Napoléon et la Dordogne

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°615 Mai 2006Par : Erik Egnell (57) Préface de Jean Tulard, de l’InstitutRédacteur : Gilles COSSON (57)

Avec Napo­léon et la Dor­dogne, Erik Egnell nous offre une recons­ti­tu­tion vivante et fouillée de l’évolution du Péri­gord sous le Pre­mier Empire. Nour­ri aux meilleures sources his­to­riques, l’ouvrage nous entraîne dans ce dépar­te­ment rural, encore lar­ge­ment féo­dal à l’orée de la Révo­lu­tion, et qui va connaître de pro­fonds bou­le­ver­se­ments sous l’Aigle. On y découvre avec bon­heur une foi­son de per­son­nages pit­to­resques, nobles émi­grés ou ral­liés, bour­geois ache­teurs de biens natio­naux, offi­ciers géné­raux, pré­fets de l’Empire (les pre­miers du genre), phi­lo­sophes ou simples pay­sans qui presque tous par­tagent un tem­pé­ra­ment fron­deur dont il est connu que pour être fran­çais en géné­ral, il n’est jamais si bien illus­tré que par les Péri­gour­dins (Péri­gor­dins). Mon­taigne n’avait-il pas le pre­mier don­né l’exemple de l’indépendance ? Atta­chés à leur terre, mais ten­tés un temps par l’aventure, c’est donc une gale­rie de por­traits pit­to­resques et rapi­de­ment bros­sés qui nous est offerte, au hasard des cir­cons­tances chan­geantes, tan­tôt glo­rieuses, tan­tôt dou­lou­reuses, d’une époque fer­tile en rebondissements.

Ain­si voyons-nous défi­ler sous nos yeux Maine de Biran, sous-pré­fet de Ber­ge­rac, membre du corps légis­la­tif et phi­lo­sophe dis­tin­gué, qui n’oublie pas de tra­hir celui qu’il a ser­vi lorsque les cir­cons­tances l’exigent, le géné­ral Four­nier qui vou­lait “ abattre le Pre­mier consul à trente pas ”, mais n’en devient pas moins géné­ral d’Empire avant d’être nom­mé ins­pec­teur géné­ral de la cava­le­rie par Louis XVIII (son por­trait pré­side au Louvre la salle Mol­lien), mais aus­si le géné­ral Dau­mes­nil, héros de la défense du fort de Vin­cennes dans les mau­vais jours de l’occupation de Paris, ou le futur maré­chal Bugeaud, alors colo­nel, s’illustrant en Savoie dans la lutte contre ceux que l’on appe­lait alors les Aus­tro-Sardes, ceux-là mêmes dont le siège en 1815 a don­né nais­sance à la fière devise ins­crite sur les murailles de Brian­çon (Le pas­sé répond de l’avenir). L’on y découvre enfin un Pou­tard, évêque concor­da­taire, bien­tôt marié, qui offi­cie en bon­net rouge, un Male­ville secré­taire de la com­mis­sion de rédac­tion du Code civil et futur pré­sident de la Cour de cas­sa­tion, et nombre d’insoumis pre­nant le maquis pour évi­ter la conscription.

Bref une impres­sion­nante série de réfrac­taires à tout ce qu’une admi­nis­tra­tion guer­rière peut traî­ner dans son sillage : col­lec­teurs d’impôts, “ gar­ni­saires ” agents de la levée en masse, ser­vants des Te Deum en tout genre, sans omettre les bri­gands assez nom­breux qui non contents de fuir les incon­vé­nients de l’époque attaquent joyeu­se­ment les convois de fonds avant de finir sou­vent guillo­ti­nés sur la grand-place de Périgueux.

Bref un vivant kaléi­do­scope dont on sort la tête un peu far­cie tant est grand le nombre des pro­ta­go­nistes, mais amu­sé et content de voir à quel point nous sommes les héri­tiers de cette tra­di­tion qui fait de nous des êtres ingou­ver­nables, éter­nels tru­blions devant l’autorité, thu­ri­fé­raires enflam­més aujourd’hui de ce que nous brû­le­rons demain, mais en défi­ni­tive inté­res­sants, ne serait-ce que par notre atta­che­ment à nos tra­di­tions et par­fois à une pro­vince dont nous sommes nom­breux à être tom­bés sous le charme. Il est juste de dire pour ter­mi­ner que Napo­léon n’y avait jamais mis les pieds… Sans doute se méfiait-il de l’indépendance d’esprit de ses habitants ?

Mer­ci donc à notre cama­rade Egnell, tout d’origine sué­doise qu’il soit, pour nous avoir don­né ce plai­sir de lec­ture en nous replon­geant au coeur d’un de nos plus beaux ter­roirs, plon­gé dans le désordre et le tumulte d’une époque qui, par les pos­si­bi­li­tés d’ascension sociale et de gloire qu’elle a repré­sen­tées, est res­tée chère au coeur des Français.

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