Musique en Image de l’espace

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°741 Janvier 2019
Par Marc DARMON (83)
Par Laurent DARMON

Tous les arts ont été influ­encés par l’espace, et l’espace est con­nec­té depuis longtemps à tout type d’œuvres cul­turelles. Saut­ent à l’esprit naturelle­ment les romans de Jules Verne, les albums d’Hergé, les poèmes (et romans) de Cyra­no de Berg­er­ac (le vrai !), les pein­tures et sculp­tures de Fontana et… les films de George Lucas ou Rid­ley Scott. Pour en rester à l’esprit de cette rubrique men­su­elle, nous en restons aux liens entre les films et de la musique clas­sique. Nous pub­lierons le mois prochain une rubrique qui explicite le lien entre la musique clas­sique et les films spa­ti­aux par excel­lence, la saga Star Wars.

En fait, les morceaux clas­siques util­isés comme bande sonore de films sur l’espace ne sont pas si nombreux.

2001 : l’odyssée de l’espace

2001 : l’odyssée de l’espace a été un événe­ment lors de sa sor­tie en 1968. Ce chef‑d’œuvre du réal­isa­teur caméléon Stan­ley Kubrick est une mise en per­spec­tive philosophique d’après le roman bien plus linéaire d’Arthur C. Clarke (qui a pub­lié depuis deux suites de son roman orig­i­nal). La musique du film est entière­ment tirée du cat­a­logue clas­sique, comme le seront celles d’Orange mécanique et de Bar­ry Lin­don. À l’origine, Kubrick avait choisi ces com­po­si­tions en musique tem­po­raire pour l’aider à faire son mon­tage image en atten­dant la musique orig­i­nale qu’il avait com­mandée au com­pos­i­teur Alex North avec qui il avait tra­vail­lé sur Spar­ta­cus. On ne par­lera pas des quelques sons tirés du Requiem de Ligeti, et d’une courte pièce d’un bal­let du com­pos­i­teur arménien Khatch­a­touri­an, car les deux morceaux prin­ci­paux sont Ain­si par­lait Zarathous­tra de Richard Strauss et Le Beau Danube bleu de Johann Strauss II.

La vie créa­trice de Richard Strauss, au-delà des années de jeunesse, peut en fait se résumer en deux grandes péri­odes, celle de 1886 à 1900 con­sacrée aux œuvres orches­trales et surtout aux poèmes sym­phoniques, puis à par­tir de 1905 celle con­sacrée prin­ci­pale­ment aux opéras, sec­onde péri­ode débu­tant par des Salomé et Elek­tra expres­sion­nistes et exac­er­bées, avant des Cheva­lier à la rose et Ari­ane à Nax­os plus mélodieux (mozar­tiens dis­ent les ama­teurs). C’est Liszt qui pop­u­lar­isa le con­cept de poème sym­phonique, œuvre sym­phonique qui relate et suit une his­toire, donc de la musique descrip­tive et non pure. Les pre­miers poèmes sym­phoniques de Strauss sont prin­ci­pale­ment con­sacrés à un per­son­nage, Mac­beth, Till l’Espiègle, Don Juan, Don Qui­chotte, avant Une vie de héros qui les résume tous. Mais bien sûr, met­tre en musique un livre philosophique comme le Zarathous­tra de Niet­zsche, c’est autre chose. D’ailleurs recon­nais­sons que, même en étant un grand ama­teur de l’œuvre, de sa musique et de son orches­tra­tion, nous n’avons jamais vrai­ment réus­si à suiv­re les méan­dres philosophiques niet­zschéens dans cette œuvre mag­nifique de plus d’une demi-heure. Kubrick de toute façon n’utilise que les deux pre­mières min­utes d’introduction du poème (en intro­duc­tion et con­clu­sion du film), et il a plus fait pour la notoriété du morceau que tous les chefs d’orchestre qui l’ont enreg­istré. Si vous voulez décou­vrir le reste de l’œuvre, chaude­ment recom­mandé, prenez au hasard une des ver­sions de Kara­jan (c’est ce qu’a fait Kubrick). Mais mon disque de l’île déserte, c’est le disque enreg­istré à Chica­go par Sir Georg Solti, cou­plé avec Till et Don Juan, peut-être le disque le mieux enreg­istré de l’Histoire.

