Orchestrer l’aménagement du territoire à tous les niveaux

Orchestrer l’aménagement du territoire à tous les niveaux

Dossier : ExpressionsMagazine N°744 Avril 2019
Par Jacques MARVILLET (61)

Les grandes villes dis­posent des ressources néces­saires pour se dot­er des équipes pluridis­ci­plinaires indis­pens­ables pour con­duire les études d’aménagement dont elles ont besoin. Mais pour les zones rurales, le coût et la com­plex­ité de ces études restent un obsta­cle dif­fi­cile à surmonter.

L’urbanisation est un phénomène con­tinu sur notre planète. Au fur et à mesure que la pop­u­la­tion mon­di­ale totale aug­mente, le pour­cent­age des per­son­nes vivant en ville s’accroît aus­si. En 2017, la planète comp­tait env­i­ron 7,5 mil­liards d’habitants dont env­i­ron 53 à 54 % d’urbains. Le seuil des 50 % a été franchi autour de l’an 2000. Je ne par­lerai que de l’urbanisme que je con­nais un peu, celui de notre pays, la France. J’ai eu à en traiter, dans ma vie pro­fes­sion­nelle, tant en zone rurale qu’en milieu urbain. J’ai surtout appris pen­dant les vingt ans où j’ai été directeur adjoint puis directeur général de l’urbanisme et de la con­struc­tion de Paris, de 1982 à 2001.

Une discipline impliquant de nombreux acteurs

Les acteurs de l’aménagement urbain et de l’aménagement du ter­ri­toire local sont nom­breux : citoyens qui souhait­ent con­stru­ire, ou amé­nag­er une con­struc­tion ; pro­fes­sion­nels de l’immobilier ; pro­prié­taires fonciers, etc. Les pou­voirs publics ont une respon­s­abil­ité majeure de pilotage et d’organisation du développe­ment et du renou­velle­ment urbains, comme de l’aménagement du ter­ri­toire local. En milieu urbain, cette respon­s­abil­ité peut être qual­i­fiée de « maîtrise d’ouvrage urbaine ». La maîtrise d’ouvrage urbaine est d’abord une vision d’ensemble de l’évolution de la ville, des villes, ain­si que des proces­sus de cette évolution.

Faire travailler tout le monde ensemble

L’urbanisme ne peut pas être incar­né par une seule per­son­ne. Il est, par essence, com­plexe, et le fruit de la somme de com­pé­tences mul­ti­ples. L’urbanisme, ce n’est pas de l’architecture, ni du pat­ri­moine, ni du paysage, ni de la géo­gra­phie, de la soci­olo­gie, de la finance, du droit, de la poésie, de la diver­sité…, c’est tout cela à la fois.

De même, un orchestre sym­phonique n’est pas des vio­lons, ni des vio­lon­celles, ni des flûtes, ni des trompettes, ni des tim­bales…, c’est tous les instru­ments ensem­ble. Avec un chef qui assure l’harmonie d’ensemble voulue par le compositeur.

C’est pourquoi j’ai ten­dance à penser que les ter­mes « urban­iste » ou « archi­tecte urban­iste » con­stituent des erreurs de lan­gage. L’urbaniste est un col­lec­tif, une équipe. Le plus grand vir­tu­ose du vio­lon ne sera jamais un orchestre à lui tout seul.

Démocratie locale

Il con­vient dans cette analyse de tenir compte d’une oblig­a­tion légale de démoc­ra­tie locale. L’article lég­is­latif L 103–2 du code de l’urbanisme stip­ule en effet que les prin­ci­paux pro­jets d’urbanisme doivent faire l’objet d’une con­cer­ta­tion asso­ciant, pen­dant toute la durée de l’élaboration du pro­jet, les habi­tants, les asso­ci­a­tions locales et les autres per­son­nes con­cernées. Cela con­cerne l’élaboration ou la révi­sion du sché­ma de cohérence ter­ri­to­ri­ale ou du plan local d’urbanisme ; la créa­tion d’une zone d’aménagement con­certé ; et les pro­jets et opéra­tions d’aménagement ou de con­struc­tion ayant pour effet de mod­i­fi­er de façon sub­stantielle le cadre de vie, notam­ment ceux sus­cep­ti­bles d’affecter l’environnement ou l’activité économique, dont la liste est arrêtée par décret en Con­seil d’État. Cela sig­ni­fie notam­ment que les études préal­ables aux actions d’urbanisme doivent être réal­isées par des struc­tures très proches des élus locaux respon­s­ables des­dites actions.


