Mobilité urbaine et politique du logement :

Dossier : Environnement et FiscalitéMagazine N°534 Avril 1998
Par Jean-Pierre ORFEUIL

Dans le domaine des trans­ports, ceux qui sont proches de la pre­mière option esti­ment que cha­cun doit sup­port­er l’in­té­gralite des coûts attachés à ses choix et aux préférences qu’il exprime, et ils se sen­tiront à l’aise avec des formes de régu­la­tion touchant directe­ment le ” décideur final ” au moment de son déplace­ment : un relève­ment impor­tant du coût des déplace­ments auto­mo­biles en zone urbaine — con­trepar­tie de la sup­pres­sion des sub­ven­tions aux dif­férents modes de trans­port et de l’in­té­gra­tion de leurs coûts externes — sera l’in­stru­ment qui vient naturelle­ment à l’e­sprit ; pour min­imiser les coûts d’a­juste­ment, ce relève­ment peut être pro­gres­sif et les sommes col­lec­tées peu­vent servir à aider des pop­u­la­tions en sit­u­a­tion par­ti­c­ulière­ment délicate.

Ceux qui sont plus proches de la sec­onde option con­sid­èrent qu’on se déplace moins par choix que par oblig­a­tion , du moins dans les cadres urbains, inter­ro­gent l’or­gan­i­sa­tion urbaine, le zon­age, les dif­fi­cultés ren­con­trées par les indi­vidus à rap­procher habi­tat et emploi et con­sid­èrent qu’une part notable de la mobil­ité urbaine est subie. Ain­si, la Com­mis­sion française du développe­ment durable a‑t-elle inscrit “la réduc­tion des besoins de mobil­ité subie” dans la liste de ses 35 pri­or­ités (1).

Nous avons dressé ici un tableau quelque peu tranché et car­i­cat­ur­al , alors que ces visions sont moins incom­pat­i­bles qu’il n’y paraît au pre­mier abord, dès lors qu’on intro­duit la durée et la dimen­sion tem­porelle dans l’analyse. Pour ne pren­dre qu’un exem­ple, de faibles coûts (moné­taires et tem­porels) de déplace­ments ori­en­tent les pra­tiques de con­som­ma­tion vers les lieux offrant une grande var­iété de pro­duits, pos­si­ble grâce à l’é­ten­due de leur aire d’at­trac­tion, mais dans le même temps déval­orisent pro­gres­sive­ment les com­merces de prox­im­ité dont cer­tains sont con­damnés à dis­paraître, ce qui induit à moyen terme une mobil­ité subie (2). En ter­mes d’ac­tions, ces visions sont même com­plé­men­taires dans la mesure où là tar­i­fi­ca­tion du trans­port à son juste coût doit s’ac­com­pa­g­n­er de la sup­pres­sion de mécan­ismes d’inci­ta­tion défail­lants qui restreignent les marges de choix des acteurs (le ” droit au trans­port ” de la LOTI(3) se réduit dans cer­taines zones à l’oblig­a­tion de dis­pos­er d’une auto­mo­bile). Nous nous con­cen­trons dans cet arti­cle sur les défail­lances de mécan­ismes dans le secteur de l’habitat.

Questions sur la périurbanisation

L’évo­lu­tion de nos villes est mar­quée depuis près d’un quart de siè­cle par une trans­for­ma­tion majeure qual­i­fiée tour à tour de rur­ban­i­sa­tion, de péri­ur­ban­i­sa­tion, d’é­tale­ment urbain. Plus récem­ment on a par­lé de “ville émer­gente” pour qual­i­fi­er ces ter­ri­toires périphériques et leurs fonc­tion­nements. Les uns y voient l’ac­com­plisse­ment nor­mal du désir de mai­son indi­vidu­elle et de vie “à la cam­pagne ” des citadins, tan­dis que d’autres soulig­nent l’im­por­tance des poli­tiques publiques dans le domaine du loge­ment (aides priv­ilé­giant l’habi­tat neuf et la solv­abil­i­sa­tion des accé­dants), de l’ur­ban­isme (POS(4) sou­vent assez restric­tifs dans les com­munes déjà urban­isées), des trans­ports (investisse­ments en voiries rapi­des, sous-tar­i­fi­ca­tion de la mobil­ité) ou tout sim­ple­ment les effets naturels du marché immobilier.

