L’assistant P4S, les X gendarmes automatisent la planification mensuelle

Dossier : Gendarmerie & numériqueMagazine N°778 Octobre 2022
Par Gaël de LÉSÉLEUC de KÉROUARA (X12)

Les poly­tech­ni­ciens de la Gen­darmerie nationale ont dévelop­pé un algo­rithme d’aide à la plan­i­fi­ca­tion des activ­ités en brigade, l’« assis­tant P4S » (plan­i­fi­ca­tion à 4 semaines), qui est par­ti­c­ulière­ment per­for­mant et surtout intu­itif, au ser­vice des com­man­dants de brigade. Ces derniers se sont si bien appro­prié l’outil qu’ils lui trou­vent des appli­ca­tions de plus en plus var­iées, au-delà de son objec­tif initial.

Le prob­lème de la plan­i­fi­ca­tion des mis­sions au sein d’une brigade de gen­darmerie est com­plexe à résoudre, car le com­man­dant de brigade – qui peut avoir entre 15 et 40 gen­darmes sous son com­man­de­ment – doit pren­dre en con­sid­éra­tion des dizaines de con­traintes dif­férentes et bien sou­vent con­tra­dic­toires : des con­traintes statu­taires, par exem­ple « après avoir effec­tué une patrouille de nuit, un gen­darme doit béné­fici­er d’une péri­ode de récupéra­tion phys­i­ologique le lende­main matin », des con­traintes opéra­tionnelles telles que « le same­di matin, j’ai besoin de deux gen­darmes à l’accueil pour faire face à l’afflux de plaig­nants » ou encore « chaque nuit, excep­té le lun­di, je veux au moins une patrouille dehors sur le ter­rain », mais égale­ment les desider­a­ta des gen­darmes : « le gen­darme K. souhait­erait être en repos le deux­ième week-end du mois ». Il s’agit alors de réalis­er un plan­ning respec­tant l’ensemble de ces con­traintes (ou la majorité s’il est impos­si­ble de faire autrement), tout en étant équitable dans la répar­ti­tion des mis­sions. Con­crète­ment, réalis­er cette plan­i­fi­ca­tion demande à chaque com­man­dant de brigade une à deux journées de tra­vail par mois, avec tou­jours ce doute à l’issue : « Aurais-je pu con­cevoir un meilleur plan­ning ? » Il faut ajouter que, lorsqu’un imprévu survient, par exem­ple si un gen­darme tombe malade, il est sou­vent néces­saire de refaire une par­tie impor­tante du plan­ning. Pour aider les com­man­dants de brigade à résoudre ce prob­lème, la Gen­darmerie nationale a dévelop­pé en interne un out­il d’aide à la déci­sion : l’assistant P4S.


L’équation complexe de la planification mensuelle des services

La Gen­darmerie nationale s’appuie sur un réseau de plus de 3 000 brigades répar­ties à tra­vers le ter­ri­toire mét­ro­pol­i­tain et ultra­marin. Chaque mois, ce sont donc autant de com­man­dants d’unité qui doivent effectuer la plan­i­fi­ca­tion men­su­elle du ser­vice (appelée P4S dans le jar­gon des gen­darmes pour « prévi­sion à 4 semaines ») : il s’agit d’attribuer à chaque gen­darme de l’unité une mis­sion pour chaque péri­ode (matin, après-midi et nuit) des vingt-huit jours du mois à venir.


