Aborigène

Mon dictionnaire australien

Dossier : L'AustralieMagazine N°592 Février 2004
Par Christian MARBACH (56)

A Aborigène

B Banksie
 Blue Pyrenees

F Fraser Island

G Gallipoli
 Gould
 Griffin

H Hyacinthie

K Kalgoorlie
 Kangaroo Island

M Macquarie
 Moutons

O Oiseau-lyre

A Aborigène

B Banksie
 Blue Pyrenees

F Fraser Island

G Gallipoli
 Gould
 Griffin

H Hyacinthie

K Kalgoorlie
 Kangaroo Island

M Macquarie
 Moutons

O Oiseau-lyre
 Outback

P Platypus
 Port Arthur

T Thylacine
 Thoreau

U Uluru
 Utzon

Aborigène

Voici la dure rançon de l’or­dre alphabé­tique : voulant évo­quer quelques impres­sions aus­trali­ennes venues de mes divers voy­ages dans ce loin­tain pays, et ayant pris le par­ti de présen­ter une ving­taine de ter­mes sous la forme d’un mod­este dic­tio­n­naire, presque ” amoureux “, je suis con­duit à com­mencer par ” aborigène “. Difficile ! 

Dif­fi­cile, car le dis­cours que l’on peut tenir sur ce sujet ne peut guère être totale­ment objec­tif : nous ne pou­vons évidem­ment pas absoudre les colonisa­teurs du con­ti­nent, pour l’at­ti­tude qu’ils ont eue si sou­vent au XIXe siè­cle et encore au XXe, expul­sions, mas­sacres, dépor­ta­tions, enlève­ments d’en­fants, mal­trai­tance, expo­si­tion aux mal­adies et à l’al­cool, le tout sous-ten­du par un sen­ti­ment de mépris et de supré­matie bien plus que par l’ad­mi­ra­tion béate vouée au ” bon sauvage “. Et puis, nous ne pou­vons guère nier quelques pro­grès lég­is­lat­ifs ou régle­men­taires, des resti­tu­tions de ter­ri­toires ou de sites sacrés, des juge­ments revenant sur des expro­pri­a­tions (pen­dant des décen­nies la jus­tice aus­trali­enne a nié que les aborigènes aient été ” expro­priés ” de leurs ter­ri­toires sous le pré­texte incroy­able­ment astu­cieux et hyp­ocrite que, nomades, ils ne pos­sé­daient pas de terre et que celle-ci était donc res nul­lius, et qu’il suff­i­sait d’y planter un dra­peau comme Cook ou y délim­iter un champ par qua­tre bornes pour la faire sienne !). 

Alors… faut-il être révolté quand on voit à Alice Springs des familles aborigènes camper dans un lit de riv­ière desséchée, en un état de pau­vreté appar­ente et d’éthylisme impres­sion­nant ? Ou faut-il accepter pour argent comp­tant les doc­u­men­taires pub­lic­i­taires vous présen­tant des enfants ” abos ” suiv­ant des cours sco­laires grâce à l’In­ter­net et soignés dans le ” bush ” par l’in­ter­ven­tion des ” fly­ing doc­tors ” ? Ou même leur expli­quant com­ment créer une microen­tre­prise ? Et admir­er à juste titre les pein­tures aborigènes ? 

Le jour­nal­iste améri­cain Bill Bryson, racon­tant ses Chroniques aus­trali­ennes, con­sacre un grand pas­sage aux Aborigènes, se ren­seignant sur leur his­toire, remon­tant à la préhis­toire même, leur démo­gra­phie, la lég­is­la­tion, etc., pour con­clure : ” Puis j’ai fait ce que font la plu­part des Aus­traliens blancs, je me suis plongé dans mon jour­nal, j’ai bu mon café, et les Aborigènes me sont devenus invis­i­bles.

Banksie

banksieSir Joseph Banks, le grand nat­u­ral­iste qui accom­pa­gna Cook, trou­va les fleurs de la côte aus­trali­enne si nom­breuses et si éton­nam­ment nou­velles qu’il appela ” Botany Bay “la baie, proche de l’actuelle Syd­ney où accos­ta Endeav­our - c’é­tait comme une antic­i­pa­tion des superbes jardins botaniques que pro­posent toutes les villes australiennes ! 

Si Banks a mérité d’être nom­mé ” the father of Aus­tralia “, par tout l’in­vestisse­ment intel­lectuel qu’il a sus­cité sur ce pays, et si sa fonc­tion de prési­dent de la Roy­al Soci­ety l’a con­duit à jouer un rôle majeur dans le développe­ment des sci­ences en Europe au XVIIIe et au XIXe siè­cle, c’est plutôt par ses fleurs que j’aimerais vous le présen­ter — les banksies.

J’ai le sou­venir d’un extra­or­di­naire voy­age au nord de Perth, en ” West­ern Aus­tralia ” — au print­emps, donc en sep­tem­bre (tou­jours cette inver­sion !) ; nous roulions vers les Pin­na­cles, vaste éten­due de sable héris­sée d’aigu­illes de cal­caire hautes de deux à trois mètres, à l’om­bre desquelles des kan­gourous se cachent le soir ; et nous avons tra­ver­sé, entre vig­no­bles et prairies, de vastes éten­dues d’im­mortelles jaunes, de ” pattes de kan­gourous ” rouges et vertes, de pois du désert de Stu­art, d’orchidées poly­chromes ou de gom­miers. Et, bien sûr, des banksies de dif­férentes espèces, il y en aurait quar­ante et une var­iétés, les fleurs ont sou­vent une forme de bal­ai-brosse pour net­toy­er l’in­térieur des bouteilles, et cer­taines por­tent d’ailleurs le nom de ” bot­tle brush “. Red­outé, lorsqu’il tra­vail­lait à la Mal­mai­son pour l’im­péra­trice Joséphine, a peint les spéci­mens rap­portés par les sur­vivants de l’ex­pédi­tion d’En­tre­casteaux ou par Hamelin, le sec­ond de Baudin. Et si vous n’avez pas l’oc­ca­sion de par­tir vers l’Aus­tralie, regardez donc les livres de botanique ou vis­itez ” the Kew Gar­dens ” à Londres. 

