv­ités à car­ac­tère expéri­men­tal. La con­tri­bu­tion dans ce domaine des théoriciens israéliens est bien con­nue, et comme tout tra­vail théorique elle n’est pas liée à l’ex­is­tence ni à l’u­til­i­sa­tion de tel ou tel lab­o­ra­toire expéri­men­tal, et n’a pas d’im­pact indus­triel. C’est pourquoi elle n’est pas abor­dée ici.

La préhistoire

Dès les années 50 un petit groupe de physi­ciens de l’In­sti­tut Weiz­mann (Rehovoth) est act­if dans l’é­tude du ray­on­nement cos­mique, et, très rapi­de­ment, se con­stitue un cen­tre d’analyse fondé sur l’ex­ploita­tion de clichés de cham­bres à bulles, le roi des détecteurs de l’époque, four­nis au départ par des cen­tres améri­cains puis bien vite égale­ment par le CERN. Un sec­ond groupe plus mod­este est créé à l’U­ni­ver­sité de Tel-Aviv, et un troisième encore plus petit au Tech­nion (Haï­fa) dans la sec­onde moitié des années soix­ante. Ces trois groupes col­la­borent entre eux et avec divers­es équipes inter­na­tionales. La rai­son de la mul­ti­pli­ca­tion des groupes est très sim­ple : les Insti­tuts israéliens sont indépen­dants, presque tous antérieurs à la renais­sance de l’É­tat, et recru­tent leurs per­son­nels uni­ver­si­taires d’abord en fonc­tion de leurs besoins d’enseignants.

Très judi­cieuse­ment, les groupes de l’In­sti­tut Weiz­mann et de Tel-Aviv sen­tent le vent de la révo­lu­tion des grandes décou­vertes de 1974 (le lep­ton tau, le quark “c” vite suivi du quark “b”) et se recon­ver­tis­sent aux tech­niques plus mod­ernes de détec­tion élec­tron­ique, les seules qui per­me­t­tent l’é­tude des phénomènes rares de la nou­velle physique en train de naître, auprès du cen­tre DESY de Ham­bourg. Le groupe du Tech­nion ne les rejoin­dra qu’en 1982, pour une pre­mière par­tic­i­pa­tion “nationale” à une expéri­ence, OPAL, au LEP, le gigan­tesque col­li­sion­neur élec­tron-positron de 27 km du CERN, mis en ser­vice en 1989.

Sché­ma de principe d’une cham­bre pro­por­tion­nelle multifilaire

Chambre proportionnelle multifilaire​

Les chambres multifilaires ultrafines d’OPAL

Le virage nation­al est dû à l’en­t­hou­si­asme, à la foi et à l’acharne­ment d’un jeune physi­cien de l’In­sti­tut Weiz­mann, Gio­ra Miken­berg, seul nom cité ici afin de mar­quer com­bi­en c’est d’abord à lui qu’Is­raël doit d’être aujour­d’hui au CERN. Miken­berg a vu à l’œu­vre à DESY les cham­bres mul­ti­fi­laires inven­tées par Georges Charpak. Seul con­tre tous, Miken­berg est con­va­in­cu qu’il est pos­si­ble de réalis­er de telles cham­bres de moins de un cen­timètre d’é­pais­seur dans un matéri­au très léger. Elles vont per­me­t­tre une mesure pré­cise de la posi­tion et de l’én­ergie des par­tic­ules chargées sans per­turber les autres mesures, dans un vol­ume non cou­vert par d’autres détecteurs de l’ex­péri­ence OPAL, l’une des qua­tre expéri­ences du LEP.

Le CERN a exigé que celle-ci n’emploie que des tech­niques éprou­vées afin qu’elle soit par­faite­ment prête sans péri­ode de mise au point au démar­rage de l’ac­céléra­teur, le 14 juil­let 1989. Les cham­bres de Miken­berg, entière­ment conçues et con­stru­ites en Israël par les trois groupes tra­vail­lant main dans la main, seront la seule excep­tion, la seule tech­nique nou­velle dans OPAL en matière de détecteurs, et, prêtes à temps, fonc­tion­neront par­faite­ment, jusqu’à ce jour.

