Smartphone et montres connectés santé

Numérique et santé, l’exemple du cerveau

Dossier : Simulation et supercalculateursMagazine N°732 Février 2018
Par Jean-François MANGIN

Deux types d’ac­tion sont envis­agées, l’un à l’éch­e­lon indi­vidu­el où les objets con­nec­tés que l’on porte peu­vent analyser notre com­porte­ment quo­ti­di­en et détecter les pre­miers stades d’une patholo­gie avant ses symp­tômes explicites, l’autre à l’éch­e­lon de cohort­es pour avoir des ban­ques de don­nées ou analyser l’ef­fet des thérapies. 

Nos télé­phones abri­tent des appli­ca­tions de san­té ou de fit­ness qui utilisent des cap­teurs embar­qués (accéléromètre, gyro­scope…) pour quan­ti­fi­er des car­ac­téris­tiques de notre déplace­ment voire de nos tremblements. 

“ Détecter les premiers stades d’une pathologie avant ses symptômes explicites ”

De vastes pro­jets d’épidémiologie con­duisent aujourd’hui à insér­er dans nos télé­phones des « mouchards bien­veil­lants » décryptant la manière dont nous util­isons nos appli­ca­tions favorites, de manière à décel­er les pre­miers signes de dif­fi­cultés cog­ni­tives, qui peu­vent être les prémiss­es de démences neu­rologiques ou de dif­fi­cultés d’ordre psychiatrique. 

Nos télé­phones seront bien­tôt sec­ondés par une armée d’objets con­nec­tés qui enreg­istreront nos inter­ac­tions avec notre envi­ron­nement quotidien. 

REPÈRES

Les succès récents de l’intelligence artificielle ont fait miroiter une myriade de révolutions à venir dans le domaine de la santé. Les retombées économiques escomptées sont d’une telle ampleur que les GAFA en ont fait une priorité stratégique conduisant par exemple Google à créer une filiale dédiée (Verily).
Ce qui se trame aujourd’hui impactera lourdement le futur économique des systèmes de santé européens. Mais les données qui vont ensemencer ces bouleversements ne sont pas uniquement celles classiquement utilisées par le milieu hospitalier.

PRÉDICTION ET PRÉVENTION

La col­lecte et l’exploitation de ces océans de don­nées néces­siteront une logis­tique et des puis­sances de cal­cul épous­tou­flantes, mais les enjeux sont tels qu’il ne fait guère de doute que les investisse­ments suivront. 


De vastes pro­jets d’épidémiologie con­duisent aujourd’hui à insér­er dans nos télé­phones des “ mouchards bien­veil­lants ” © ALEXEY_BOLDIN

Ces infor­ma­tions mul­ti­fac­ettes met­tront en évi­dence des prédis­po­si­tions, et per­me­t­tront de détecter les pre­miers stades d’une patholo­gie avant ses symp­tômes explicites ou encore de réalis­er un ajuste­ment sur mesure des traitements. 

La médecine du futur qui en découlera, fondée sur la pré­dic­tion et la préven­tion, sem­ble inéluctable. Mais l’idée qu’elle jus­ti­fie un « mon­i­tor­ing » inces­sant de toutes nos activ­ités est assez désta­bil­isante et néces­sit­era des garde-fous. 

Le plan médecine génomique français ini­tié en 2016, qui vise à séquencer le génome de mil­lions de patients, soulève les mêmes inter­ro­ga­tions. Le séquençage de l’ensemble de la pop­u­la­tion sem­ble en effet être à notre portée. 

Le pre­mier étage de la médecine du futur évo­qué jusqu’ici con­duira à déclencher des alertes nous con­duisant à pren­dre con­tact de manière préven­tive avec un sys­tème de san­té lui aus­si forte­ment impacté par le numérique. 