Blue Pyrenees

blue pyreneesCette dénom­i­na­tion n’est-elle pas attrayante : les Pyrénées bleues ? Is not it ?

À l’is­sue d’un sémi­naire tenu à Mel­bourne et dans la ville — minière — sou­venir de Bal­larat, où sociétés français­es et aus­trali­ennes, grandes ou petites, échangeaient des infor­ma­tions et des pro­jets sur les tech­niques métal­lurgiques et minières, nos hôtes de l’É­tat de Vic­to­ria ont offert à chaque Français quelques bouteilles de ” Blue Pyre­nees ” : un vin rouge de cet État, était-ce un mer­lot ou un cabernet ? 

Étrange con­nec­tion fran­co-aus­trali­enne ! Le ” sur­vey­or ” Mitchell avait don­né le nom de ” Pyrénées ” à un mas­sif mon­tag­neux au nord de ce qui n’é­tait encore que la bour­gade de Mel­bourne, parce qu’il lui rap­pelait la chaîne aperçue lors d’un séjour en France.
Un peu moins de deux cents ans plus tard, des entre­pris­es français­es, s’aperce­vant de la qual­ité poten­tielle des vins aus­traliens, et aus­si du dynamisme con­cur­ren­tiel de leurs œno­logues, se sont décidées à inve­stir mas­sive­ment dans ce pays : on trou­ve ain­si leur sig­na­ture dans tous les États vini­coles aus­traliens, de l’Est à l’Ouest. Sig­na­ture par­fois dis­crète : l’un des vins les plus ven­dus en Grande-Bre­tagne, dont la pub­lic­ité vous pré­cise ” on the top was one drop “, est ain­si une con­quête fran­co-aus­trali­enne, un pro­duit où se mélan­gent des tech­nolo­gies, où con­ver­gent des savoirs, où pro­gressent ensem­ble des pays bien éloignés. 

Fraser Island

Lors d’un pas­sage en Aus­tralie en 2001, les pre­mières pages des titres des jour­naux étaient con­sacrées à un drame sur­venu à Fras­er Island, une île située à trois cents kilo­mètres au nord de Bris­bane : deux ou trois din­gos y avaient agressé, et mor­du à mort, des enfants dont la famille cam­pait dans la belle nature sauvage. 

Fraser island

On retrou­va les bêtes, on les tua : pho­to dérisoire en gros plan, à la une, du polici­er debout, son gibier à ses pieds, ” he killed the killer “. Mais drame, évidem­ment, pour les familles, et inter­ro­ga­tions sur les com­porte­ments à avoir dans ” the wilder­ness “.

Pour ma part, j’ai vu des din­gos — par­fois faméliques et faisant les poubelles des motels des petites villes ; par­fois gras et bien por­tants, por­tant orgueilleuse­ment leur état de din­go, ” can­is lupus din­go “.

Mais Fras­er Island c’est aus­si, comme son nom l’indique, l’île où firent naufrage quelques pas­sagers du Stir­ling Cas­tle, dont James et Elis­a­beth Fras­er. C’é­tait en 1836. Ils n’ar­rivent pas à sauver grand-chose des soutes du bateau, des aborigènes survi­en­nent, dans l’in­com­préhen­sion ou peut-être la vengeance d’an­ci­ennes per­sé­cu­tions, cer­tains des naufragés sont mas­sacrés, dont le cap­i­taine Fraser. 

En repar­tant, les indigènes emmè­nent Elis­a­beth, et com­mence pour elle un long chem­ine­ment de souf­frances et d’ini­ti­a­tion, de march­es douloureuses et d’obéis­sance for­cée. Elis­a­beth, per­dant peu à peu ses réflex­es et son cos­tume de lady anglaise, devient la femme à ” la cein­ture de feuilles ” que racon­ta le prix Nobel de lit­téra­ture Patrick White. Le hap­py end final (Elis­a­beth sauvée par un ” con­vict ” et ramenée chez des colons ou des offi­ciels), même s’il est con­forme à la vérité his­torique, paraît comme la fin d’un sor­tilège somme toute enchanteur, celui d’une sorte de com­préhen­sion peut-être pos­si­ble qui va bien au-delà du syn­drome de Stock­holm. Un bien beau livre. Une bien belle et sauvage his­toire, sauvage comme les din­gos — comme cer­tains dingos. 

Gallipoli

gallipoliIl y a, à Can­ber­ra, un grand bâti­ment sou­venir inti­t­ulé ” Aus­tralian War Memo­r­i­al “. Lors de ma pre­mière vis­ite à Can­ber­ra, une cinquan­taine de caca­toès blancs à crête jaune (sul­phur — crest­ed caca­toès) jacas­saient autour avec irri­ta­tion, et ce bruit était assez incon­gru autour d’un mémo­r­i­al où l’on sent avec force la nais­sance d’une nation, autour de la liste de tous ses com­bat­tants tombés au champ d’hon­neur, plus de cent mille — surtout en 14–18. Le moment le plus déter­mi­nant de cette guerre, pour les Aus­traliens, fut sans doute celui où ils purent com­bat­tre sous leurs pro­pres couleurs, celles de l’An­zac, ” l’Aus­tralian and New Zealand Army Corps ” : cela se pas­sa à Gal­lipoli, dans les Dar­d­anelles, et si la manière dont ce corps fut util­isé par l’é­tat-major bri­tan­nique donne encore lieu, aujour­d’hui, à polémique, elle fut peut-être aus­si un élé­ment de prise de con­science : d’abord bagne puis colonie, l’Aus­tralie sera désor­mais une nation. 