Une histoire de polytechniciens

L’histoire de la con­cep­tion de l’assistant P4S est intime­ment liée aux poly­tech­ni­ciens et démon­tre tout l’intérêt des rela­tions étroites entretenues entre l’École et la gen­darmerie. En 2018, un élève offici­er poly­tech­ni­cien, Arthur Ribeiro de Car­val­ho (X17), effectue son stage FHM dans le groupe­ment de gen­darmerie départe­men­tale du Lot-et-Garonne et développe un démon­stra­teur : l’outil n’est pas paramé­tra­ble et ne peut donc pas s’adapter à la diver­sité des modes de fonc­tion­nement des brigades, mais il suf­fit à démon­tr­er la per­ti­nence et la fais­abil­ité de l’automatisation de la plan­i­fi­ca­tion men­su­elle du ser­vice. Deux ans plus tard, un autre poly­tech­ni­cien de la même pro­mo­tion, Robin Michard (X17), réalise son stage de recherche au sein du ser­vice des tech­nolo­gies et des sys­tèmes d’information de la sécu­rité intérieure (ST(SI)²) et développe un pro­to­type entière­ment paramé­tra­ble, qui est testé et validé par une trentaine de com­man­dants de brigade. L’histoire con­tin­ue puisque Robin et Arthur ont depuis rejoint la Gen­darmerie nationale et sont actuelle­ment tous les deux des com­man­dants de brigade.

Du prototype au déploiement national

À l’issue du stage de Robin, le pro­to­type a été repris, amélioré puis indus­tri­al­isé par le Data­L­ab du ST(SI)² afin de pren­dre en compte 3 000 util­isa­teurs poten­tiels. L’algorithme a été inté­gré au sein du sys­tème d’information de la gen­darmerie dédié à la plan­i­fi­ca­tion du ser­vice et à la remon­tée des résul­tats, et il est actuelle­ment pro­gres­sive­ment déployé à tra­vers l’ensemble des unités de gen­darmerie. Le car­ac­tère gradu­el de cette mise à dis­po­si­tion per­met d’accompagner étroite­ment les com­man­dants d’unité dans l’appropriation de l’outil, avec le déplace­ment de for­ma­teurs au sein de chaque région au moment du déploiement.

Le cœur de l’algorithme : de la recherche opérationnelle

Revenons-en à l’assistant P4S. L’outil est fondé sur des tech­niques clas­siques de recherche opéra­tionnelle : la plan­i­fi­ca­tion men­su­elle du ser­vice est mod­élisée de manière math­é­ma­tique sous la forme d’un prob­lème d’optimisation linéaire en nom­bres entiers, avec deux objec­tifs. L’objectif prin­ci­pal est de réalis­er une répar­ti­tion équitable des mis­sions entre les gen­darmes. L’objectif sec­ondaire est de min­imiser le nom­bre de con­traintes qui ne sont pas respec­tées, les con­traintes étant pondérées selon leur importance.

Assistant P4S : définition formelle des variables
Déf­i­ni­tion formelle des variables

Assistant P4S : exemple d'équation : respect des besoins opérationnels
Exem­ple d’équa­tion : respect des besoins opérationnels

Un problème devant être entièrement paramétrable

L’assistant P4S doit s’adapter aux mul­ti­ples modes de fonc­tion­nement des brigades afin de pou­voir être util­isé par tous les com­man­dants d’unité. Pour illus­tr­er cette diver­sité, prenons deux exem­ples. Si l’on con­sid­ère une pre­mière brigade située dans une zone à forte activ­ité et dotée d’une quar­an­taine de gen­darmes : afin de se dégager des marges de manœu­vre et gér­er ain­si cor­recte­ment les mul­ti­ples sol­lic­i­ta­tions opéra­tionnelles, le com­man­dant d’unité peut décider de scinder son unité en dif­férents groupes spé­cial­isés, cha­cun chargé d’une mis­sion par­ti­c­ulière (ges­tion des inter­ven­tions, ges­tion des enquêtes, etc.).

A con­trario, si l’on con­sid­ère une brigade com­posée de seule­ment une quin­zaine de mil­i­taires, le com­man­dant d’unité a peu de marge de manœu­vre : chaque gen­darme va devoir suc­ces­sive­ment assur­er l’ensemble des mis­sions et il sera même par­fois néces­saire d’affecter plusieurs mis­sions simul­tané­ment à un même gen­darme, par exem­ple assur­er à la fois la per­ma­nence judi­ci­aire et la per­ma­nence opéra­tionnelle. De même, les besoins opéra­tionnels en zone touris­tique, en zone rurale ou en zone urbaine sont fort dif­férents et engen­drent une var­iété impor­tante dans la nature des mis­sions à effectuer.