UNE INFLATION DE DONNÉES

La « neu­roim­agerie », qui regroupe les tech­nolo­gies per­me­t­tant d’explorer la struc­ture ou le fonc­tion­nement cérébral, génère des don­nées de plus en plus mas­sives. Cette infla­tion néces­site aujourd’hui des moyens infor­ma­tiques de plus en plus con­séquents, qui con­duit à des rap­proche­ments avec les grands cen­tres de cal­cul tra­di­tion­nelle­ment dédiés à la physique. 

Dans le domaine de la recherche fon­da­men­tale, on crée aujourd’hui des images micro­scopiques du cerveau post-mortem avec une réso­lu­tion de l’ordre du micron. En empi­lant quelques mil­liers de coupes de quelques dizaines de gigaoctets cha­cune, pour obtenir une image tridi­men­sion­nelle, on se retrou­ve avec plusieurs cen­taines de teraoctets qui néces­si­tent sou­vent un cal­cu­la­teur haute per­for­mance pour être manipulées. 

La visu­al­i­sa­tion de telles don­nées requiert d’ailleurs des approches de type Google Earth. 

Arrivée de l’aimant Iseult à NeuroSpin, instrument dédié à l'exploration du cerveau humain
Arrivée de l’aimant Iseult à Neu­roSpin après un voy­age de plusieurs cen­taines de kilo­mètres depuis Belfort.
© CEA-PATRICK DUMAS

ISEULT, UN GRAND INSTRUMENT DÉDIÉ À L’EXPLORATION DU CERVEAU HUMAIN

L’aimant Iseult de 11,75 T corps entier en phase d’installation à NeuroSpin en 2017 est la pièce maîtresse d’un système d’imagerie par résonance magnétique (IRM) qui repoussera les limites de l’imagerie cérébrale.
L’aimant va prendre place dans une arche spécialement édifiée pour l’abriter mais il faudra sans doute encore deux ans pour installer l’ensemble de l’imageur IRM et obtenir les premières images de très haute qualité espérées.

La réal­i­sa­tion de cet aimant de cinq mètres de long, sur cinq mètres de diamètre et pesant plus de 130 tonnes est une prouesse tech­nologique. Les ingénieurs chercheurs du CEA ont conçu une bobine dans laque­lle cir­cule un courant d’une très grande inten­sité, de l’ordre de 1 500 ampères. 

L’utilisation de la supraconduction, indispensable pour atteindre des intensités aussi élevées, implique de maintenir l’aimant à 1,8 K (soit – 271,35 °C) grâce à un bain d’hélium liquide, dit superfluide.

IMAGERIE IN VIVO

Sans attein­dre de tels extrêmes, l’imagerie in vivo n’est pas à la traîne. Un exa­m­en IRM con­ven­tion­nel des­tiné à une lec­ture radi­ologique n’est guère plus volu­mineux qu’une pho­togra­phie numérique mod­erne, bien qu’il soit tridimensionnel. 

Mais les nou­velles modal­ités qui se sont général­isées dans le monde de la recherche génèrent beau­coup plus de don­nées. L’IRM fonc­tion­nelle, qui per­met de met­tre en évi­dence les réseaux fonc­tion­nels que recèle notre cerveau, en imageant les vari­a­tions de con­som­ma­tion d’oxygène au cours du temps, pro­duit des cen­taines voire des mil­liers d’images tridimensionnelles. 

La mag­né­toencéphalo­gra­phie (MEG), qui pro­pose quelques cen­taines de cap­teurs enreg­is­trant les décharges de pop­u­la­tions de neu­rones avec une réso­lu­tion tem­porelle de l’ordre de la mil­lisec­onde, est encore plus vorace en espace disque. 

L’IRM de dif­fu­sion, qui per­met de car­togra­phi­er la con­nec­tiv­ité de notre cerveau, en imageant l’anisotropie des mou­ve­ments aléa­toires de l’eau au sein des fais­ceaux de fibres, pro­duit des images tridi­men­sion­nelles gigognes : chaque vox­el, l’équivalent tridi­men­sion­nel d’un pix­el, con­tient lui-même une image tridi­men­sion­nelle de la mobil­ité de l’eau dans le cube de cerveau correspondant. 