Gould

John Gould est sans doute le plus grand ornitho­logue bri­tan­nique. Au cours de sa longue vie (1804–1881), ce fils de jar­dinier est devenu taxi­der­miste, nat­u­ral­iste, dessi­na­teur ; bien­tôt édi­teur d’ou­vrages, employ­ant d’autres dessi­na­teurs (dont son épouse) pour pro­pos­er par souscrip­tion à des ama­teurs for­tunés des livres ou des col­lec­tions suc­ces­sives, les tro­gons, les oiseaux de Grande-Bre­tagne, d’Asie, d’Eu­rope, les tou­cans, les oiseaux-mouch­es, les oiseaux de Nou­velle-Guinée, etc. 

gouldSon appétit et son ambi­tion, de recon­nais­sance comme d’ar­gent, le con­duisent en 1838 à entre­pren­dre avec son épouse Elis­a­beth un long voy­age en Aus­tralie, pour en repér­er et dessin­er toute l’av­i­faune — et, tant qu’à faire, les mam­mifères. D’où les huit vol­umes in folio de The birds of Aus­tralia, parus de 1848 à 1869, 681 lith­o­gra­phies col­oriées à la main ; et un peu plus tard The Mam­mals of Aus­tralia.

Les ouvrages com­plets de Gould ne sont plus acces­si­bles que lors des ventes de Sothe­by’s ou Christie’s ; mais des planch­es sont disponibles, de-ci, de-là. Il m’ar­rive à Mel­bourne ou à Syd­ney d’aller fouiller chez les marchands d’e­stam­pes, par exem­ple au troisième étage de l’a­mu­sant Q.V.B., le Queen Vic­to­ria Build­ing. J’y trou­ve quelque por­trait de chauve-souris, et je véri­fie si l’im­age ressem­ble à la réal­ité, celle qui se sus­pend dans les arbres du Jardin Botanique. J’ai aus­si trou­vé quelques dessins de galahs ros­es, oui, Gould les a représen­tés avec fidél­ité, les voir sur les arbres présente l’a­van­tage d’en­ten­dre aus­si leur piaille­ment peu har­monieux, de les voir se dis­put­er des restes de graines, d’ad­mir­er toute la troupe s’en­v­ol­er tout à coup vers les branch­es d’un mulga. 

Griffin

Wal­ter Bur­ley Grif­fin me paraît mérit­er de fig­ur­er dans le Pan­théon des bâtis­seurs de l’Aus­tralie. Il ne s’ag­it pour­tant pas d’un Aus­tralien, et c’est presque par hasard que cet Améri­cain, né à Chica­go en 1876, eut à faire, ou affaire, avec un pro­jet aus­tralien : ” the fed­er­al cap­i­tal com­pe­ti­tion “, le con­cours pour dessin­er le plan général et super­vis­er l’exé­cu­tion d’une nou­velle cap­i­tale à créer, ” quelque part au milieu entre Mel­bourne et Sydney “.

griffinGrif­fin et son épouse, Mar­i­on, avaient fait leurs études et leurs pre­mières armes dans le dynamisme con­struc­teur qui suc­cé­da au grand incendie de Chica­go (1871) et à la réal­i­sa­tion de l’Ex­po­si­tion uni­verselle de 1893. Ils furent grande­ment influ­encés par les archi­tectes qui bâtirent les build­ings encore aujour­d’hui célèbres de la ville ou de ses envi­rons, de Sul­li­van à F.L. Wright. Ils avaient aus­si suivi les travaux d’ex­ten­sion de Wash­ing­ton, englobant ou ” dépas­sant ” les plans dess­inés par L’En­fant en 1792. 

C’est dire que le pro­jet aus­tralien, con­nu par le cou­ple Grif­fin un mois avant son mariage, leur four­nit une bonne occa­sion de tra­vailler ensem­ble, qui ne tente rien n’a rien, ” Wal­ter had the ideas but Mar­i­on had the will “, Wal­ter était davan­tage urban­iste et Mar­i­on un excel­lent pein­tre, dont les dessins aquarel­lés pour Can­ber­ra con­va­in­quirent le jury. 

Les vis­i­teurs de Can­ber­ra peu­vent y trou­ver une excel­lente expo­si­tion sur les don­nées du con­cours, les pro­jets con­cur­rents dont celui du Français Alfred Agache, les évo­lu­tions du plan ini­tial. Les his­to­riens de l’ur­ban­isme aimeront com­par­er ce pro­jet de ville ex nihi­lo aux expéri­ences de Saint-Péters­bourg, Wash­ing­ton, Brasil­ia, ou pourquoi pas de nos villes nou­velles. Les philosophes y met­tront, aus­si, une pincée de réflex­ions sur la cité idéale, je leur donne ren­dez-vous à Arc-et-Senans. 

Can­ber­ra, pour les uns, c’est une cité dans la nature, une ville jardin, un paysage sans fin avec des mon­u­ments mod­estes mais de car­ac­tère. Pour d’autres, c’est une ville de fonc­tion­naires et d’en­nui pro­fond, per­son­ne dans les cafés pour se saouler à la Fos­ter’s avec vous. Pour ma part, même si j’ap­pré­cie aus­si la Fos­ter’s (une bière à con­som­mer avec mod­éra­tion), j’aime Canberra. 

