Le DGE : Le dispositif d’optimisation des interventions de la gendarmerie

Dossier : Gendarmerie & numériqueMagazine N°778 Octobre 2022
Par Patrick TOUAK

La philoso­phie du dis­posi­tif de ges­tion des événe­ments (DGE) est l’économie des moyens par la mutu­al­i­sa­tion des ressources con­sacrées à la fonc­tion inter­ven­tion, afin de dimin­uer les con­traintes reposant sur les mil­i­taires et de redonner de la marge aux com­man­dants d’unité élé­men­taire. Cette trans­for­ma­tion pro­fonde et révo­lu­tion­naire du fonc­tion­nement quo­ti­di­en des unités de gen­darmerie a per­mis d’importants gains de présence sur la voie publique.

Le dis­posi­tif de ges­tion des événe­ments (DGE) con­stitue une trans­formation impor­tante des modes d’action de la gen­darmerie départe­men­tale sur la mis­sion « interven­tion » mais aus­si, plus glob­ale­ment, il emporte des con­séquences sur l’ensemble de l’organisation du ser­vice des brigades ter­ri­to­ri­ales (ges­tion des procé­dures judi­ci­aires notam­ment). Il per­met d’optimiser les effec­tifs dédiés à la ges­tion des inter­ven­tions sur un ter­ri­toire défi­ni en s’appuyant d’une part sur un out­il d’aide à la déci­sion fondé sur l’intelligence arti­fi­cielle et d’autre part sur la mutu­al­i­sa­tion des unités au sein d’un secteur défini.

Un dispositif gagnant-gagnant 

Ce dis­posi­tif gag­nant pour la pop­u­la­tion, gag­nant pour la gen­darmerie, répond plus effi­cace­ment aux sol­lic­i­ta­tions du pub­lic et, de façon con­comi­tante, dégage des marges de manœu­vre opéra­tionnelles sig­ni­fica­tives. Il per­met égale­ment au gen­darme de mieux s’organiser, d’être plus effi­cace et de gag­n­er en sécu­rité lors des inter­ven­tions. Ces gains sont redé­ployés au prof­it des mis­sions de sécu­rité du quo­ti­di­en, notam­ment celles en con­tact avec la pop­u­la­tion et en occu­pa­tion de la voie publique. Le dis­posi­tif de ges­tion des événe­ments (DGE) illus­tre la trans­for­ma­tion de la gen­darmerie vers un mod­èle d’intervention plus effi­cient, sou­ple et agile, où le numérique est indis­pens­able pour l’aide à la déci­sion du chef ter­ri­to­r­i­al dans une logique d’optimisation des moyens. « Résoudre ce prob­lème » est par­ti­c­ulière­ment com­plexe, car il s’agit de mod­élis­er, de plan­i­fi­er ce qui n’est pas prévis­i­ble, à savoir les appels de « police sec­ours » au 17 sur des ter­ri­toires où les élon­ga­tions, les con­di­tions de cir­cu­la­tion, l’intensité et la sen­si­bil­ité de l’intervention, la disponi­bil­ité des moyens, la sit­u­a­tion opéra­tionnelle de l’instant sont extrême­ment vari­ables. Un des impérat­ifs est, bien évidem­ment, de ne pas dégrad­er la réponse opéra­tionnelle de la gendarmerie.

D’une aventure humaine artisanale à une généralisation appuyée par le numérique 

La gen­darmerie assure la sécu­rité de nos conci­toyens sur plus de 95 % du ter­ri­toire nation­al, grâce à un mail­lage (répar­ti­tion de ses unités) très fin (plus de 3 000 implan­ta­tions). L’organisation du tra­vail quo­ti­di­en qui en découle est fondée sur une con­cep­tion de ser­vice au niveau élé­men­taire com­plétée par deux principes fon­da­men­taux : la com­plé­men­tar­ité et la sub­sidiar­ité des unités. Si ces principes, cou­plés au statut mil­i­taire des gen­darmes, per­me­t­tent une excel­lente réponse opéra­tionnelle en temps de paix comme en temps de crise, le défi du dis­posi­tif de ges­tion des événe­ments (DGE) con­siste à opti­miser la ressource pour dégager des marges de manœu­vre au prof­it de la présence de voie publique.