Sans entr­er ici directe­ment dans ce débat, nous nous efforcerons de répon­dre à deux types de questions.

• Y a‑t-il des dif­férences nota­bles dans les sché­mas de mobil­ité entre les rési­dants de la ville tra­di­tion­nelle et ceux de la ville émer­gente, et ces dif­férences ont-elles des con­séquences impor­tantes sur l’en­vi­ron­nement urbain ?

• Y a‑t-il des élé­ments factuels sup­por­t­ant l’idée que les poli­tiques publiques, voire les “straté­gies de pré­cau­tion” mis­es en oeu­vre par les acteurs de l’im­mo­bili­er (pas plus de x % du revenu con­sacré aux loy­ers ou aux rem­bourse­ments), jouent un rôle dans l’ex­ten­sion urbaine par les inci­ta­tions qu’elles suscitent ?

Espaces peu denses, espaces hypermobiles et pollutions

Les exploita­tions réal­isées à l’Inrets(5) des enquêtes sur la mobil­ité (pan­el annuel parc auto­mo­bile, enquête nationale trans­ports de 1994, enquête glob­ale trans­ports de 1991 en Île-deFrance) offrent des résul­tats con­ver­gents et éclairants :

— les ménages ” péri­ur­bains ” ont un niveau d’équipement auto­mo­bile beau­coup plus impor­tant que les ” urbains “, y com­pris à struc­ture famil­iale ou sociale comparable ;
— leurs auto­mo­biles sont en moyenne plus âgées et plus sou­vent des voitures diesel ;
‑la dis­tance entre l’habi­tat et tra­vail est beau­coup plus élevée ;
— glob­ale­ment sur l’an­née, la cir­cu­la­tion en auto­mo­bile pro­duite par chaque ménage (ou chaque per­son­ne des ménages) est beau­coup plus élevée.
— pen­dant la semaine, les péri­ur­bains par­courent des dis­tances beau­coup plus impor­tantes et utilisent beau­coup plus la voiture ;
— au sein de l’e­space péri­ur­bain, les rési­dants des com­munes rurales par­courent des dis­tances plus impor­tantes et utilisent plus la voiture que les rési­dants des com­munes urbaines qui béné­fi­cient d’un min­i­mum de ser­vices de proximité.

Ces dif­férences dans les pra­tiques s’ac­com­pa­g­nent évidem­ment de dif­férences nota­bles en matière d’émis­sions pol­lu­antes. Les études menées à l’l­nrets sur les aggloméra­tions de Greno­ble et Bor­deaux, l’ar­rondisse­ment de Lille et la région Ile-de-France mon­trent toutes une crois­sance élevée des émis­sions de pol­lu­ants, des émis­sions de gaz car­bonique et des con­som­ma­tions de car­bu­rant avec l’éloigne­ment des cen­tres et la déden­si­fi­ca­tion des tis­sus de rési­dence (voir tableau 2).

Les écarts con­cer­nant les émis­sions sont toute fois en moyenne un peu plus faibles que les écarts con­cer­nant les kilo­mé­trages par­cou­rus, en rai­son de l’amélio­ra­tion notable des con­di­tions de circulation.