Hyacinthie

hyacinthiePour mémoire : j’ai racon­té dans un bul­letin de la Sabix, numéro trente et un, mon ” voy­age en Hyacinthie ” et ma fas­ci­na­tion pour le cama­rade poly­tech­ni­cien Hyacinthe de Bougainville, X 1799, deux fois voyageur en Aus­tralie comme aspi­rant puis respon­s­able d’ex­pédi­tion autour du monde. Vous retrou­verez dans ce tra­vail un hom­mage à tous les Français qui, à par­tir de 1780, depuis La Pérouse — jusqu’à Dumont d’Urville et en pas­sant par d’En­tre­casteaux, Baudin, Freycinet, Duper­rey, Hyacinthe ” fils de l’autre “, Laplace, Vail­lant, etc., ont fait la place de la France en Océanie et ont tous touché l’Aus­tralie en y lais­sant des traces. 

Dans le port tas­man­ien de Hobart, un bateau français por­tant le beau nom de L’As­tro­labe est à quai quand le déroule­ment des saisons ne lui per­met pas d’aller affron­ter les glaces de terre Adélie. 

Kalgoorlie

kalgoorlieAu Muséum nation­al d’his­toire naturelle à Paris, la col­lec­tion de cristaux et minéraux présente de superbes pépites d’or ; l’une des plus gross­es provient de Kal­go­or­lie, petite ville de West­ern Aus­tralia où m’a­me­na un déplace­ment d’ingénieur des Mines : on n’y chas­sait plus la pépite au flair, mais on y traitait les stériles pour extraire quelques epsilons d’or de gigan­tesques collines de min­erai déjà traité — et cela fonctionnait. 

Il y eut, en Aus­tralie, plusieurs ruées vers l’or, Bal­larat (1851), Bathurst (1851), Kal­go­or­lie (1893). Autant de villes, non pas fan­tômes aujour­d’hui, mais muséales, avec hôtels et saloons à l’an­ci­enne mode et galeries de mines recon­sti­tuées ; avec marchands de sou­venirs aus­si, poudre d’or ou pépites, on vous les vend au poids, témoins mod­estes du poten­tiel minier de ce con­ti­nent plein de char­bon, d’u­ra­ni­um, d’or, de nick­el, de pét­role, et j’en passe, où des sociétés français­es ont par­fois su se placer. 

Kangaroo Island

Les Aus­traliens dis­ent ” kan­ga­roo ” pour leur kan­gourou, et les Aus­traliens appel­lent tou­jours Kan­ga­roo Island une petite île située au sud d’Adélaïde, à vingt min­utes d’avion, qui por­ta pen­dant quelques années sur d’autres cartes le nom d’île Decrès, du nom du min­istre de la Marine du Con­sulat et de l’Em­pire français. 

kangourou islandJ’ai été deux fois dans cette île, et tou­jours avec un rare bon­heur. Les paysages y sont divers, forêts d’eu­ca­lyp­tus, for­ma­tions rocheuses con­tournées, dunes de sable, lacs et prairies. 

Les ani­maux y sont partout présents, colonies de koalas mâchouil­lant ou som­nolant sur des branch­es d’ar­bres, péli­cans, goan­nas, et ces adorables man­chots nains qui revi­en­nent le soir de la mer pour s’en aller, se dan­d­i­nant, dormir dans des nids-terriers. 

Et puis, il n’y a pas que les bêtes. Il y a aus­si le sou­venir écrit du pas­sage de l’ex­pédi­tion française en 1802, avec ce rocher où un marin gra­va ” Expédi­tion de décou­verte du com­man­dant Baudin “, et le sou­venir de la ren­con­tre totale­ment imprévue entre Baudin et Flinders, envoyés tous deux par leur gou­verne­ment, ne sachant plus si Paris et Lon­dres étaient en guerre ou non, et déci­dant de coopér­er pour échang­er des vivres ou des relevés cartographiques. 

Kan­ga­roo Island est donc, pour moi, bien plus qu’une réserve de charme, avec un bed and break­fast ami­cal et la ren­con­tre d’un échid­né crain­tif dans une clair­ière, c’est aus­si l’oc­ca­sion d’une réflex­ion sur l’His­toire — ses déter­min­ismes et ses hasards. 

Macquarie

Lach­lan Mac­quar­ie fut un des pre­miers gou­verneurs de la colonie aus­trali­enne, et si je cite son nom, comme l’indique Bill Bryson dans ses chroniques Nos voisins du dessous, c’est qu’on le trou­ve sur les cartes à plusieurs endroits, on a don­né son nom à des places, build­ings, rues, port, lac, baie, île, etc., ce qui va me per­me­t­tre de vous pro­pos­er quelques nota­tions sur les noms des lieux en Australie. 

macquarieÉvidem­ment ils sont surtout liés à la métro­pole bri­tan­nique, lui emprun­tant Perth ou New Wales. Ils sont aus­si des coups de cha­peaux à leurs reines (Vic­to­ria, Queens­land), leurs gou­verneurs, (Mac­quar­ie, King, Bris­bane pour la ville et la riv­ière, Ayers pour l’Ay­ers Rock désor­mais rebap­tisé de son nom aborigène Ulu­ru), et même d’ob­scurs baron­nets anglais (pour Syd­ney). Mais on trou­ve aus­si d’autres origines. 

Ain­si, puisque les Hol­landais jouèrent un rôle dans les pre­mières décou­vertes du con­ti­nent, la Tas­man­ie por­ta le nom de Van Diemen’s land puis con­ser­va une rela­tion aux Pays-Bas en rap­pelant le sou­venir d’A­bel Tasman. 

