Lettre à un ami musulman suivie de Une spiritualité pour notre temps

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°605 Mai 2005Par : Gilles COSSON (57)Rédacteur : Erik EGNELL (57)

On ne fré­quente pas impu­né­ment la terre d’Orient. Après nous avoir pro­me­nés de Byzance à Khor­sa­bad à Saint-Jean d’Acre dans trois romans cap­ti­vants, après un détour par l’Europe du pre­mier demi-siècle der­nier, de Saint-Péters­bourg au mont Athos, à Rabat, à Ber­lin, avec le plus atta­chant des héros – auquel il prê­ta beau­coup de lui-même – Gilles Cos­son est pas­sé de la recherche his­to­rique, que nous sou­hai­tons ne pas le voir aban­don­ner tout à fait, à la quête spirituelle.

Après Vers une nou­velle spi­ri­tua­li­té, réponses à une catas­trophe annon­cée, voi­ci Lettre à un ami musul­man (une réponse à la cor­res­pon­dance sus­ci­tée par le pre­mier ouvrage) sui­vie d’Une spi­ri­tua­li­té pour notre temps, qui reprend et déve­loppe son ana­lyse et son message.

Cette fois l’accent n’est plus mis sur les désastres immi­nents (bombes ato­miques, gaz à effet de serre, ter­ro­risme, guerres de reli­gion) mais sur les moyens d’y faire face en retrou­vant le che­min de Dieu.

Depuis que l’homme est l’homme, Dieu est pério­di­que­ment à réin­ven­ter. Les pro­phètes et les hommes de bonne volon­té s’y emploient. Après tant d’illustres pré­dé­ces­seurs, Gilles Cos­son, au titre de la deuxième caté­go­rie, le fait à son tour, refu­sant de lais­ser le ter­rain à l’usage exclu­sif de MM. Ben Laden et Bush. Il le fait avec une pas­sion, une sin­cé­ri­té, une foi, qui ne laissent pas indifférent.

Il a rai­son de le faire. Le monde où nous vivons n’est plus celui du Rous­seau de la Pro­fes­sion de foi du vicaire savoyard. “ L’environnement condi­tionne lar­ge­ment notre façon de pen­ser. Et cet envi­ron­ne­ment a tel­le­ment chan­gé que les réponses du pas­sé ”, y com­pris, peut-on pen­ser, la “ reli­gion natu­relle ” chère au citoyen de Genève, “ ne suf­fisent plus ”, tan­dis que l’angoisse pas­ca­lienne est tou­jours d’actualité.

Gilles Cos­son n’est pas tendre pour les fidèles des reli­gions révé­lées. Il déplore que les élites intel­lec­tuelles, dont le rôle lui appa­raît cru­cial, aient “ trop sou­vent ten­dance à se réfu­gier dans un sui­visme confor­table pour ne pas encou­rir les foudres des inté­gristes de tous bords, laïcs ou reli­gieux ”. Il les invite à dépas­ser ce stade, à prendre des risques pour le pro­grès spi­ri­tuel de l’humanité. Il est pour­tant indul­gent pour “ ceux qui res­tent dans les rails des tra­di­tions anciennes ”, même s’il a “ une meilleure chance d’être com­pris par ceux qui ont reje­té toute attache reli­gieuse ”. Dans tous les cas “ il nous appar­tient de res­pec­ter tout ce qui est sin­cère : la foi de nos voi­sins comme les convic­tions de l’agnostique ”.

Mais mieux vaut se tour­ner soi-même vers Dieu et lui don­ner la parole. C’est ain­si que pro­cède l’auteur d’Une spi­ri­tua­li­té pour notre temps. Par sa bouche Dieu nous assène quelques véri­tés bien sen­ties, déli­vrées dans le mode poé­tique, où se glissent de beaux alexan­drins : ain­si, à pro­pos du Bien :

“ Son éclat t’éblouit mais ne t’aveugle pas ”
et à pro­pos du Mal :
“ Vous ne pou­vez plai­der l’innocence des pierres. ”

La reli­gion que Dieu nous pro­pose aujourd’hui par la plume de Gilles Cos­son, l’universalisme, se veut être une syn­thèse des prin­cipes mas­cu­lin (la rai­son) et fémi­nin (l’intuition, celle-ci illus­trée par les deux Thé­rèse, Avi­la et Lisieux, que cite l’auteur, omet­tant tou­te­fois de rap­pe­ler que l’une comme l’autre ont été pro­cla­mées doc­teur de l’Église). Ses rituels, car l’homme ne peut se pas­ser de rituels, estime-t-il, seront déter­mi­nés après la for­ma­tion des nou­velles com­mu­nau­tés de pratiquants.