Une cham­bre mul­ti­fi­laire est en quelque sorte un comp­teur Geiger à fils mul­ti­ples. Une boîte con­tient un gaz facile à ionis­er (gaz car­bonique et pen­tane pour les cham­bres israéli­ennes) ; le fond et le cou­ver­cle sont con­duc­teurs, et en tra­vers de la cham­bre sont ten­dus des fils très fins portés à une forte ten­sion électrique.

LE TECHNION,
INSTITUT DE TECHNOLOGIE D’ISRAËL,

une for­ma­tion com­plé­men­taire recon­nue par l’É­cole polytechnique

Le Tech­nion est la pre­mière uni­ver­sité tech­nologique d’Is­raël et le plus grand cen­tre de recherche appliquée du pays.

Inau­guré en 1924, le Tech­nion est situé sur un cam­pus de 120 hectares à Haï­fa et com­prend un corps enseignant de 700 mem­bres ; il forme 11 500 étu­di­ants répar­tis entre :

  • 19 fac­ultés (sci­ences, ingénierie, médecine, ges­tion indus­trielle, archi­tec­ture, éducation).
  • 40 cen­tres de recherche et insti­tuts (par exem­ple : ingénierie bio­médi­cale, ingénierie côtière et marine, états solides, transports…).
  • 15 cen­tres mul­ti­dis­ci­plinaires d’ex­cel­lence ; ces derniers ont été créés dans des domaines essen­tiels au développe­ment tech­nologique et sci­en­tifique d’Is­raël. Ces cen­tres sont virtuels afin de per­me­t­tre aux enseignants et aux chercheurs de col­la­bor­er sur des sujets spé­ci­fiques de recherche sans les instal­la­tions insti­tu­tion­al­isées et rigides. Les sujets abor­dés sont par exem­ple : flu­ides com­plex­es, microstruc­tures et macro­molécules, supra­con­duc­tiv­ité à hautes tem­péra­tures, nanoélec­tron­ique, optoélec­tron­ique, ingénierie des pro­téines, satel­lites, tech­nolo­gie des logi­ciels, recherche sur l’eau.


Le Tech­nion inter­vient aus­si, à tra­vers ses fil­iales et son incu­ba­teur, dans le trans­fert de tech­nolo­gie, la ces­sion de licences et la créa­tion d’entreprises.

Le diplôme de “Mas­ter of Sci­ence” en infor­ma­tique, appli­ca­tions bio­médi­cales, génie élec­trique est admis par l’É­cole poly­tech­nique au titre de la for­ma­tion com­plé­men­taire (arrêté du 28 décem­bre 1995).

Le Tech­nion fait par­tie des sept uni­ver­sités israéli­ennes qui sont les grandes insti­tu­tions d’é­d­u­ca­tion supérieure et cen­tres de recherche du pays ; il s’ag­it des uni­ver­sités : Hébraïque de Jérusalem, Tel-Aviv, Bar-Ilan, Ben-Gou­ri­on du Néguev, Haï­fa, Weiz­mann des Sci­ences. Ensem­ble elles for­ment actuelle­ment 100 000 étu­di­ants par an.

Site inter­net : http://www.technion.ac.il/technion/pard

Sou­vent, le plan con­duc­teur (fond comme cou­ver­cle) est dédou­blé en une couche mince de graphite mod­éré­ment con­duc­trice au con­tact du gaz, chargeant par influ­ence une couche de cuiv­re divisée en ban­des (strips) dont la lec­ture reflète la charge induite qui per­me­t­tra de localis­er avec pré­ci­sion la par­tic­ule qui aura ion­isé le gaz.