Les noms français sont abon­dants, partout où les nav­i­ga­teurs firent des relevés, et l’on trou­vera des hommes poli­tiques (Bona­parte en tête), des savants (Bou­vard ou Bernier), des explo­rateurs (Bougainville, Freycinet, d’En­tre­casteaux), et des indi­ca­tions ves­ti­men­taires : un beau som­met tas­man­ien porte le nom, sug­géré par sa sil­hou­ette, de French­man’s Cap. 

On trou­ve, aus­si, quelques noms d’o­rig­ine aborigène. Assez peu en vérité, même si on observe une cer­taine ten­dance ” poli­tique­ment cor­recte ” à rebap­tis­er des lieux impor­tants pour les com­mu­nautés d’o­rig­ine, comme Ulu­ru, comme Kata Tju­ta, comme Kakadu. Le chant des pistes cher au romanci­er — voyageur Bruce Chatwin a eu du mal à résis­ter à l’ar­rivée des Européens, aujour­d’hui rejoints par Indonésiens et Chinois. 

Et le nom même d’Aus­tralia, la terre des antipodes, le pays de ces ” voisins du dessous ” ? 

Sur les cartes les plus anci­ennes, le pays s’est longtemps appelé Nou­velle-Hol­lande, au milieu des ” mers aus­trales ” et des ” ter­res aus­trales ” où Bona­parte envoie Baudin ; Flinders, de retour de son expédi­tion, par­le le pre­mier de ” Ter­ra Aus­tralis “, au sin­guli­er, rédi­geant son rap­port de mis­sion en 1815 ; on sait depuis Baudin et Flinders seule­ment qu’il s’ag­it d’une seule terre et que les décou­vertes de Cook, Tas­man, d’En­tre­casteaux, etc., con­cer­nent un seul continent. 

Mouton

Trois images. 

moutonsL’une, au musée des Beaux-Arts de Mel­bourne, le tableau est de Stree­ton, je crois, et mon­tre en plein effort un ton­deur de mou­tons rapi­de et déter­miné ; un grand for­mat, dans des col­oris à la Courbet — il y a, aus­si, des cham­pi­onnats sur ce sport, pas encore olympique. 

L’autre, au port de Fre­man­tle, à côté d’une usine de fab­ri­ca­tion de flex­i­bles pour le pét­role off­shore : une noria de navires pour bétail venant embar­quer des mil­liers de mou­tons arrivés par une noria de camions, bêle­ments et bruits de moteurs mêlés, en route pour le Moyen-Ori­ent et les grands fêtes musulmanes ! 

La troisième : les bar­rières en fil de fer bar­belé, il ne s’ag­it pas comme au Wyoming de sépar­er les mou­tons et les bœufs, mais ici de pro­téger les mou­tons ou plutôt leur herbe de l’at­taque des lap­ins. Incroy­able erreur ” écologique ” d’un quel­conque chas­seur invétéré qui, pour être sûr de tou­jours dis­pos­er de cibles à canarder, intro­duisit en Aus­tralie quelques lap­ins. On sait ce qu’il en advint. 

Cela dit, revenons à nos mou­tons : la société française la plus impor­tante instal­lée en Aus­tralie, et avec une activ­ité con­sid­érable, c’est Chargeurs réu­nis, spé­cial­isée dans le com­merce et le traite­ment de la laine. 

Oiseau-lyre

Je l’ai enten­du — je ne l’ai pas vu, sauf dans la volière du zoo d’Adélaïde. (Le zoo, con­so­la­tion du voyageur mal­heureux.) L’oiseau-lyre, the lyre­bird, est un de ces volatiles qui ont fasciné les pre­miers Européens par la forme de leur queue (quel incroy­able pays, où les cygnes sont noirs, Chateaubriand venait en con­tem­pler à la Mal­mai­son, et où les faisans ont des rec­tri­ces en forme de bras de lyre !). 

oiseau-lyreVers 1800 (donc trop tard pour Buf­fon), tous les ornitho­logues qui avaient com­mencé à inté­gr­er dans leur clas­si­fi­ca­tion les espèces améri­caines eurent à se préoc­cu­per aus­si des aus­trali­ennes, à leur don­ner des noms, à véri­fi­er en exam­i­nant des spéci­mens, morts ou vivants, à l’o­rig­ine par­fois incer­taine, dans quelle case de la tax­i­nomie sci­en­tifique les plac­er. L’oiseau-lyre fut d’abord appelé oiseau de Parkin­son, Banks le bap­ti­sa — en latin — menu­ra super­ba novae­hol­lan­di­ae. Le terme d’oiseau-lyre apparut plus tard. 

L’oiseau-lyre aus­tralien est bien sûr représen­té sur des tim­bres ; on le trou­ve aus­si au revers de la pièce de 10 cents. Je ne peux pas m’empêcher, à ce pro­pos, de vous dire ce qui est représen­té sur les mon­naies aus­trali­ennes, pièces de 1, 2, 5, 10, 20, 50 cents et 1 ou 2 dol­lars. On y trou­ve tou­jours la reine, d’un côté (God save the Queen, l’Aus­tralie n’est tou­jours pas une république !) et de l’autre, par exem­ple, le koala (1 cent), l’échid­né (5), l’oiseau-lyre (10), l’or­nitho­rynque (20), le kan­gourou (25 et 1 dol­lar). On y trou­ve aus­si l’a­borigène (2 dol­lars), la pièce à valeur faciale la plus élevée — quand même. 

Outback

L’out­back, c’est dehors, c’est der­rière. On pour­rait aus­si dire que c’est dedans, en plein milieu du con­ti­nent et de toutes ses par­ties, et que c’est devant vous, où que vous alliez. 