Terminologie

Les ter­mes « urban­isme » et « amé­nage­ment urbain » sont presque des syn­onymes. Ce sont des ter­mes util­isés essen­tielle­ment pour les villes grandes et moyennes. C’est pourquoi les ter­mes « urban­isme » et « amé­nage­ment du ter­ri­toire local » sont util­isés indif­férem­ment ici.


Un quatuor à défaut d’orchestre

Se pay­er un orchestre pro­pre est un peu utopique, sauf dans les métrop­o­les et les grandes aggloméra­tions. Si l’on veut se lim­iter au min­i­mum, ce sera par un « quatuor » : la poésie (le cadre de vie, le beau), le social (le vivre ensem­ble), le droit (code d’urbanisme, régle­men­ta­tions…) et la finance. Ce « quatuor » de base illus­tre bien le car­ac­tère pluridis­ci­plinaire de l’urbanisme et de l’aménagement urbain.

Urbanisme et organisation territoriale

Depuis les lois de décen­tral­i­sa­tion des années 1970, les déci­sions en matière d’urbanisme ont été trans­férées de l’État aux maires ou aux autorités inter­com­mu­nales com­pé­tentes. Soyons ambitieux et souhaitons que les autorités respon­s­ables dis­posent d’équipes plus larges que des quatuors : des « équipes-orchestres ». Mais qui peut les pay­er ? Paris, oui, les grandes com­mu­nautés urbaines de Lyon, Mar­seille, Bor­deaux et d’autres, oui. Et les villes moyennes et les com­munes rurales ? Certes, il existe des sociétés privées com­pé­tentes. Mais l’urbanisme est d’intérêt pub­lic. Cer­taines mis­sions par­tielles peu­vent être sous-traitées à des parte­naires privés. Mais la maîtrise d’ouvrage urbaine est du ressort de la col­lec­tiv­ité publique, c’est-à-dire des élus locaux ou de leurs délé­gataires, notam­ment les sociétés d’économie mixte d’aménagement.

Pour pou­voir pos­séder et rémunér­er une équipe pluridis­ci­plinaire publique d’urbanisme et d’aménagement du ter­ri­toire local, il faut une sur­face suff­isante en ter­mes d’enjeux, de ter­ri­toire, de moyens financiers. À cet égard, il est intéres­sant de met­tre en regard l’urbanisme et l’aménagement du ter­ri­toire local d’une part, l’organisation ter­ri­to­ri­ale de notre pays d’autre part.

Des structures pas toujours adéquates

Depuis de nom­breuses années, et en dehors des grandes villes, nos struc­tures ter­ri­to­ri­ales ne favorisent pas la créa­tion et l’existence d’équipes pluridis­ci­plinaires publiques capa­bles de pro­pos­er un urban­isme et un amé­nage­ment du ter­ri­toire local harmonieux.

Les grandes villes, les com­mu­nautés urbaines, les métrop­o­les ont les moyens de con­stituer auprès des élus des ser­vices d’études et des ser­vices opéra­tionnels suff­isam­ment étoffés.

Mais qu’en est-il des petites villes et des com­munes rurales ? L’existence à ces niveaux extrême­ment atom­isés d’équipes pluridis­ci­plinaires du type « Ate­lier pub­lic d’urbanisme et d’aménagement du ter­ri­toire local » est totale­ment utopique et illu­soire. Les lois de décen­tral­i­sa­tion des années 1970 ont trans­féré les com­pé­tences d’urbanisme de l’État aux maires. Mais elles n’ont pas mis en place les con­di­tions per­me­t­tant que ces com­pé­tences soient exer­cées à des niveaux de ter­ri­toire adéquats.