Et la crois­sance n’est pas en passe de ralen­tir. Pour accélér­er et amélior­er le proces­sus de con­struc­tion des images IRM, on utilise des antennes par­al­lèles qui peu­vent génér­er jusqu’à une cen­taine d’images simul­tané­ment. Cette tech­nolo­gie sera impéra­tive pour prof­iter à plein de l’aimant à 11,7 tes­las qui a été instal­lé à Neu­roSpin en 2017 (cf. encadré) et dont un des prin­ci­paux objec­tifs est de zoomer, donc d’augmenter la réso­lu­tion spa­tiale des images… 

DES MYRIADES DE SUJETS ÉTUDIÉS

À la taille des exa­m­ens, il faut ajouter le nom­bre de sujets impliqués dans les études actuelles. 

IRM en cours
L’IRM pro­duit des cen­taines ou des mil­liers d’images tridimensionnelles
© ROMASET

Il est désor­mais fréquent de lancer une cam­pagne d’acquisition sur plusieurs mil­liers de sujets. Cette infla­tion est d’ailleurs en par­tie induite par une nou­velle stratégie de recherche qui con­siste à acquérir de front des images cérébrales et une car­togra­phie mas­sive du génome. 

Quand on réalise que le nom­bre de sujets usuelle­ment néces­saire dans les études géné­tiques est de l’ordre de plusieurs dizaines de mil­liers, pour des raisons de sen­si­bil­ité, on imag­ine aisé­ment la suite. Dans le cadre d’une étude épidémi­ologique du vieil­lisse­ment, la Grande-Bre­tagne vient par exem­ple d’initier une cohorte nationale d’imagerie sur 100 000 sujets appelée UK Biobank. 

Le Human Brain Project, un pro­jet phare de la Com­mu­nauté européenne, cherche à agréger les images acquis­es par une cen­taine d’hôpitaux et vise des mil­lions de patients. Pour pou­voir préserv­er le secret médi­cal, ce pro­jet développe des tech­nolo­gies inno­vantes per­me­t­tant d’analyser l’ensemble de ces images de con­cert sans qu’elles quit­tent leur hôpi­tal d’origine.

UN ACCÈS PARTAGÉ AUX DONNÉES

Le coût exor­bi­tant des pro­jets d’acquisition por­tant sur des mil­liers d’individus induit par ailleurs une évo­lu­tion pri­mor­diale : les agences qui finan­cent ces pro­jets imposent de plus en plus sou­vent un libre accès aux don­nées pour l’ensemble de la com­mu­nauté internationale. 

La stratégie du libre accès démul­ti­plie l’impact de la base de don­nées ce qui jus­ti­fie son coût. En out­re, plusieurs ini­tia­tives visent à har­monis­er les procé­dures d’acquisition et d’analyse afin de pou­voir com­bin­er les don­nées issues de plusieurs pro­jets (cf. encadré en fin d’article).

Mais le partage ne peut pas se lim­iter aux don­nées, car les besoins en cal­cul et en stock­age néces­saires à leur analyse dépassent les capac­ités usuelles des lab­o­ra­toires. La com­mu­nauté est aujourd’hui à la recherche de solu­tions de type cloud pour mutu­alis­er ses investisse­ments et ses efforts. 

BIG DATA ET BIOMARQUEURS

Dans un monde où les mal­adies cérébrales, qu’elles soient neu­rodégénéra­tives ou psy­chi­a­triques, impactent lour­de­ment nos sociétés, le big data est une nou­velle ten­ta­tive crédi­ble de faire émerg­er des bio­mar­queurs per­me­t­tant d’accompagner les essais thérapeutiques. 

« La frontière entre thérapie et “augmentation” de la nature humaine est de plus en plus ténue »

Au cours des dernières années, de nom­breuses pub­li­ca­tions ont mon­tré que des tech­niques d’apprentissage par ordi­na­teur per­me­t­tent de décou­vrir au sein de ces don­nées des motifs cachés inédits, hors de portée pour l’œil du radi­o­logue, véri­ta­bles sig­na­tures des patholo­gies. Ces motifs sont sus­cep­ti­bles de per­me­t­tre un diag­nos­tic pré­coce sur­venant avant les signes clin­iques et aug­men­tant les chances de suc­cès pour les thérapies. 