Par­cou­rue en avion, l’Aus­tralie est rouge, rouge mauve ou mar­ron en fonc­tion de l’é­clairage, avec des grandes tach­es plus blanch­es, sels minéraux affleurants. 

Vue du sol, elle est rouge aus­si, rouge plus vif, ver­mil­lon et par­fois orangé, sable ou rocher, mais avec beau­coup d’herbes ou de plantes dis­séminées, ce n’est pas une cou­ver­ture végé­tale mais comme un échan­til­lon­nage d’épineux, de baob­a­bs, d’eu­ca­lyp­tus de toutes sortes, de spinifex : les ingré­di­ents du ” bush “. 

outbackL’out­back, c’est donc l’ar­rière-pays à peine décou­vert, celui où se sont per­dus ou ont fail­li dis­paraître, morts de soif, les pre­miers explo­rateurs de l’in­térieur, les Stu­art, Leich­hardt, Burke dont White a décrit les illu­sions et l’a­ma­teurisme dans Voss ; c’est celui où des aborigènes se promè­nent encore sur les chemins du rêve ; où des espaces immenses sont encore con­t­a­m­inés par des essais nucléaires anglais d’il y a cinquante ans ; où l’on voit par­fois les traces cal­cinées d’un ” bush­fire ” ; où de rares routes sans fin voient rouler des ” road trains “, camions à plusieurs remorques, et tant pis pour les kan­gourous dont les cadavres sont couchés dans les fos­sés, du moins tant que les din­gos n’ont pas passé pour se nour­rir ; où Jules Verne pro­pose à la belle et énergique Dol­ly Bran­i­can une dif­fi­cile expédi­tion pour retrou­ver et délivr­er son mari dis­paru pris­on­nier d’une tribu d’indigènes… et recon­naître un fils qu’elle a cru per­du (pleure, ô Mar­got !) ; où vous croyez crois­er les per­son­nages de Priscil­la, queen of desert, quand une camion­nette bar­i­olée campe au bord de la piste ; ou quand vous vous ens­ablez, et que vous dégagez la roue du 4 x 4, vous pou­vez trou­ver des pointes des lances indigènes, surtout si vous avez inséré dans le lecteur de cas­settes des mélodies de didgeri­doo ; celui des goan­nas se reposant au soleil ; celui où les lecteurs des romans policiers de John Upfield, vous le trou­verez dans les ” Poche “, j’en lisais à cha­cun de mes pas­sages sur le con­ti­nent, peu­vent situer les exploits sagaces du polici­er métis Napoléon Bona­parte, ” appelez- moi Bony ” ; celui des pistes et du chant des pistes et des dro­madaires sauvages ; celui d’où, la nuit venue, vous admirez la croix du Sud. 

Et pour les gas­tronomes, ” The Out­back “, c’est aus­si le nom de quelques très bons restau­rants, à Adélaïde ou à Alice Springs, vous pou­vez y goûter du gig­ot de wal­la­by ou de kan­gourou, de la bro­chette de croc­o­dile, bien sûr aus­si du mou­ton et du buf­fle, et pourquoi pas un steack d’émeu : tout pour plaire ! 

Platypus

Dès que la com­mu­nauté sci­en­tifique européenne eut con­nais­sance de ce bizarre ani­mal, vers 1800, elle se dis­pu­ta devant son aspect ” para­dox­al ” — et d’ailleurs, ” para­dox­al ” est un des noms dont il fut bap­tisé avant que les anglo­phones ne reti­en­nent ” platy­pus ” et que les fran­coph­o­nes n’adoptent ” ornitho­rynque “, proche du latin offi­ciel ornitho­rynchus anat­i­nus. Le cap­i­taine Had­dock en a tiré par­ti pour ses bor­dées d’injures !

PlatypusUn ani­mal semi-aqua­tique à four­rure, sans dents, avec un bec de canard ! Et surtout, un ani­mal qui pond des œufs (ce qui ne fut prou­vé que vers 1880) et qui allaite ses petits. Et tout ceci, en étant ” monotrème “, c’est-à-dire doté d’un ori­fice unique ser­vant à la fois d’anus et d’or­gane repro­duc­teur… Eh bien non, le pre­mier spéci­men arrivé à la Roy­al Soci­ety n’é­tait pas le résul­tat d’une supercherie, une sorte de col­lage sur­réal­iste. C’é­tait bien un ani­mal, un vrai, par con­séquent aus­si un objet sci­en­tifique à analyser.

Pour le promeneur, même infor­mé des lieux où il demeure, la vue d’un platy­pus est très rare. Deman­dez pourquoi, les Aus­traliens vous diront tou­jours, it’s so ” elu­sive “. Insai­siss­able, fuyant, fur­tif, etc. Cet adjec­tif restera attaché, pour moi, à cet ani­mal que je n’ai donc vu que dans un zoo, près de Mel­bourne, ” The Healesville Sanctuary “.

Win­ston Churchill était, lui aus­si, démangé par l’en­vie de voir un vrai platy­pus, et j’aime beau­coup cette his­toire vraie : Churchill avait appris que le directeur du zoo de Mel­bourne avait eu quelques suc­cès de con­ser­va­tion et de repro­duc­tion de ces bêtes et, en 1943 — notez la date, vous la con­noterez à la guerre, à Rom­mel, aux dis­cus­sions avec Staline ou Roo­sevelt ou notre de Gaulle, en 1943 donc, comme s’il n’avait que cela à faire, il envoya un télé­gramme au Pre­mier min­istre aus­tralien John Curtin pour deman­der… qu’on lui envoie quelques platy­pus. On allait donc voir si les liens priv­ilégiés pro­pres au Com­mon­wealth avaient une réal­ité, et si cet envoi — une vraie aven­ture, jamais encore un ornitho­rynque vivant n’é­tait arrivé en Europe — était pos­si­ble en ces temps de guerre et de fureur. Le directeur du zoo, plusieurs fois relancé, cher­cha un spéci­men, et en sep­tem­bre 1943 sélec­tion­na un jeune qu’il bap­ti­sa… ” Win­ston “, of course ! On l’in­stal­la dans une caisse ad hoc, ” a platy­pusary “, avec assez d’eau, assez de nour­ri­t­ure dûment pré­parée : vers, écreviss­es, etc., on chargea la caisse dans le Port Philipp qui vogua vers la Grande-Bre­tagne via le Paci­fique et Panama.