Pour l’ex­péri­ence OPAL Israël a con­stru­it un “calorimètre”, appareil à mesur­er l’én­ergie, un gros sand­wich de tranch­es d’aci­er où les par­tic­ules per­dent de leur énergie séparées par des cham­bres à fils qui échan­til­lon­nent cette perte d’én­ergie. Pour ce faire les cham­bres devaient être très fines. Elles ont été réal­isées par col­lage d’élé­ments coupés et découpés dans des plaques de fibres de verre, d’en­v­i­ron 1,5 mm d’é­pais­seur, nor­male­ment util­isées pour la fab­ri­ca­tion des cir­cuits élec­tron­iques. Le plan de fils est mon­té entre deux cadres de la même épais­seur, avec un fil tous les 2 mm, à 1,5 mm des plaques cath­odes, sous 3 300 volts. Con­stru­ites en atmo­sphère dépous­siérée, elles demandèrent la con­struc­tion spé­ciale de press­es à coller de grandes dimen­sions, d’une machine à bobin­er le fil haute ten­sion de 50 microns (tungstène plaqué or) et d’une machine à soud­er ces fils qu’un fer à soud­er habituel casse immé­di­ate­ment, ensem­ble de tech­nolo­gies qui n’é­taient évidem­ment pas disponibles. Une élec­tron­ique haute­ment fiable, très minia­tur­isée et très rapi­de a aus­si été con­stru­ite en série, pour la lec­ture des mil­liers de sig­naux pro­duits au long des deux calorimètres symétriques inclus dans OPAL, un détecteur rem­plis­sant en gros un cube de 12 mètres d’arête.

Un des deux calorimètres est vis­i­ble en coupe, le bou­chon cylin­drique obtu­rant le cylin­dre intérieur, vers lequel pointe la flèche cen­trale des calorimètres hadroniques ; on en dis­tingue les plaques d’aci­er pas­sives ver­ti­cales entre lesquelles sont logées des cham­bres de moins de 1 cm d’épaisseur.

L’association officielle au CERN

Con­séquence de cette réus­site, le CERN pro­posera au gou­verne­ment israélien, en 1991, de recon­naître le tra­vail de ses chercheurs et la place con­quise au CERN, en leur don­nant un statut offi­ciel, dans le cadre de l’as­so­ci­a­tion d’Is­raël comme État obser­va­teur, au moins dans un pre­mier temps.

À la suite de la sig­na­ture d’un tel accord, Israël par­ticipe au bud­get du CERN (à un taux inférieur à celui des États mem­bres), de fait surtout sous la forme d’un crédit mis à la dis­po­si­tion du CERN pour des four­ni­tures de tech­nolo­gies de pointe pro­duites en Israël, au départ pour 500 000 francs suiss­es par an, presque dou­blés depuis le renou­velle­ment de cet accord. Bien que le CERN ait envis­agé qu’Is­raël devi­enne mem­bre à part entière, la fac­ture est encore bien lourde pour un État où les prob­lèmes ne man­quent pas, les physi­ciens israéliens sont sat­is­faits de la sit­u­a­tion actuelle, et les enveloppes budgé­taires de biens que le CERN cherche ain­si à acquérir en Israël con­vi­en­nent bien à la taille des entre­pris­es israéli­ennes. Israël a ain­si fourni au CERN une liste impres­sion­nante de pro­duits de tech­nolo­gies de pointe, équipements élec­tron­iques assur­ant le con­trôle du sys­tème d’ac­céléra­tion du LEP, équipements cryo­géniques, struc­tures en mag­né­si­um des­tinées à la con­struc­tion du nou­v­el accéléra­teur LHC, logi­ciel de ges­tion de la bib­lio­thèque, câbles optiques à haut débit, etc.

Vis­i­tant le CERN voici qua­tre ans, le directeur général de notre min­istère de l’In­dus­trie fai­sait val­oir que, même si le CERN n’a­chetait rien en Israël (alors qu’il y dépense plus que le crédit dont il y dis­pose), l’ac­cord n’en serait pas moins payant pour Israël, car les appels d’of­fres du CERN con­fron­tent notre indus­trie, nos jeunes ingénieurs, à des cahiers des charges excep­tion­nels qui les font rapi­de­ment et forte­ment progresser.

