Spectacle du festival de l'Emperi

Optimiser l’organisation du spectacle vivant

Dossier : TrajectoiresMagazine N°711 Janvier 2016
Par Thomas PÉTILLON (90)
Par Hervé KABLA (84)

Un encore jeune cama­rade qui quitte une sit­u­a­tion con­fort­able pour se lancer dans une édi­tion de logi­ciel facil­i­tant la ges­tion quo­ti­di­enne des gens du monde du spec­ta­cle. Il y trou­ve l’oc­ca­sion de val­oris­er son expéri­ence d’ad­min­is­tra­teur de festival. 

Pourquoi as-tu créé Orfeo ?

Cette entre­prise est pour moi une forme d’aboutissement. Elle me per­met de faire la syn­thèse entre mes com­pé­tences tech­niques et ma con­nais­sance des métiers du monde du spec­ta­cle. À cela s’ajoute le car­ac­tère pas­sion­nant de l’entrepreneuriat.

C’est aus­si une réponse à un besoin du marché : le secteur du spec­ta­cle vivant se dig­i­talise et avait besoin d’un out­il inno­vant adap­té à ses besoins spécifiques. 

Cela n’a pas dû être facile de te lancer ;
quels ont été les principaux écueils ?

La pre­mière dif­fi­culté a été d’être capa­ble de tout arrêter – une activ­ité de con­sul­tant free-lance con­fort­able – pour me dédi­er à 100 % à Orfeo. Je me suis mis en dan­ger finan­cière­ment mais cela a été un moteur for­mi­da­ble : j’ai pu me focalis­er entière­ment sur le pro­jet, et la pres­sion de la tré­sorerie m’a obligé à obtenir des résul­tats rapides. 

“ Il y a plus de 40 000 entrepreneurs de spectacles en France ”

La deux­ième dif­fi­culté a été de con­va­in­cre les pre­miers clients, unique­ment sur la base d’un pro­to­type. À ce stade, c’est la vision et la capac­ité à gag­n­er qui ont fait la différence. 

Enfin, ce qui a été com­plexe – et l’est tou­jours aujourd’hui – c’est de devoir être à la fois au four et au moulin : noyé jusqu’au cou dans l’opérationnel et en même temps capa­ble d’avoir une vision stratégique. 

L’accompagnement du Réseau Entre­pren­dre et les con­seils des investis­seurs m’ont beau­coup aidé à pren­dre ce recul nécessaire. 

Tu es administrateur de festival :
qu’est-ce que cela change dans ton approche business ?

Tout. Je n’aurais pas lancé Orfeo si je n’avais pas par­ticipé à l’organisation du fes­ti­val Musique à l’Emperi à Salon-de- Provence depuis main­tenant près de vingt ans. Cela m’a per­mis d’exercer les dif­férents métiers sur le ter­rain – recherche de finance­ment, com­mu­ni­ca­tion, pro­duc­tion, admin­is­tra­tion – et de bien com­pren­dre les spé­ci­ficités du secteur. 

Et puis cela demande de la con­vic­tion et de la pas­sion de dévelop­per un logi­ciel pour le monde du spec­ta­cle vivant. « Je n’aime pas votre marché », m’a dit un jour un ban­quier qui me con­seil­lait de piv­ot­er vers un logi­ciel méti­er pour les pharmacies. 

Peut-être igno­rait-il qu’il y a plus de 40 000 entre­pre­neurs de spec­ta­cles en France, alors qu’il n’y a que 24 000 pharmacies ? 

Quels sont les principaux enjeux liés à la digitalisation dans le monde du spectacle ?


Thomas Pétil­lon est admin­is­tra­teur du fes­ti­val de l’Emperi
depuis vingt ans. © NICOLAS TAVERNIER

La dig­i­tal­i­sa­tion apporte de nom­breuses inno­va­tions utiles au monde du spec­ta­cle : la sig­na­ture élec­tron­ique sim­pli­fie la ges­tion des con­trats, les paiements cash­less facili­tent les flux lors des spec­ta­cles, les réseaux soci­aux per­me­t­tent de créer de nou­veaux liens avec le pub­lic, les plates-formes de crowd­fund­ing per­me­t­tent de diver­si­fi­er les sources de financements. 

Mais il est vrai que cette vague de fond peut faire peur : les don­nées en ligne sont-elles sécurisées ? La sig­na­ture élec­tron­ique est-elle valide juridiquement ? 

C’est pour cela qu’Orfeo a lancé Couliss­es , un mag­a­zine en ligne qui décrypte les nou­veaux enjeux liés à la dig­i­tal­i­sa­tion dans le spec­ta­cle vivant. Pour mieux expli­quer à nos util­isa­teurs poten­tiels com­ment tir­er par­ti de ces nou­velles possibilités. 

Orfeo a‑t-il vocation à se déployer à l’international ?