Tableau 1 — Car­ac­téris­tiques d’équipement et d’usage de l’au­to­mo­bile selon la local­i­sa­tion résidentielle
Ville-centre Banlieue Périphérie urbaine Périphérie rurale
Voitures pour 100 ménages(1) 89 110 129 136
% diesel(1) 24 26 31 36
Âge moyen des voitures(2) 6,6 6,7 7,5(*) -
Dis­tance moyenne au travail(3) 8,5 12,2 15,7 16,0
Dis­tance en voiture con­duc­teur par adulte et par jour (km)(4)
• Province 11 18 19 23
• Île-de-France 7 13 21 30

(1) Source : L Hivert, “le porc auto­mo­bile des ménages en décem­bre 1994·, INRETS/ADEME.
(2) Source : P. Mar­tin et G. Rennes, “le parc auto­mo­bile des ménages “, INSEE Résul­tats n” 569 à 571. Champ : grandes aggloméra­tions de province, année 1994.
(3) Source : J.-P. Orfeuil, “Les deplace­ments domi­cile tra­vail dans l’en­quête trans­ports”, INRETS.
(4) Source : C. Gallez et J.-P. Orfeuil. travaux en cours sur l’en­quête transports.

La localisation en zone périurbaine est-elle un choix ?

Les phénomènes de choix sont guidés par des phénomènes d’at­trac­tion et de répul­sion. Les ter­mes du choix en faveur de l’habi­tat péri­ur­bain com­pren­nent sans doute l’at­trait de la mai­son indi­vidu­elle, des con­di­tions plus favor­ables à l’ac­ces­sion et la pos­si­bil­ité de dis­pos­er d’un loge­ment plus grand, tan­dis que les con­di­tions défa­vor­ables com­pren­nent sans doute l’im­por­tance des dis­tances à par­courir par les dif­férents mem­bres de la famille, voire des temps passés qui leur sont associés.

Les études nationales de mobil­ité rel­a­tivisent assez forte­ment le dernier point : les bud­gets-temps de trans­port des rési­dants péri­ur­bains sont en moyenne com­pa­ra­bles ou légère­ment plus faibles que ceux des rési­dants des zones plus dens­es (ce qui n’ex­clut pas la pos­si­bil­ité de sit­u­a­tions par­ti­c­ulières où les temps de déplace­ments seraient par­ti­c­ulière­ment longs). Cette équiv­a­lence des bud­gets-temps, mal­gré des dis­tances beau­coup plus impor­tantes à par­courir est en par­tie due à la place crois­sante de l’au­to­mo­bile dans le choix modal, en par­tie due à la vitesse de cir­cu­la­tion auto­mo­bile, beau­coup plus impor­tante sur les réseaux rapi­des dédiés à l’au­to­mo­bile que sur les réseaux urbains tra­di­tion­nels : on peut donc con­sid­ér­er que les poli­tiques routières con­duites par l’É­tat et les départe­ments ont levé la con­trainte de bud­get-temps dans un sens très favor­able aux zones périphériques et assez peu favor­able aux zones dens­es : la vitesse glob­ale de déplace­ment (quo­tient de la dis­tance quo­ti­di­enne par­cou­rue par le bud­get- temps de trans­port) a aug­men­té de 40 % en périphérie con­tre seule­ment 20 % en ville-centre.

Dès lors que le choix est pos­si­ble et n’est pas incom­pat­i­ble avec des temps de déplace­ments ” accept­a­bles “, il reste à com­pren­dre pourquoi il a été fait par une frac­tion impor­tante de nos conci­toyens. Les grandes représen­ta­tions (attrait de la mai­son indi­vidu­elle, peurs urbaines et rejet de la ville) sont-elles suff­isantes, ou doivent- elles être com­plétées par des élé­ments plus triv­i­aux, rel­e­vant de l’é­conomie du loge­ment par exem­ple ? S’il n’y a pas, à notre con­nais­sance, d’é­tude glob­ale sur ce sujet, une étude récem­ment ter­minée à l’Inrets(6) et rel­a­tive à l’Île-de-France apporte quelques éclairages sur cette ques­tion : on y a analysé les dépens­es (moné­taires et tem­porelles) des ménages pour leurs déplace­ments, leurs dépens­es de loge­ment, ces dépens­es ont été con­fron­tées à leurs revenus, et cela dans neuf zones de coûts immo­biliers de la région(7). La zone aux coûts les plus élevés est sans sur­prise l’ouest de Paris, suiv­ie d’autres arrondisse­ments parisiens et de com­munes rési­den­tielles de proche ban­lieue. Les zones de prix inter­mé­di­aires cor­re­spon­dent soit à des zones de pre­mière couronne, soit à des zones urbaines de deux­ième couronne à car­ac­tère rési­den­tiel. Les zones les moins chères sont en moyenne les zones les plus périphériques de la région. On retien­dra huit enseigne­ments de cette étude.