Israël au LHC

La recherche du boson dit de Hig­gs a été citée plus haut, parce qu’elle est l’ob­jec­tif pri­mor­dial du nou­veau col­li­sion­neur de pro­tons LHC en cours de con­struc­tion dans le tun­nel du LEP, prévu pour 2005.

Autre chambreIl y aura deux grandes expéri­ences au LHC ; pour l’une d’elles, ATLAS, 1 500 physi­ciens du monde entier actuelle­ment inscrits, plus de cinq mille mètres car­rés de cham­bres mul­ti­fi­laires fines extrapolées des cham­bres d’OPAL vont être con­stru­its, avec la tech­nolo­gie israéli­enne, par un con­sor­tium japon­ais et israélien, la fac­ture totale étant hors de l’échelle israéli­enne seule ; ces cham­bres ont été adop­tées par la col­lab­o­ra­tion ATLAS comme com­posant très impor­tant du sys­tème de déclenche­ment de la prise de don­nées par iden­ti­fi­ca­tion des phénomènes extrême­ment rares qui sont recher­chés. Il ne s’ag­it plus pour nous Israéliens de fournir comme pour OPAL une mesure certes utile mais néan­moins com­plé­men­taire, mais bien d’une con­tri­bu­tion essen­tielle au “robi­net” per­me­t­tant l’ex­péri­ence. La par­tic­i­pa­tion Israël-Japon est vis­i­ble sur le sché­ma d’AT­LAS : ce sont six grandes roues, qua­tre très grandes et bien vis­i­bles, deux un peu plus petites encas­trées dans un dis­posi­tif dont l’échelle est don­née par sa hau­teur, celle d’un immeu­ble de cinq étages !

Tan­dis qu’Is­raël reste cer­taine­ment en posi­tion de maître d’œu­vre en matière de con­struc­tion de ces cham­bres, la réal­i­sa­tion en série de l’élec­tron­ique qui doit cette fois traiter des cen­taines de mil­liers de sig­naux a été con­cédée à nos col­lègues japon­ais, après que des pro­to­types dévelop­pés en Israël ont fait la preuve que nous sommes capa­bles de lire et d’ab­sorber ces sig­naux en moins de 25 mil­liardièmes de sec­onde (le temps séparant deux col­li­sions suc­ces­sives au LHC), et de les réalis­er en série en Israël sans doute pas plus cher, et avec des tech­nolo­gies plus mod­ernes que celles choisies par nos col­lègues, dont la mise de fonds et l’ef­fort humain jus­ti­fient tout à fait le partage de la tâche.

Pour finir…

Sous-pro­duit des cham­bres fines d’OPAL, des cham­bres plus petites des­tinées à la mesure pré­cise de la posi­tion de par­tic­ules chargées pro­duites dans des inter­ac­tions de neu­tri­nos ont été con­stru­ites en 1997 ; elles ont atteint une pré­ci­sion remar­quable de 50 microns. Ce record vient de la com­bi­nai­son de l’é­pais­seur min­ime de ces cham­bres avec une élec­tron­ique de très haute qual­ité due au CERN, per­me­t­tant l’analyse de la struc­ture de charge induite sur des ban­des de lec­ture de 1,2 mm, bien adap­tée à la dis­tance fils cath­ode de ces chambres.

Quit­tant la France voici trente ans pour créer le groupe du Tech­nion, l’au­teur de ces lignes soule­va auprès de Bernard Gré­go­ry, alors directeur général du CERN, la pos­si­bil­ité de l’as­so­ci­a­tion d’Is­raël, idée immé­di­ate­ment rejetée, car “elle paral­y­serait l’ac­tiv­ité du CERN en y impor­tant le con­flit du Moyen-Ori­ent”. Heureuse­ment, l’ef­fort et le temps ont fait leur œuvre, Israël a cinquante ans, et existe au CERN, digne­ment, sans con­flit avec per­son­ne, ici aus­si à la pointe de la Sci­ence et de la Technologie.

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