Que pensez-vous qu’il arri­va ? L’his­toire se ter­mine tris­te­ment. Un sous-marin alle­mand qui pas­sait par là fut certes écarté par les charges lancées par le Port Philipp, mais les vibra­tions causées par ces déto­na­tions sous-marines tuèrent instan­ta­né­ment notre ” Win­ston “, dont le bec ultra­sen­si­ble, capa­ble de devin­er le moin­dre insecte, n’é­tait pas dess­iné pour sup­port­er ce type de bruit. 

Sir Win­ston ne reçut qu’un platy­pus empaillé. 

Port Arthur

Avant d’être une attrac­tion touris­tique remar­quable­ment mise en scène et exploitée par l’in­dus­trie aus­trali­enne du tourisme, le site tas­man­ien de Port Arthur fut une colonie péni­ten­ti­aire, créée en 1830 pour recevoir les crim­inels récidivistes. 

Port-arthur en australieUne vraie ville, avec sa char­mante ” mai­son du directeur ” et son odieuse prison mod­èle, avec le péni­tenci­er grand comme une super HLM de ban­lieue et les annex­es en tout genre, hôpi­tal, asile d’al­iénés, église — avec bien sûr les can­ton­nements pour la troupe. Et je n’ou­blie pas l’île-cimetière… 

Le vis­i­teur con­tem­po­rain, acquit­tant son droit d’en­trée, reçoit comme tick­et une carte de jeu cor­re­spon­dant à un des bag­nards de ce lieu, par exem­ple un jeune Irlandais voleur de pommes de terre, un ” révolté ” ou un ” mutin ” expédié d’abord en Nou­velle- Galles-du-Sud lors d’un voy­age de deux cent cinquante jours puis, après un pre­mier séjour près de Syd­ney, vers ce lieu d’ex­clu­sion et de non- retour. Il peut, en par­courant Port Arthur et ses bâti­ments, retrou­ver ce que devint le pris­on­nier auquel il lui a été pro­posé de s’in­téress­er ou même de s’i­den­ti­fi­er une heure ou deux, peut-être s’est-il échap­pé et a dis­paru, changeant de nom, peut-être après une remise de peine est-il devenu com­mis de ferme ou chercheur d’or, peut-être est-il sim­ple­ment mort de maladie. 

C’est ce qui arri­va au mien, enlevé par la fièvre quelques mois après son arrivée, il était pour­tant jeune. Comme j’au­rais préféré tomber, par le jeu du tirage au sort de ces cartes, sur quelque des­tin excep­tion­nel comme celui de Joseph Cot­ten dans Under Capri­corn, le film d’Al­fred Hitch­cock (1949). Vous vous sou­venez, il y joue le rôle d’un forçat, nous sommes en Aus­tralie en 1835, il est mar­ié à Ingrid Bergman que ter­rorise une gou­ver­nante jalouse — et s’il a été con­damné au bagne, c’est pour s’être accusé en Angleterre d’un crime dont Ingrid était la vraie respon­s­able, — mais la lady avait alors décidé de suiv­re en Aus­tralie le pale­fre­nier, pour repren­dre les pro­pres ter­mes de Hitch­cock dans ses con­ver­sa­tions avec Truf­faut… so roman­tic !

Thoreau

Thoreau - Frenchman's CapAu plein cen­tre de la Tas­man­ie, une grimpette vous emmène entre fougères et euca­lyp­tus vers un obser­va­toire, d’où vous pou­vez admir­er quelques som­mets de l’île, et en par­ti­c­uli­er ce beau ” French­man’s Cap ” dont la forme peut évo­quer une sil­hou­ette, un cha­peau, et pourquoi pas français.

Une cita­tion de l’écrivain améri­cain Thore­au est gravée au som­met, vous savez, ce Thore­au du Mass­a­chus­sets qui mar­chait dans les forêts autour de Boston ou sur les plages du Cape Cod, et racon­tait ses prom­e­nades avec un souci du détail dont l’ob­ses­sion se trans­for­mait en poésie ; il fut cer­taine­ment, avant la let­tre, un écol­o­giste vrai : ” The life is in us like the water in the riv­er. It may rise this year high­er than man has ever known it and flood the parched uplands. ”

Thylacine

Thy­lacine, c’est le nom savant du tigre de Tas­man­ie, ce mar­su­pi­al car­ni­vore sans doute dis­paru… mais qui sait ? 

Au Muséum d’his­toire naturelle de Paris, comme à celui de Berlin, vous pou­vez en trou­ver un spéci­men empail­lé, sec­tion des ani­maux dis­parus. Sur les places d’Ho­bart ou de Launce­s­ton, les grandes villes de Tas­man­ie, vous en voyez des stat­ues. Une bière porte son nom ; des cen­taines d’ou­vrages lui ont été con­sacrés, rap­pelant à tous que cet ani­mal, vague­ment dérivé de précurseurs préhis­toriques, vivait encore en Tas­man­ie jusqu’en 1936. 