• De la zone la plus chère à la zone la moins chère, le niveau de revenu des ménages décroît et la taille des familles croît, si bien que le niveau de revenu disponible par unité de con­som­ma­tion (8) décroît encore plus net­te­ment : l’e­space opère un tri à la fois social et famil­ial, les zones les plus cen­trales appa­rais­sent dif­fi­cile­ment acces­si­bles aux familles mod­estes. Sauf à sup­pos­er des struc­tures de préférence spé­ci­fiques aux familles mod­estes, le choix de l’éloigne­ment appa­raît sig­ni­fica­tive­ment lié à une dif­fi­culté à se loger dans les zones plus cen­trales .

• la super­fi­cie des loge­ments aug­mente certes avec l’éloigne­ment, mais la super­fi­cie disponible par per­son­ne varie en moyenne très peu d’une zone à l’autre : l’éloigne­ment ne se traduit pas par une super­fi­cie par per­son­ne plus grande, mais une recherche en zone cen­trale n’au­rait pas per­mis de trou­ver cette super­fi­cie, compte tenu des con­traintes budgétaires.

• Les accé­dants — qui représen­tent 12 % des ménages fran­ciliens — sont pra­tique­ment absents des deux pre­mières zones, ne représen­tent que 5 % des ménages dans les deux zones suiv­antes, tan­dis que leur pro­por­tion s’élève à 24 % dans la zone la plus périphérique. Si l’on con­sid­ère que le choix de l’ac­ces­sion est pre­mier, il implique de fait un choix tou­jours plus périphérique que celui de la location.

Le taux d’ef­fort pour le loge­ment varie en revanche assez peu selon les zones, autour d’une moyenne de 26 % pour les locataires et de 28 % pour les accé­dants. Les mécan­ismes de pré­cau­tion mis en place par les pro­prié­taires bailleurs ou les organ­ismes financiers (lim­ite au revenu con­sacré aux loy­ers ou aux rem­bourse­ments) inter­dis­ent prob­a­ble­ment des dérives exces­sives de ce poste.

• Le bud­get-temps de trans­port des per­son­nes varie assez peu d’une zone à l’autre, comme le lais­saient prévoir les obser­va­tions nationales, autour d’une moyenne de qua­tre-vingt min­utes par jour. En revanche, dès lors qu’on est dans des zones non cen­trales, les accé­dants ont un bud­get-temps sig­ni­fica­tive­ment supérieur aux locataires : l’ac­ces­sion s’ac­com­pa­gne prob­a­ble­ment de l’ac­cep­ta­tion de quartiers ou de com­munes moins bien desservis ou moins bien posi­tion­nés par rap­port aux lieux de vie des mem­bres du ménage.

• Les dis­tances par­cou­rues vari­ent très forte­ment d’une zone à l’autre (de 10 à 24 km par jour et par per­son­ne entre zones extrêmes, de 12 à 34 pour les seuls chefs de ménage) et la part assurée par l’au­to­mo­bile est crois­sante : la con­tri­bu­tion aux pol­lu­tions régionales (N0x et ozone) et aux émis­sions de gaz car­bonique varie dans un rap­port de 1 à 5 selon la posi­tion dans l’agglomération.

• Crois­sance des dis­tances, crois­sance du rôle de l’au­to­mo­bile et baisse du revenu moyen impliquent une part forte­ment crois­sante de la dépense pour les déplace­ments dans le revenu en fonc­tion de l’éloigne­ment : lim­itée à 5 % dans l’ouest parisien, elle grimpe à 26 % dans la zone la plus périphérique et même à 30 % chez les accé­dants de cette zone.