C’est par exem­ple le rôle de l’imagerie dans le domaine de la mal­adie d’Alzheimer, où après des échecs répétés des essais thérapeu­tiques sur les patients avancés dans la mal­adie, les ten­ta­tives actuelles visent des sujets ne présen­tant pas encore de symp­tômes très clairs mais dont les images cérébrales vont dans le sens d’une mal­adie d’Alzheimer.

NOUVELLES THÉRAPIES

L’impact du numérique dans le monde clin­ique n’est pas can­ton­né au diag­nos­tic mais touche égale­ment les thérapies, du fait de la mul­ti­pli­ca­tion des inter­faces cerveau-machine, qui per­me­t­tent à un indi­vidu de con­trôler par la pen­sée un ordi­na­teur, une pro­thèse ou tout autre sys­tème automa­tisé, sans sol­liciter ses bras, mains ou jambes. 

Ces inter­faces, qui reposent sur des cap­teurs enreg­is­trant l’activité cérébrale, font une util­i­sa­tion mas­sive de l’apprentissage par ordi­na­teur pour con­ver­tir les sig­naux en action. Les plus ambitieuses, qui reposent sur des élec­trodes implan­tées, visent le con­trôle d’un exosquelette redonnant la mobil­ité à un tétraplégique. 

La fron­tière entre thérapie et « aug­men­ta­tion » de la nature humaine est d’ailleurs de plus en plus ténue. Ray Kurzweil, ingénieur en chef de Google, évoque l’hybridation immi­nente de nos cerveaux avec des nanocom­posants élec­tron­iques nous con­nec­tant en per­ma­nence à un cloud computationnel. 

Nos pen­sées ne seraient alors plus exclu­sive­ment d’origine biologique…
 

CATI, UNE PLATEFORME DE SERVICES POUR L’IMAGERIE DES COHORTES

Base d'images de cerveau
Des tech­niques d’apprentissage par ordi­na­teur décou­vrent dans les grandes bases d’images du cerveau des sig­na­tures hors de portée pour l’œil du radi­o­logue. © JF MANGIN, C. FISCHER, D. RIVIÈRE

La plateforme CATI (Centre d’acquisition et de traitement d’images pour la maladie d’Alzheimer) est née en 2011 d’un groupe de laboratoires de recherche en neuroimagerie associant NeuroSpin (CEA), des unités mixtes de recherche Inserm-UPMC CNRS-Inria, l’AP-HP et l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.
Créée dans le cadre du plan Alzheimer (2008- 2012) pour soutenir l’essor de la neuroimagerie multicentrique dans les programmes de recherche clinique sur les démences, elle joue aujourd’hui un rôle de concentrateur de technologie national. Objectif : mettre rapidement en production, à destination de la recherche clinique, les avancées réalisées en France ou ailleurs.
Elle valorise ainsi de nombreux logiciels initialement conçus au sein de laboratoires français académiques et mène ses propres programmes de R & D pour minimiser autant que possible les biais liés à la multiplicité des types de scanners, en optimisant les paramètres d’acquisition et la robustesse des algorithmes d’analyse.
Elle dispose d’un réseau d’une centaine de services d’imagerie harmonisés, maillant le territoire et une partie de l’Europe. Les images collectées par un service web sont contrôlées puis analysées avec un niveau de qualité et de productivité industriel. Ainsi, aujourd’hui, plus d’une trentaine d’études font appel à ses services, sur un large spectre de pathologies : Alzheimer, démences à corps de Lewy, démences fronto-temporales, Parkinson, Huntington, sclérose latérale amyotrophique, troubles bipolaires…
À moyen terme, CATI pourrait intégrer l’ensemble des données produites au sein des hôpitaux, de manière à disposer de plusieurs millions d’individus.
Pour aller plus loin : http://cati-neuroimaging.com

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