“Un outil intégralement paramétrable et en même temps intuitif dans son utilisation.”

Chaque unité pos­sède donc une organ­i­sa­tion et des impérat­ifs qui lui sont pro­pres. Pour pren­dre cor­recte­ment en compte ces spé­ci­ficités, les con­traintes du prob­lème ont été posées de manière à être inté­grale­ment paramé­tra­bles par les com­man­dants d’unité.

L’importance de l’interface utilisateur

La dif­fi­culté prin­ci­pale est de ren­dre cet out­il, inté­grale­ment paramé­tra­ble, égale­ment intu­itif dans son util­i­sa­tion : il est des­tiné à env­i­ron 3 000 com­man­dants d’unité qui ne con­nais­sent pas la recherche opéra­tionnelle et pour qui for­malis­er la manière dont ils conçoivent leur ser­vice est par­fois dif­fi­cile. Réus­sir à paramétr­er fine­ment l’outil de façon à ce qu’il génère des plan­nings respec­tant le mode d’organisation mis en place dans leur unité peut donc se révéler compliqué.

Assistant P4S : exemple de configuration de contraintes d'enchaînements entre différentes missions.
Exem­ple de con­fig­u­ra­tion de con­traintes d’en­chaîne­ments entre dif­férentes missions.

Con­crète­ment, l’utilisation de l’assistant P4S se déroule de la façon suiv­ante : grâce à une inter­face web, les com­man­dants d’unité peu­vent con­fig­ur­er fine­ment l’assistant à tra­vers un par­cours util­isa­teur. Ils vont ain­si suc­ces­sive­ment définir les posi­tions de ser­vice pro­pres à l’unité (par exem­ple : chargé d’accueil, per­ma­nence judi­ci­aire, patrouilles…), les besoins en mil­i­taires pour chaque posi­tion, la capac­ité de chaque mil­i­taire à assur­er chaque type de mis­sion, les enchaîne­ments de posi­tions oblig­a­toires ou inter­dits, le nom­bre cible de mis­sions à assur­er pour chaque mil­i­taire, etc. L’utilisateur est égale­ment en mesure d’associer des degrés de pri­or­ité aux con­traintes, dans le cas où ces dernières ne pour­raient pas être respec­tées de manière simultanée.

Assistant P4S : Exemple de configuration pour répartir le volume des missions à effectuer pour chaque militaire
Exem­ple de con­fig­u­ra­tion pour répar­tir le vol­ume des mis­sions à effectuer pour chaque militaire

Expliquer l’absence de solution

Il arrive régulière­ment que le solveur con­clue qu’il n’existe aucune solu­tion au prob­lème de plan­i­fi­ca­tion soumis par l’utilisateur. Cela survient lorsque des con­traintes con­tra­dic­toires sont encodées, soit par inad­ver­tance, soit au con­traire par volon­té de tester l’impact de l’ajout de con­traintes plus « fortes » que celles réelle­ment respec­tées dans les plan­nings réal­isés manuellement. 

Prenons à titre d’illustration, l’exemple suiv­ant qui n’a pas de solu­tion : 1. chaque jour deux gen­darmes doivent assur­er la per­ma­nence judi­ci­aire ; 2. le week-end du 23–24 juil­let, seule­ment trois gen­darmes sont disponibles et capa­bles de pren­dre cette per­ma­nence judi­ci­aire ; 3. une journée de per­ma­nence judi­ci­aire doit être suiv­ie d’une mat­inée sans mis­sion le lende­main. Lorsque de telles sit­u­a­tions survi­en­nent, il est indis­pens­able de ne pas laiss­er le com­man­dant d’unité seul face à cette absence de solu­tion, mais au con­traire de lui expli­quer l’origine du prob­lème afin qu’il puisse, en con­nais­sance de cause, pren­dre une déci­sion qui rende le prob­lème à nou­veau solv­able, en relâchant telle ou telle con­trainte. Pour fournir au com­man­dant d’unité une expli­ca­tion lorsque le prob­lème n’a pas de solu­tion, on iden­ti­fie automa­tique­ment des ensem­bles min­i­mums de con­traintes en con­tra­dic­tion – dans le jar­gon académique : irre­ducibly incon­sis­tent sys­tems (IIS) – et on pro­duit à par­tir de ces ensem­bles des phras­es sim­ples explic­i­tant la con­tra­dic­tion présente dans le prob­lème de plan­i­fi­ca­tion soumis au solveur. 