• Glob­ale­ment, les dépens­es de loge­ment et de trans­port passent du tiers des revenus dans les zones cen­trales à la moitié des revenus dans les zones les plus périphériques : la logique des mécan­ismes de pré­cau­tion relat­ifs à la dépense loge­ment util­isés par les pou­voirs publics, les bailleurs et les ban­ques est mise en défaut par la crois­sance très vive — et incon­trôlée — de la dépense transport.

Avant d’en­tr­er dans l’analyse de pistes d’ac­tion pos­si­bles, il faut d’abord lever une ambiguïté : comme toutes les sta­tis­tiques, les sta­tis­tiques présen­tées ici sont des moyennes. Toutes les familles implan­tées dans les zones éloignées ne sont pas dans une sit­u­a­tion dif­fi­cile et ne créent pas toutes des cir­cu­la­tions exces­sives : ce n’est pas le “péri­ur­bain ” en soi qui est en cause ‑l’emploi s’y développe d’ailleurs un peu plus qu’au cen­tre (9) — c’est le rôle de ces espaces dans l’ac­cueil de pop­u­la­tions qui ne peu­vent pas faire autrement qui pose prob­lème. Cela ren­voie au fonc­tion­nement de l’aire mét­ro­pol­i­taine dans son ensem­ble et aux mécan­ismes qui gou­ver­nent les straté­gies de local­i­sa­tion et de mobil­ité dans l’ensem­ble du bassin de vie.

Quand on observe que 40 % des con­joints des ménages accé­dants biac­t­ifs des zones éloignées par­tent tra­vailler dans la même direc­tion le matin, on peut penser que c’est un “choix” dont une frac­tion notable se serait passé si elle avait pu faire autrement.

Quelle philosophie pour un développement plus durable des aires métropolitaines ?

Les principes du développe­ment durable élaborés par la Com­mis­sion Brunt­land visent à con­cili­er développe­ment économique, équité et qual­ité envi­ron­nemen­tale dans une optique où l’ac­tion de court terme est com­pat­i­ble avec les sen­tiers de crois­sance à long terme. Les obser­va­tions présen­tées ici sug­gèrent que cette exi­gence de cohérence dis­qual­i­fie les posi­tions les plus extrêmes : une régu­la­tion incon­sid­érée de la cir­cu­la­tion routière en île-de-France pour­rait ” met­tre en crise ” cer­tains des ménages qui ont été ” con­traints au choix péri­ur­bain “, tan­dis que la recon­duc­tion des poli­tiques actuelles con­duirait un nom­bre crois­sant de familles dans des sit­u­a­tions finan­cières à risque et génér­erait de nou­veaux sur­plus de cir­cu­la­tion. La ques­tion est alors de savoir com­ment ne pas met­tre en crise des familles con­duites — d’inci­ta­tion en inci­ta­tion restreignant leurs choix — dans des sit­u­a­tions frag­iles, sans en inciter d’autres à suiv­re la même voie obligée.

Un pre­mier principe pour­rait gou­vern­er l’ac­tion : la désec­tori­sa­tion des approches “loge­ment” et “trans­port “.

On pour­rait par exem­ple mod­uler les seuils accept­a­bles du taux d’ef­fort pour le loge­ment en fonc­tion des dépens­es de déplace­ment anticipées, éviter de renchérir à l’ex­cès le coût de l’im­mo­bili­er neuf en cen­tre et en ban­lieue en imposant trop de con­struc­tions d’emplacements de sta­tion­nement pri­vatif, réin­tro­duire plus net­te­ment les liens habi­tat-emploi dans l’af­fec­ta­tion de l’aide patronale au loge­ment ou dans les attri­bu­tions de loge­ment du parc social. On avance sou­vent que la biac­tiv­ité des ménages dis­qual­i­fie ce dernier type d’ap­proche. Nos obser­va­tions ne con­fir­ment pas cette opin­ion : la dis­tance moyenne au tra­vail des act­ifs des ménages biac­t­ifs n’est que de 15% supérieure à celle des monoac­t­ifs, alors que les dis­tances moyennes au tra­vail vari­ent de 1 à 3 selon les types de local­i­sa­tion résidentielle.