Lancée dans le groupe­ment (unité de gen­darmerie respon­s­able d’un départe­ment) du Lot-et-Garonne (47) en jan­vi­er 2017, la démarche DGE a été conçue sous sa forme « arti­sanale » par une approche big data cen­trée sur la don­née d’intervention : les lieux, jours, créneaux, durées des inter­ven­tions sont les élé­ments clés. Pour assur­er une robustesse du mod­èle, la mod­éli­sa­tion est effec­tuée à par­tir de deux années d’historique. La com­plex­ité du prob­lème réside dans le fait de vouloir plan­i­fi­er, de manière opti­male, le nom­bre de patrouilles à un instant T sur un ter­ri­toire vaste, sans pou­voir déter­min­er avec cer­ti­tude les heures des inter­ven­tions, en réduisant le « coût glob­al » de cette mis­sion tout en garan­tis­sant un meilleur niveau de ser­vice rendu. 

Écran de répartition des patrouilles permettant d’assurer une couverture optimale du secteur.
Écran de répar­ti­tion des patrouilles per­me­t­tant d’assurer une cou­ver­ture opti­male du secteur.

Le dis­posi­tif de ges­tion des événe­ments (DGE) doit per­me­t­tre de gér­er au mieux le « bruit » quo­ti­di­en des inter­ven­tions de faible et moyenne inten­sités. Une fois le vol­ume de patrouilles néces­saires à cette mis­sion déter­miné, il s’agit de répar­tir équitable­ment l’effort entre les unités con­tributri­ces, suiv­ant dif­férents critères paramé­tra­bles (démarche d’optimisation sous con­traintes). Les prin­ci­paux obsta­cles-enjeux sont : l’incertitude, par con­struc­tion, de la sur­v­enue des événe­ments ; l’incertitude égale­ment sur leur durée, leur inten­sité ; les élon­ga­tions vari­ables pour se ren­dre sur les dif­férents lieux au vu de la répar­ti­tion ter­ri­to­ri­ale des ressources (implan­ta­tion des casernes) ; l’équité de la répar­ti­tion entre les unités contributrices. 

Expéri­men­té de jan­vi­er à sep­tem­bre 2017, le sys­tème DGE a démon­tré sa per­ti­nence et obtenu des résul­tats probants : amélio­ra­tion de la réponse opéra­tionnelle sur la fonc­tion inter­ven­tion, aug­men­ta­tion sig­ni­fica­tive de la présence sur la voie publique et forte diminu­tion des astreintes immé­di­ates pour les gen­darmes. La par­tic­u­lar­ité de la démarche tient égale­ment dans son car­ac­tère « par­tic­i­patif », puisque le com­man­de­ment a asso­cié dès le départ un pan­el représen­tatif de gen­darmes locaux. Le sys­tème ayant fait ses preuves dans un départe­ment « clas­sique » de la zone de com­pé­tences de la Gen­darmerie nationale, il était néces­saire de le tester dans un secteur à l’activité très soutenue. L’Isère (38), par la volon­té de son com­man­dant de groupe­ment local, teste le dis­posi­tif dès juin 2018 avec le retour d’expérience du Lot-et-Garonne. Là encore les résul­tats con­for­tent l’idée de départ.

Validé par le directeur général de la gen­darmerie, le dis­posi­tif de ges­tion des événe­ments (DGE) a dès lors voca­tion à se généralis­er à l’ensemble du ter­ri­toire en s’appuyant sur ses forces : sou­p­lesse et adapt­abil­ité du mod­èle. Un écueil impor­tant demeure : dis­pos­er d’un sys­tème d’information capa­ble d’en banalis­er la mod­éli­sa­tion car, sans des con­nais­sances sci­en­tifiques fortes, il est par­ti­c­ulière­ment com­plexe de mod­élis­er le juste besoin. Il est alors décidé de dévelop­per un sys­tème d’information d’aide à la con­cep­tion d’un DGE basé sur le big data et sur la recherche opéra­tionnelle (RO), ain­si que de créer une task force pluridis­ci­plinaire au niveau de la DGGN (direc­tion générale de la Gen­darmerie nationale) pour accom­pa­g­n­er les éch­e­lons ter­ri­to­ri­aux de com­man­de­ment à sa mise en œuvre.