Thylacine ou tigre de TasmanieLe dernier con­nu est mort de froid au zoo de Hobart : il y était enfer­mé dans une mis­érable et étroite cage. Une peau de ” tigre ” fut pro­posée à la vente chez Christie’s à Syd­ney le 17 août 1998, c’é­tait celle d’un ani­mal attrapé en 1930 ; à cette époque, on dis­cu­tait encore pour savoir si l’e­spèce valait la peine d’être pro­tégée, et l’on invo­quait encore sa capac­ité à tuer les mou­tons, on con­naît cette chan­son où nous faisons fig­ur­er nos loups ou nos ours, on aimait se faire pho­togra­phi­er avec un trophée. 

” Le tigre de Tas­man­ie ” avait, en fait, une forme de loup, il était rayé avec des traits réguliers sur le dos, mi-tigre, mi-hyène. Des dessins, des pho­tos évo­quent large­ment son allure : de quoi entretenir ce qu’un savant aus­tralien a appelé ” the post extinc­tion blues “.

La quête du tigre a, alors, pris d’abord la forme d’ex­pédi­tions chargées de pass­er au crible des zones de Tas­man­ie où la rumeur par­lait de sil­hou­ettes entre­vues. Dans mon voy­age en Tas­man­ie, j’ai moi aus­si par­cou­ru ces forêts touf­fues, cou­vrant des mas­sifs mon­tag­neux escarpés, j’en ai sur­volé en hydravion à par­tir de Stra­han et de la baie Mac­quar­ie : je com­prends que l’on ne puisse pas affirmer, de façon défini­tive, la fin de l’espèce. 

Et puis, le blues a pris la forme sci­en­tifique de l’u­til­i­sa­tion de l’ADN ver­sion Juras­sic Park. Pourquoi ne pas, dis­ent cer­tains biologiques ou biotech­no­logues, pourquoi ne pas grat­ter avec soin des peaux de thy­lacine dont l’on dis­pose (à Berlin, à Paris, à Mel­bourne ou ailleurs), essay­er de trou­ver du ” vivant ” et le traiter, sur quoi, où, avec un autre mar­su­pi­al (car, je crois l’avoir dit, le thy­lacine n’est pas un mam­mifère ” ordi­naire ”). Bon courage ! En tout cas, des crédits ont été affec­tés à cette tâche, et des équipes con­sti­tuées, on demande Frankenstein. 

Uluru

UluruCe rocher est l’un des plus imposants, des plus majestueux, des plus sig­ni­fi­cat­ifs, des plus har­monieux, des plus lourds et des plus légers à la fois, des plus som­bres et des plus lumineux quand le soleil l’é­claire, des plus incon­nus — autre­fois — et des plus emblé­ma­tiques — aujour­d’hui : Uluru. 

Il ne s’ag­it pas là de pro­pos pour dépli­ant touris­tique. Non, juste une cer­ti­tude qui s’est imposée dès que je l’ai vu d’avion, dès que je l’ai regardé, que j’en ai fait le tour, à pied, que je l’ai admiré, que j’ai pho­tographié ses change­ments de couleur dans la douceur d’un soir d’hiv­er. Mon dic­tio­n­naire per­son­nel de l’Aus­tralie, s’il devait se lim­iter à une seule let­tre, à un seul mot, serait con­cen­tré en Uluru. 

Utzon

Dif­fi­cile d’échap­per au grand œuvre, au grand chef-d’œu­vre de Jorn Utzon quand vous êtes à Syd­ney ou quand vous par­lez de la ville et des ses jeux olympiques : l’Opéra de Syd­ney est sur tous les clichés, tous les teeshirts, toutes les­D­if­fi­cile d’échap­per au grand œuvre, au grand chef-d’œu­vre de Jorn Utzon quand vous êtes à Syd­ney ou quand vous par­lez de la ville et des ses jeux olympiques : l’Opéra de Syd­ney est sur tous les clichés, tous les teeshirts, toutes les affich­es, tous les périodiques. 

Utzon, Opéra de SydneyÀ cent mètres de l’Opéra, un bar vous pro­pose de grandes huîtres de la baie, que vous pou­vez arroser de bière ou, mieux, de Chardon­nay de Nou­velle-Galles-du-Sud, un Hunter Val­ley par exem­ple. En face, l’Opéra. Superbe. 

À un kilo­mètre env­i­ron, sous le grand pont du Har­bour Bridge, l’hô­tel Hyatt vous pro­pose des cham­bres avec vue sur l’Opéra. À ne pas rater. Si votre porte-mon­naie ou votre carte de crédit mur­mure des con­seils de pru­dence, pro­posez-lui de couch­er dans le bush, plus tard, pour com­penser le superbe par le superbe. 

À quelques kilo­mètres, l’en­trée de la baie de Syd­ney, entre les falais­es nord et sud ; vous y êtes par­tis en fer­ry his­toire de retrou­ver les traces de Cook, ou voir des plages et des sur­feurs ; vous en revenez en fer­ry. En face de vous, avant l’ar­rivée à la gare mar­itime, majestueux, blanc sous un ciel bleu-soleil ou plomb d’or­age, l’Opéra : superbe. 

L’Opéra et ses coquilles, ou ses pelures, ou ses voiles, qu’im­porte l’im­age que vous adopterez. L’Opéra et sa dis­pendieuse beauté, un pari dont il faut féliciter l’ar­chi­tecte, comme les com­man­di­taires et le jury, tous dépassés pour­tant par la tâche, un de ces édi­fices qui vous font croire à la capac­ité de créa­tion humaine, musique et archi­tec­ture, une icône ayant de bonnes raisons de l’être. 
 

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