Une expé­rience simi­laire, me semble-t-il, a déjà été ten­tée au siècle des Lumières avec la franc-maçon­ne­rie. L’universalisme est en somme une franc-maçon­ne­rie adap­tée au contexte d’aujourd’hui, capable de ras­sem­bler chré­tiens, musul­mans, juifs et boud­dhistes pour la paix du monde et la plus grande gloire de Dieu.

Comme Rous­seau, qui avait insé­ré la Pro­fes­sion de foi dans Émile ou De l’éducation, Cos­son est conscient que l’enseignement don­né aux enfants est la clé de l’avenir reli­gieux apai­sé qu’il sou­haite à l’humanité. Il recom­mande donc de leur don­ner une ins­truc­tion reli­gieuse “ rela­ti­vi­sant les dif­fé­rentes doc­trines héri­tées du pas­sé, sans abais­ser en rien la valeur de la quête ” et ouvrant leur esprit à la beau­té des livres sacrés, de tous les livres sacrés. Il ne s’agit pas de res­sus­ci­ter les cours d’athéisme jadis impo­sés aux enfants sovié­tiques mais “ d’éveiller l’esprit à la beau­té de la recherche du divin au tra­vers d’approches multiples ”.

Ain­si, dans l’esprit de l’auteur, seront pré­ve­nues les méfiances, les incom­pré­hen­sions, les haines, les vio­lences, nées des excès des reli­gions exis­tantes. L’idée est louable. Cer­tains n’en pour­ront pas moins pen­ser qu’elle fait par­tie de ces bonnes inten­tions dont l’enfer est pavé.

Par­mi les exer­cices recom­man­dés aux adeptes de l’universalisme, il en est un en revanche qui fera l’unanimité : la dépense phy­sique, les longues marches, tout par­ti­cu­liè­re­ment en ter­rain dif­fi­cile, incom­pa­rable ins­tru­ment de libé­ra­tion de l’esprit.

L’exercice essen­tiel reste pour­tant la médi­ta­tion en un lieu soli­taire, condui­sant à la com­mu­nion au Tout et au contact avec Dieu. Une telle médi­ta­tion pour­ra débou­cher sur la prière, par exemple le Notre Père universaliste :

“ Dieu de la Terre et des cieux
Toi qui as orien­té les voiles des caravelles
Conduit les cha­me­liers dans le désert
Et sau­vé l’esquimau dans la tourmente…
Éclaire ma route comme la lagune le fanal du gondolier…
Que ton image soit ma conso­la­tion dans les ténèbres
Ain­si soit-il. ”

Gilles Cos­son affirme : “ Il est dif­fi­cile d’adhérer pro­fon­dé­ment à sa propre reli­gion et en même temps d’admettre comme une égale la foi de son voi­sin. ” Sa vision à cet égard est pes­si­miste. Res­ter, ou ren­trer, dans la foi de ses pères tout en res­pec­tant celle d’autrui, apprendre à coexis­ter au sein de la nou­velle socié­té, de l’environnement nou­veau com­mun à tous, est pos­sible et même désirable.

Oui, Gilles, je le crois pro­fon­dé­ment, on peut, on doit, vivre sa foi, héri­tée à la nais­sance, per­son­nel­le­ment accep­tée à l’âge adulte, et pra­ti­quer la tolé­rance. Mais je salue ta recherche. Elle nous invite, chré­tiens, musul­mans, tous tant que nous sommes, à ren­trer en nous-mêmes, à nous dire : au fait, et avec Dieu, où en sommes-nous ?

Avec Dieu et avec les autres : même si tu n’emploies pas le terme de “pro­chain”, il est constam­ment pré­sent dans ta pen­sée. Même si tu recom­mandes la médi­ta­tion soli­taire, pré­fé­rée aux démons­tra­tions de pié­té collective.

En des termes que n’aurait pas reniés Bras­sens mais que tu as trou­vés chez Sénèque, tu nous invites à ne pas “ suivre, comme des mou­tons, le trou­peau”. Tu demandes que cha­cun de nous juge au lieu de se conten­ter de croire – ou de ne pas croire. Ce “ self-check-up ” spi­ri­tuel ne peut qu’être salu­taire à tous.

Et, pour conclure, il te sera beau­coup par­don­né car tu rends hom­mage à la poé­sie. En France, dit-on, tout finit par des chan­sons. Tu finis, toi, par deux strophes des Orien­tales – tou­jours l’Orient – emprun­tées au plus grand de nos poètes, qui lui aus­si s’était construit sa propre reli­gion. Bra­vo de ter­mi­ner cet ouvrage sérieux sur une note qui invite au rêve…

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