Un développement agile et interne fondé sur des technologies big data et IA

Début 2019, un groupe pro­jet est con­sti­tué au sein de la DGGN, com­posé d’experts métiers et tech­niques, de manière à con­cevoir en mode agile une appli­ca­tion capa­ble de mod­élis­er un dis­posi­tif de ges­tion des événe­ments (DGE) sur tout départe­ment avec le max­i­mum de flex­i­bil­ité pos­si­ble, tout en « masquant » au max­i­mum sa com­plex­ité. Dévelop­pé par le ser­vice des tech­nolo­gies et des sys­tèmes d’information de la sécu­rité intérieure (ST(SI)2) avec ses pro­pres com­pé­tences tech­niques, ce sys­tème d’information DGE per­met à tout chef ter­ri­to­r­i­al de créer facile­ment un dis­posi­tif en fonc­tion de ses pro­pres choix. En quelques mois seule­ment, grâce à des officiers dis­posant d’une dou­ble com­pé­tence tech­nique (ingénieurs de grandes écoles telles que Poly­tech­nique, Télé­com Paris­Tech, Cen­trale) et méti­er, c’est une appli­ca­tion à la fois très intu­itive mais égale­ment totale­ment paramé­tra­ble qui voit le jour et qui per­met à tout util­isa­teur de « trou­ver » son DGE en quelques min­utes. Cette appli­ca­tion DGE est com­posée de deux modules.

Le pre­mier per­met de mod­élis­er le besoin : déter­min­er au sein d’un départe­ment le ter­ri­toire sur lequel le dis­posi­tif de ges­tion des événe­ments (DGE) a du sens. Pour cela, l’utilisateur visu­alise des infor­ma­tions sur les inter­ven­tions (géolo­cal­isées et horo­datées) sur­v­enues au cours des deux dernières années, qu’il peut affich­er comme il le souhaite en fonc­tion d’un jour et d’un créneau horaire sélec­tion­nés. Il lui faut découper son départe­ment en secteurs grâce aux infor­ma­tions à dis­po­si­tion et à sa con­nais­sance du ter­rain. Un secteur est défi­ni par son épi­cen­tre et par la zone cou­verte depuis ce cen­tre en un temps de tra­jet max­i­mal autorisé, de vingt à quar­ante min­utes. Il est pos­si­ble d’intégrer une den­sité de cir­cu­la­tion afin d’affiner la mod­éli­sa­tion dans les zones et les créneaux plus urbains.

Répartition automatique de la charge des patrouilles sur les différentes unités.
Répar­ti­tion automa­tique de la charge des patrouilles sur les dif­férentes unités.

Une fois ces secteurs déter­minés, il faut, dans chaque secteur, pour chaque jour de la semaine et chaque créneau horaire (matin, après-midi, pre­mière et deux­ième par­tie de nuit), déter­min­er un nom­bre de patrouilles qui seront dédiées à la mis­sion « police sec­ours », dans une logique de juste besoin. Le but n’est pas d’assurer une cou­ver­ture max­i­male qui per­me­tte de répon­dre même aux événe­ments les plus excep­tion­nels, mais d’optimiser la cou­ver­ture en fonc­tion des don­nées à dis­po­si­tion. Le chef opéra­tionnel doit faire des choix impor­tants qui seront prépondérants dans la réus­site du DGE. La force de l’application est qu’elle lui offre la pos­si­bil­ité à tout moment de revenir à une étape antérieure sans con­séquence néga­tive si le chef s’aperçoit d’une erreur de con­cep­tion. Cette par­tie de la démarche, si elle paraît être la plus aisée, est finale­ment la plus impor­tante car elle con­di­tionne tout le reste.

“En 2021, ce sont 389 000 heures supplémentaires de présence sur la voie publique qui ont été réalisées grâce au DGE.”

Un fois la pre­mière étape totale­ment achevée, le besoin en patrouilles est défi­ni ; il con­vient désor­mais de répar­tir cette charge entre les dif­férentes unités de la zone pour les qua­tre semaines à venir. On par­le de prévi­sion à 4 semaines ou P4S. Cette phase est la plus sen­si­ble pour le per­son­nel, car elle déter­mine la con­tri­bu­tion de chaque unité. Cha­cune d’elles est attachée à un ou plusieurs des secteurs défi­nis précédem­ment. Un sys­tème de pondéra­tion per­met d’affiner la charge pour chaque unité. Le chef ter­ri­to­r­i­al doit décider de la par­tic­i­pa­tion d’une unité sur tout ou par­tie de la journée découpée en qua­tre créneaux (matin, après-midi, pre­mière et deux­ième par­tie de nuit) et sur la total­ité des qua­tre semaines ou seule­ment une partie.

