Pandore et la modernité

Dossier : ExpressionsMagazine N°640 Décembre 2008Par : Pascale SEVAULT-DESNOS

Par nature, la recherche avance plus vite que son cadre éthique. Que faire alors ?

Invité de l’Association, Jacques Tes­tart s’est demandé en quoi il pou­vait être remar­quable ? On est tou­jours remar­quable par rap­port à un groupe ; quelle dif­férence peut-il avoir avec les audi­teurs ? Doc­teur ès sci­ences, ordre du Mérite, Prix sci­en­tifique de la Ville de Paris, prix Moron (philoso­phie) de l’Académie française, il est le seul à ne pas avoir eu son bac, mais un CAP de jar­dinier. Il pense qu’il a été « remar­qué », prob­a­ble­ment du fait de ce qu’il n’a pas fait.

Jacques Tes­tart se trou­ve au coeur d’une tour­mente de ce type lorsque qu’il invente la ” vache por­teuse ” puis Aman­dine, le pre­mier bébé-éprou­vette français ; il est alors con­fron­té à des ” récupéra­tions ” hasardeuses, nour­ries par des appétits indi­vidu­els de médi­ati­sa­tions. Il décide alors de faire une pause. Cat­a­logué comme ” celui qui refuse la recherche “, il con­tin­ue le méti­er de chercheur tout au long de sa vie pro­fes­sion­nelle. D’où de mul­ti­ples ques­tions : ” qu’est-ce que le méti­er de chercheur ? “, ” quel doit être le rap­port entre recherche et société ” ? Face à la demande du tri des embryons dans l’œuf, il a réclamé un ” droit à la non-recherche “.

Les utopies qui emballent
Une autre démarche pour ten­ter l’aven­ture du finance­ment con­siste à la mise en place ” tac­tique ” d’u­topies qui embal­lent. L’u­topie du moment est celle de la ” mys­tique géné­tique “. Elle vient d’une idée répan­due depuis moins de cinquante ans qui a dit que le gène, c’est la vie et que l’ADN est une molécule-clé qui con­tient tout le pro­gramme de développe­ment. Non. L’ADN n’est pas une molécule vivante.
Ce n’est donc pas la ” vie “. C’est une molécule impor­tante dans laque­lle il y a des gènes (que l’on con­naît encore très mal) qui don­nent des infor­ma­tions mais pas de pro­gramme ! Une preuve sim­ple à observ­er : les feuilles d’un arbre. Elles sont dif­férentes en taille ou en couleur, selon leur posi­tion­nement dans l’ar­bre. Elles ont pour­tant le même ADN.

Aujour­d’hui, les chercheurs sont devenus des spé­cial­istes. On les appelle aus­si des experts. Ils sont à la fois indis­pens­ables et dan­gereux. Indis­pens­ables car ils ont un savoir phénomé­nal sur un sujet pré­cis ; dan­gereux car ils per­dent la vue d’ensem­ble. Et s’ils l’ont, ils ne sont pas autorisés à faire-val­oir des argu­ments qui n’ap­par­ti­en­nent pas à leur champ d’expertise.

Il y a trente ans env­i­ron, un philosophe des sci­ences nom­mé Gilbert Hot­tois pro­pose un nou­veau mot pour décrire l’ac­tiv­ité mod­erne de recherche : la techno­science. Elle évoque le cer­cle vertueux de la rela­tion con­stante entre le lab­o­ra­toire et les tech­nolo­gies ; l’un ali­mente l’autre et vice-ver­sa. Cette déf­i­ni­tion évoque égale­ment la pré­dom­i­nance de la maîtrise sur la con­nais­sance. La final­ité devient plus impor­tante que la décou­verte et la course aux brevets et aux pro­duits, la final­ité suprême.

Coût du savoir ou coût de la maîtrise ?

Le chercheur est une taupe mono­ma­ni­aque EINSTEIN

La recherche fon­da­men­tale coûte cher et n’est plus val­orisante. Les tech­nolo­gies ne résol­vent pas tous les prob­lèmes, mais, dans la recherche publique, il faut démon­tr­er que l’on a été capa­ble d’in­téress­er un indus­triel qui accepte de par­ticiper au développe­ment. Com­mence alors la course aux enjeux con­tra­dic­toires. Le plan can­cer, lancé il y a cinq ans, n’a pro­duit aucun résul­tat. Pour­tant, on sait que 50 % des can­cers de cam­pagne sont issus de prob­lèmes envi­ron­nemen­taux (pol­lu­tion agri­cole) et domes­tiques. Aujour­d’hui, per­son­ne ne tra­vaille sur cet aspect. Il est prob­a­ble­ment dif­fi­cile de trou­ver les indus­triels intéressés.

La recherche… par l’absurde

Or, qu’est-ce qui est impor­tant ? Rechercher le gène qui provoque un can­cer et ne pas savoir quoi en faire ? Ou, rechercher dans l’en­vi­ron­nement ce qui provoque le can­cer ? Pourquoi pas les recherch­es dans toutes les direc­tions, si on en a les moyens ? Mais on n’en a pas les moyens. Le choix est donc un vrai sujet de discernement.

PAR PASCALE SEVAULT-DESNOS
psevault@hommesremarquables.com

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