Oui, absol­u­ment. Orfeo est déjà présent dans plusieurs pays fran­coph­o­nes et a voca­tion à se dévelop­per à l’international. En effet, notre marché est, par nature, mon­di­al : les artistes se dépla­cent beau­coup, les pro­duc­teurs français organ­isent des tournées à l’étranger. Aujourd’hui, des artistes étrangers (représen­tés par des agents artis­tiques français) utilisent déjà Orfeo. 

De plus, il y a des parts de marché à pren­dre, car le marché arrive à matu­rité et le nom­bre de solu­tions con­cur­rentes reste lim­ité. Notre pre­mier objec­tif est d’atteindre une masse cri­tique en France (100 à 150 clients). Puis de nous dévelop­per en Alle­magne, en Autriche, au Roy­aume-Uni et en Europe du Nord dès cette année. 

Comment ton produit est-il perçu par les artistes ?

Les artistes sont très friands d’innovations dig­i­tales. Ils sont fréquem­ment en déplace­ment et cherchent tou­jours des moyens de mieux s’organiser. À titre d’anecdote, je con­state que l’usage des par­ti­tions numériques sur tablettes – avec une pédale Blue­tooth pour tourn­er les pages – s’est con­sid­érable­ment développé. 

Dans ce con­texte, Orfeo est extrême­ment bien accueil­li car il per­met aux artistes d’avoir une vis­i­bil­ité en temps réel sur leur plan­ning depuis leur smart­phone et d’interagir facile­ment avec leurs agents artis­tiques ou les pro­duc­teurs de spec­ta­cles qui les embauchent, voire de gér­er eux-mêmes leur organ­i­sa­tion et leur pro­pre promotion. 

Quelles sont les qualités pour créer une entreprise, en France, en 2016 ?

J’en cit­erais prin­ci­pale­ment trois. D’abord, accepter d’être à l’écoute : un pro­duit ou un ser­vice doit répon­dre à un besoin du marché. Get out of the build­ing, prône Éric Ries dans sa méthodolo­gie Lean Startup. 

“ Dans un processus de création d’entreprise, rien ne se passe comme prévu ”

Il faut être à l’écoute des prob­lèmes sur le ter­rain, afin de pou­voir y apporter une solu­tion con­crète qui n’existe pas encore. Et cette écoute, il faut la con­serv­er dans la durée, avec son équipe, ses parte­naires, ses investis­seurs, etc. 

Ensuite, accepter l’incertitude : dans un proces­sus de créa­tion d’entreprise, rien ne se passe comme prévu, il y a en per­ma­nence des bonnes et des mau­vais­es sur­pris­es. Alors il faut être capa­ble de vivre avec ça. 

Enfin, garder le cap : même s’il est impor­tant d’échanger, d’être ouvert, voire de piv­ot­er si néces­saire, il faut être con­va­in­cu de son idée et être capa­ble de garder le cap, surtout par gros temps. 

Est-ce que ton parcours à l’X t’a aidé à créer Orfeo ?

C’est un peu une ques­tion piège. En un sens, non : analyse de marché, stratégie mar­ket­ing et com­mer­ciale, recrute­ment, man­age­ment, recherche de finance­ments, etc., j’ai tout appris sur le terrain. 

Mais fon­da­men­tale­ment, oui bien sûr : la capac­ité à faire la syn­thèse d’un grand nom­bre d’informations et de garder la tête froide en sit­u­a­tion de défi, je l’ai acquise pen­dant mes études. Enfin, les ami­tiés que j’ai nouées à l’X ont joué un rôle impor­tant dans le développe­ment d’Orfeo.

Que conseillerais-tu à un jeune X qui voudrait suivre ta voie ?

D’abord, je lui dirais de ne pas hésiter à se met­tre en dan­ger. Qu’il prenne con­science qu’il est armé d’un diplôme qui lui per­me­t­tra de rebondir si son pro­jet échoue. Et qu’il en prof­ite pour s’investir à fond sur son pro­jet de création. 

Puis je lui con­seillerais de ne pas être trop per­fec­tion­niste. C’est sou­vent un trait de car­ac­tère pro­pre aux ingénieurs. Or, on apprend en marchant, en faisant des itéra­tions. J’aime beau­coup la maxime Done is bet­ter than per­fect de Mark Zuckerberg. 

Enfin, je lui dirais surtout de suiv­re « sa » voie. Une créa­tion d’entreprise, c’est une course de fond, avec des hauts et des bas. Il est pri­mor­dial que le pro­jet cor­re­sponde à une envie pro­fonde, qu’il fasse écho à des valeurs per­son­nelles. Sinon, c’est dif­fi­cile de tenir dans la durée. 

Si c’était à refaire ?

Si je devais tir­er un enseigne­ment du passé, je retiendrais l’importance d’être ambitieux dès le départ. Je ne le suis devenu que, pro­gres­sive­ment, soutenu et encour­agé par mes proches et les per­son­nes qui m’ont accom­pa­g­né. Alors, vous aus­si, soyez ambitieux.

Poster un commentaire