Répartition automatique de la charge des patrouilles sur les différentes unités.
Répar­ti­tion automa­tique de la charge des patrouilles sur les dif­férentes unités.

Une fois la sélec­tion achevée, un algo­rithme d’optimisation sous con­traintes va établir en quelques sec­on­des une plan­i­fi­ca­tion à 4 semaines qui respecte les choix effec­tués, notam­ment les pondéra­tions ; lisse au mieux la par­tic­i­pa­tion sur les qua­tre semaines ; veille à une répar­ti­tion opti­male des ser­vices de nuit entre les unités. L’un des gros atouts de cet algo­rithme, dévelop­pé en interne par le chef d’escadron Guil­laume Humeau (X09), est de per­me­t­tre à un util­isa­teur de réalis­er rapi­de­ment plusieurs sim­u­la­tions pour tester dif­férents cadres et affin­er sa solution.

Bilan et perspectives

Le DGE con­stitue une véri­ta­ble trans­for­ma­tion dis­rup­tive du fonc­tion­nement quo­ti­di­en des unités ter­ri­to­ri­ales de la gen­darmerie. Il doit s’accompagner d’une con­duite du change­ment sur mesure, tant en interne qu’en externe. Mod­i­fi­er en pro­fondeur des proces­sus ancrés dans la tête de nos mil­i­taires et de nos inter­locu­teurs du quo­ti­di­en (élus, mag­is­trats…) n’est pas chose aisée. Lors de sa général­i­sa­tion pro­gres­sive, la mise en œuvre des DGE a ren­con­tré des dif­fi­cultés plus ou moins impor­tantes, en fonc­tion de l’implication des éch­e­lons locaux et de la phase accom­pa­g­ne­ment de la démarche. 

Ce change­ment, s’il mon­tre des résul­tats très encour­ageants, reste cli­vant à cer­tains endroits et néces­site un suivi per­ma­nent afin de le con­solid­er et de tir­er tous les béné­fices apparus dans les pre­miers départe­ments l’ayant expéri­men­té. De plus, même s’il ne con­cerne a pri­ori que la mis­sion inter­ven­tion, il impacte en réal­ité l’intégralité du fonc­tion­nement des unités, en par­ti­c­uli­er l’attribution et la ges­tion des procé­dures judi­ci­aires, ain­si que la notion de com­pé­tence ter­ri­to­ri­ale qu’il tran­scende. Cer­tains us et cou­tumes sont pro­fondé­ment impactés et néces­si­tent un accom­pa­g­ne­ment fin et con­tinu. L’un des grands enseigne­ments de l’aventure DGE est l’apport con­sid­érable que représen­tent les algo­rithmes d’optimisation sous con­traintes dans la trans­for­ma­tion des modes de fonc­tion­nement de la gen­darmerie. Depuis, de nom­breux autres pro­jets ont vu le jour qui s’inspirent de cette démarche agile, con­crète et révo­lu­tion­naire dans sa conduite. 

En 2021, ce sont 389 000 heures sup­plé­men­taires de présence sur la voie publique qui ont été réal­isées grâce au dis­posi­tif de ges­tion des événe­ments (DGE). Ce pro­jet de trans­for­ma­tion en inspire de nou­veaux et en con­forte d’autres : assis­tant à la con­cep­tion du ser­vice (« assis­tant P4S »), aide à la plan­i­fi­ca­tion d’emploi des unités de force mobile, mod­éli­sa­tion du ser­vice des cen­tres opéra­tionnels de la gen­darmerie, pro­jet Ubiq­ui­ty, un « PC sans fil » qui numérise le vieux car­net de déc­la­ra­tion, pro­jets speech to text, sys­tème d’analyse séman­tique des doc­u­ments (notam­ment judi­ci­aires)… Ces pro­jets numériques ambitieux s’inscrivent dans la stratégie plus générale Gend 20.24 de mod­erni­sa­tion pro­fonde de la gen­darmerie et de ses modes de fonctionnement. 

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