Émiettement communal

Il y a en France quelque 35 500 com­munes, dont 25 500 (72 %) ont moins de 1 000 habi­tants. Les pou­voirs publics ont choisi, dans la durée, de ne pas remet­tre en cause l’existence des com­munes. C’est pourquoi des efforts impor­tants ont été faits pour créer des struc­tures de coopéra­tion inter­com­mu­nale. Les métrop­o­les et les com­mu­nautés urbaines sont les deux statuts qui con­cer­nent les plus grandes aggloméra­tions ; à la date du 1er jan­vi­er 2018, les métrop­o­les étaient au nom­bre de 21, dont la métro­pole du Grand Paris. Elles regroupent 904 com­munes et 17,9 mil­lions d’habitants ; les com­mu­nautés urbaines étaient au nom­bre de 11, avec 523 com­munes et 2,4 mil­lions d’habitants. En dehors des métrop­o­les et des com­mu­nautés urbaines, les struc­tures inter­com­mu­nales de base sont les étab­lisse­ments publics de coopéra­tion inter­com­mu­nale, les EPCI à fis­cal­ité pro­pre, qui sont de deux natures : les com­mu­nautés d’agglomération, qui regroupent des ensem­bles de plus de 50 000 habi­tants autour d’une ou plusieurs villes de plus de 15 000 habi­tants ; les com­mu­nautés de com­munes regroupant des com­munes au-dessous de ces seuils. Les com­mu­nautés de com­munes cor­re­spon­dent à l’espace rur­al et aux bassins de vie des petites villes.

“La maîtrise d’ouvrage urbaine est du ressort
de la collectivité publique, c’est-à-dire
des élus locaux ou de leurs délégataires”

Coopérations intercommunales

Au terme des sché­mas départe­men­taux de coopéra­tion inter­com­mu­nale, l’ensemble du ter­ri­toire nation­al est aujourd’hui cou­vert par des EPCI. Out­re les métrop­o­les et les com­mu­nautés urbaines, on compte env­i­ron 220 com­mu­nautés d’agglomération, regroupant un peu plus de 7 400 com­munes et 23 mil­lions d’habitants et env­i­ron 1 000 com­mu­nautés de com­munes, regroupant env­i­ron 26 400 com­munes et 22,4 mil­lions d’habitants.

En 2017, un peu moins de la moitié des quelque 1 200 EPCI, regroupant 18 000 com­munes, étaient com­pé­tents en matière de plans locaux d’urbanisme, qui sont les doc­u­ments d’urbanisme com­mu­naux ou inter­com­mu­naux créés par la loi dite SRU (Sol­i­dar­ité et renou­velle­ment urbains) votée en l’an 2000.

La loi du 24 mars 2014, dénom­mée « Alur », stip­ule que les com­mu­nautés d’agglomération et les com­mu­nautés de com­munes devi­en­nent, de droit, com­pé­tentes en matière de plan local d’urbanisme trois ans après la pub­li­ca­tion de la loi, soit en 2017, sauf minorité de blocage et sauf si la com­mune souhaite pour­suiv­re seule une procé­dure déjà engagée.

Si l’on exam­ine la pop­u­la­tion moyenne des com­mu­nautés d’agglomération d’une part, des com­mu­nautés de com­munes d’autre part, le con­stat est le suiv­ant ; la pop­u­la­tion moyenne des com­mu­nautés d’agglomération est de 106 300 habi­tants, celle des com­mu­nautés de com­munes est de 22 200 habitants.

Parents pauvres

Il est clair que si les com­mu­nautés d’agglomération ont peut-être une largeur a pri­ori suff­isante pour se dot­er de com­pé­tences humaines néces­saires à l’urbanisme et à l’aménagement du ter­ri­toire local, il n’en est pas de même pour les com­mu­nautés de communes.

J’en tire pour ma part la con­clu­sion que, mal­gré l’effort con­sid­érable fait par notre pays en matière d’intercommunalité, les ter­ri­toires ruraux res­teront longtemps encore les par­ents pau­vres en matière d’aménagement har­monieux du ter­ri­toire local. 

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