Obaldiableries

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°550 Décembre 1999Rédacteur : Philippe OBLIN (46)

J’ig­nore si René de Obal­dia est un fer­vent lecteur de De la démoc­ra­tie en Amérique. En tout cas, son théâtre nous par­le de nous-mêmes. Il demeure tout en même temps mer­veilleuse­ment clas­sique, par la largeur et l’intemporalité de son thème de prédilec­tion : la bêtise humaine.

Le Théâtre 14 – Jean-Marie Ser­reau vient de mon­ter Obal­dia­b­leries : trois brefs diver­tisse­ments. Dans l’un d’eux, un mari, ardent au tra­vail et dévoué à sa femme, rêve d’emporter le super grand prix à un jeu télévisé, afin de pou­voir offrir à son épouse une croisière que ses moyens lim­ités de petit cadre à la Com­pag­nie des Eaux ne lui per­me­t­tent pas de payer.

En vue d’acquérir les con­nais­sances ency­clopédiques néces­saires à la réal­i­sa­tion de son des­sein, il apprend par cœur des dic­tio­n­naires entiers. Sur­mené, mélangeant tout, il se décide à faire appel à un “pro­fesseur de jeux télévisés ”, don­nant, à domi­cile, des leçons par­ti­c­ulières. Pour notre par­faite réjouis­sance, nous assis­tons alors à celles-ci.

La faconde du pro­fesseur, si elle ne parvient pas à con­fér­er aisance à l’impétrant, mal­gré d’hilarants exer­ci­ces de décon­trac­tion, exerce du moins une puis­sante attrac­tion sur sa femme. De sorte qu’arrive ce qui devait arriv­er, mais con­clut Obaldia :

Un cocu de plus, un cocu de moins
Ça ne fait pas dérailler les trains.

Dans un autre, nous voyons un vétéri­naire psy­ch­analyser une petite chi­enne nom­mée Choupette, amenée à la con­sul­ta­tion par sa pro­prié­taire, per­son­ne de nais­sance et de dis­tinc­tion, encore jeune mais récem­ment divor­cée. La chi­enne en effet souf­fre d’un syn­drome ter­ri­fi­ant : la nuit, elle se change en chien des Baskerville. Il faut dire que sa maîtresse lui lit du Conan Doyle le soir, pour l’occuper et nour­rir son esprit canin.

Pour com­mencer le traite­ment, le vétéri­naire place un os dans la gueule hale­tante de Choupette. Il explique doc­tor­ale­ment à la jeune femme éplorée ce principe, peut-être pas d’une stricte ortho­dox­ie lacani­enne mais peu importe, que :

Chien qui ronge un os
Laisse piss­er le mérinos.

Tout le reste suit, du même ton obal­dien où les mots s’entrechoquent et rebondis­sent les uns sur les autres en un feu d’artifice de trou­vailles éblouis­santes. Jacques Char­ron évoque quelque part dans ses sou­venirs la jubi­la­tion qu’il éprou­vait à se “met­tre en bouche ” un texte de Obaldia.

On com­prend cette félic­ité en écoutant le pre­mier diver­tisse­ment : sur le mode rap, un Noir du genre sans-papiers mono­logue devant le pub­lic sur sa vie de mis­ère et de déri­sion. Une splen­dide illus­tra­tion, mi-satirique, mi-déchi­rante, des sit­u­a­tions con­tem­po­raines et du lan­gage les accompagnant.

La mise en scène est de Thomas Le Douarec, qui se con­sacre en ce moment à Obal­dia : c’est aus­si lui qui a mis en scène Du vent dans les branch­es de sas­safras, actuelle­ment jouée au Ranelagh. Je n’ai pas vu cette autre pièce, par­o­die de west­ern bien-pen­sant, créée en 1965.

Je peux donc seule­ment vous par­ler de la mise en scène des Obal­dia­b­leries. Elle m’a paru, par instants, un tan­ti­net trop chargée, trop agitée. Avec Obal­dia, il con­vient de ne se dépar­tir jamais de la finesse dont Le Douarec fait d’ailleurs presque tout le temps preuve. Il ne s’agit donc que de nuance ; notre gai­eté fut com­plète, et sans mélange.

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