Johann Strauss II n’a rien à voir avec Richard Strauss, Alle­mand, alors que la dynas­tie des Strauss est vien­noise. Johann junior est prob­a­ble­ment le plus doué de la famille. Avec son père Johann I et son frère Joseph Strauss, ils com­posèrent près de mille valses vien­nois­es très bien con­stru­ites, mais les plus fameuses (La Valse de l’Empereur, Aimer, boire et chanter, Sang vien­nois…) sont celles de Johann II, et la plus célèbre reste Le Beau Danube bleu. Kubrick utilise cette musique lors des pris­es dans l’espace pour accom­pa­g­n­er le mou­ve­ment des engins spa­ti­aux et il a apporté une atten­tion par­ti­c­ulière à la syn­chro­ni­sa­tion des images avec la musique. Les ver­sions discographiques sont extrême­ment nom­breuses, ne serait-ce parce que, par­mi les pro­grammes dif­férents tous les ans du Con­cert du Nou­v­el An à Vienne, Le Beau Danube bleu est sys­té­ma­tique­ment joué en clô­ture du con­cert, avant le bis, tou­jours le même lui aus­si. Beau­coup de grands chefs d’orchestre ont lais­sé un enreg­istrement de la valse. Mes préférés sont les ver­sions de Kara­jan, celle enreg­istrée en stu­dio (choisie par Kubrick) et celle enreg­istrée au Con­cert du Nou­v­el An que Kara­jan dirigea en 1988, et les deux enreg­istrées par Car­los Kleiber lors des Con­certs du Nou­v­el An de 1989 et 1992. Les trois Con­certs de 1988, 1989 et 1992 exis­tent en DVD, et sont superbes.

Si on fait l’impasse sur quelques notes de la Petite musique de nuit de Mozart dans Alien, le sec­ond film spa­tial où on entend de la musique clas­sique est le film de 1983 de Philip Kauf­man, L’Étoffe des héros. On y entend l’Alléluia, pas­sage le plus célèbre du Messie de Haen­del, et Mars de Gus­tav Holst.

Haen­del est né à quelques kilo­mètres et à quelques jours de la nais­sance de Bach. Mais con­traire­ment à Bach qui s’est for­mé auprès des grands maîtres alle­mands, Haen­del est allé pren­dre le soleil de l’Italie à vingt ans avant de s’installer en Angleterre. Ses opéras et ses ora­to­rios sont donc une com­bi­nai­son de l’accessibilité et de la richesse mélodique de Vival­di (leur con­tem­po­rain exact) et de la pro­fondeur et qual­ité de Bach. Le Messie, ora­to­rio en trois par­ties, est une suc­ces­sion d’airs et de chœurs, com­posé en 1741, naturelle­ment en anglais. Tout est inté­grale­ment mag­nifique dans ces deux heures et demie de musique. La célébrité de l’Alléluia ne doit surtout pas faire oubli­er le reste de l’œuvre (ni mon sec­ond ora­to­rio préféré, Israël en Égypte, superbe égale­ment, qui met en musique les mots de l’Exode). On n’enregistre plus Haen­del comme on le fai­sait il y a trente ans, désor­mais les orchestres sont « his­torique­ment ren­seignés », et jouent avec les instru­ments et effec­tifs de l’époque. Avec cet effec­tif réduit (30 à 40 musi­ciens), choi­sis­sez les ver­sions de Gar­diner, William Christie ou René Jacobs. Mais si vous êtes nos­tal­giques des effec­tifs sym­phoniques et des instru­ments mod­ernes, n’hésitez pas à trou­ver la ver­sion de Solti à Chica­go ou celle de Col­in Davis.

L’Étoffes des héros

L’autre œuvre util­isée dans L’Étoffe des héros, Mars, fait le lien avec la seule œuvre de musique clas­sique qui a été, elle, inspirée par l’espace, le cycle de poèmes sym­phoniques Les Planètes, de Gus­tav Holst. Ces sept poèmes sym­phoniques, un par planète, dans un léger désor­dre par rap­port à l’ordre depuis le Soleil, ont été pub­liés en 1918. C’est l’œuvre la plus célèbre de Holst, com­pos­i­teur anglais, guère plus célèbre que ses con­tem­po­rains pour­tant remar­quables Elgar, Ban­tock, Bax, Vaugh­an Williams, Ketel­bey, Wal­ton. Bien enten­du la per­son­nal­ité d’une planète est bien com­pliquée à cern­er pour en tir­er un poème sym­phonique, Holst s’est donc surtout appuyé sur la per­son­nal­ité du dieu qui a don­né son nom à chaque planète. Un Mars guer­ri­er, avec un terme de marche mar­tiale (thème des lance­ments des fusées dans L’Étoffe des héros), un Mer­cure léger (« aux pieds ailés »), un Sat­urne pen­sif, etc. Plu­ton n’avait pas été encore été décou­verte à l’époque, et donc n’a pas été composée.

Dis­ons un mot égale­ment d’une occa­sion man­quée. Puc­ci­ni n’a rien écrit sur l’espace. Il avait su nous amen­er dans la Chine médié­vale, au Japon de l’ère Mei­ji, au Far West, dans le Paris des mis­érables (qua­tre fois !), en adap­tant chaque fois sa musique vériste aux styles des pays et péri­odes vis­ités. Après les explo­rations har­moniques de Turan­dot (1924, inachevé), on imag­ine donc qu’il aurait sûre­ment com­posé un chef‑d’œuvre lyrique si on lui avait pro­posé un livret spa­tial qui l’ait inspiré (Micromé­gas, De la Terre à la Lune…).

A suiv­re…

Retrou­vez d’autres analy­ses sur le ciné­ma sur zecinema.net

Poster un commentaire