Dans le cas de l’exemple précé­dent, l’outil pré­cis­erait que les besoins pour la mis­sion per­ma­nence judi­ci­aire ne sont pas atteignables au regard des effec­tifs disponibles le week-end du 23–24 juil­let et de l’impossibilité d’enchaîner deux per­ma­nences judi­ci­aires. L’assistant P4S n’est qu’un out­il d’aide à la déci­sion et n’a pas voca­tion à se sub­stituer au com­man­dant de brigade : charge à ce dernier de décider si, dans ce cas pré­cis, il préfère attribuer moins de repos lors du week-end du 23–24 juil­let ou s’il accepte qu’un gen­darme puisse exception­nellement enchaîn­er deux per­ma­nences judiciaires. 

De nouveaux usages

Au-delà de l’intérêt pra­tique – gain de temps lors de la généra­tion d’un plan­ning – on remar­que que cet out­il est égale­ment util­isé par cer­tains com­man­dants d’unité pour ques­tion­ner et opti­miser les modes d’organisation exis­tants : l’assistant P4S sert alors de sim­u­la­teur pour expéri­menter et mesur­er l’impact de déci­sions, par exem­ple : « Je souhaite posi­tion­ner un deux­ième mil­i­taire quo­ti­di­en­nement à l’accueil pour aider le chargé d’accueil. Est-ce pos­si­ble ? Quel est l’impact de ce change­ment si seuls les mil­i­taires des grades de gen­darme et maréchal des logis chef effectuent cette mis­sion ? Etc. »

La recherche opérationnelle : des gains potentiels importants au profit des forces de sécurité

Ayant mon­té en com­pé­tence dans le domaine de l’optimisation sous con­traintes avec ce pre­mier pro­jet, le Data­L­ab du ST(SI)² cherche désor­mais à pro­pos­er des out­ils d’aide à la déci­sion aux divers états-majors de l’administration cen­trale, qui sont régulière­ment con­fron­tés à des défis d’optimisation sous con­traintes. Cela peut con­cern­er des prob­lèmes sim­i­laires de plan­i­fi­ca­tion : aider à la con­cep­tion des plans de recrute­ment et d’incorporation des futurs élèves gen­darmes tout en prenant en compte les objec­tifs poli­tiques (hausse des vol­umes de recrute­ment), les con­traintes budgé­taires mais égale­ment logis­tiques (pro­pres aux capac­ités de chaque école de for­ma­tion) ; ou encore aider à la plan­i­fi­ca­tion des mis­sions de la cen­taine d’escadrons de gen­darmerie mobile : on souhaite alors respecter l’ensemble des besoins opéra­tionnels fixés par les décideurs, tout en étant équitable entre les escadrons et en lais­sant le temps à chaque escadron d’effectuer sa for­ma­tion continue. 

Le Data­L­ab traite égale­ment des prob­lèmes d’allocation de ressources, par exem­ple pro­pos­er au ges­tion­naire RH des out­ils de sim­u­la­tion et d’aide à la con­cep­tion des plans de muta­tion ; voire expéri­mente des pro­to­types plus atyp­iques, par exem­ple pour tir­er prof­it des posi­tions GPS des patrouilles présentes sur le ter­rain et pro­pos­er immé­di­ate­ment à un chef opéra­tionnel des plans d’interception opti­misés lorsque cer­tains événe­ments survi­en­nent, tels qu’un braquage, un délit de fuite, etc.


Lire aussi : Le DGE : Le dispositif d’optimisation des interventions de la gendarmerie

Poster un commentaire