Un sec­ond principe vis­erait à organ­is­er une plus grande flu­id­ité du marché du loge­ment : réduc­tion des droits de muta­tion, con­di­tions de durée d’oc­cu­pa­tion d’un loge­ment dans l’habi­tat social, fis­cal­ité immo­bil­ière alour­die sur les loge­ments inoc­cupés ou sur les grands loge­ments très faible­ment occupés.

Un troisième principe vis­erait à aug­menter le pou­voir de réso­lu­tion de l’ac­tion publique vers des cibles stratégiques : les aides publiques au loge­ment pour­raient être con­cen­trées sur les local­i­sa­tions béné­fi­ciant d’une bonne acces­si­bil­ité en trans­ports publics aux emplois et lieux de vie de l’ag­gloméra­tion, ou sur les local­i­sa­tions proches des lieux de tra­vail des mem­bres du ménage. Des aides spé­ci­fiques pour­raient être ciblées sur des ménages qui, en ” sit­u­a­tion à risque “, exprimeraient le souhait de démé­nag­er pour réduire leur mobil­ité contrainte.

Ces pistes n’ont évidem­ment de sens que si les réac­tions du marché immo­bili­er n’an­nu­lent pas l’ef­fet des aides envis­agées. Pour cela, fau­dra-t- il sans doute stim­uler un cer­tain renou­veau de la con­struc­tion dans les zones béné­fi­ciant d’une bonne acces­si­bil­ité et donc éviter les POS trop restric­tifs et requal­i­fi­er cer­tains espaces. Elles n’au­ront de sens égale­ment que si les poli­tiques d ‘infra­struc­ture — un peu plus de trans­port pub­lic dans les zones dens­es, un peu moins de routes dans les espaces péri­ur­bains — sont cohérentes avec ces objectifs.

Le gou­verne­ment français a adop­té en févri­er 1997 une stratégie de développe­ment durable (10). Con­cer­nant ” l’u­nivers urbain “, il est indiqué au titre des fonde­ments que ” l’é­tale­ment urbain et la crois­sance très rapi­de des déplace­ments résul­tant de l’al­longe­ment des dis­tances domi­cile-tra­vail et d’une mix­ité habi­tat-ser­vice sou­vent insuff­isante sont l’une des prin­ci­pales caus­es d’ab­sence de car­ac­tère durable “. Au titre des ori­en­ta­tions on relève ” le besoin d’é­val­u­a­tion, sous l’an­gle du développe­ment urbain durable , de cer­taines poli­tiques de l’E­tat : acces­sion à la pro­priété du loge­ment, infra­struc­tures, sub­ven­tions aux trans­ports publics “.

Nous ignorons si ces ori­en­ta­tions générales ont reçu un début de ” mise en musique “. Les élé­ments présen­tés ici sug­gèrent qu’il y aurait quelque intérêt, pour l’en­vi­ron­nement comme pour les con­traintes qui pèsent sur les ménages mod­estes, à y réfléchir : l’en­jeu en est de per­me­t­tre à cha­cun de dis­pos­er de marges de manœu­vre réal­istes dans ses choix de rési­dence et de mobil­ité, et d’en assumer les coûts par le biais d’in­stru­ments tar­i­faires appro­priés per­me­t­tant une cer­taine régu­la­tion de la mobil­ité et de ses effets sur l’environnement.

Tableau 3 — Bud­get loge­ment et bud­get trans­port des ménages selon la zone de rési­dence en Icirc;le-de-France
Zone de prix immobilier
Très élevé (1) Élevé (2) Moyen (3) Faible (4) Île-de-France
Prix moyen du ml en loca­tion privée (F) 91 79 62 54 71
Taille des ménages 1,8 2,2 2,7 2,8 2,5
Revenu men­su­el par unité de con­som­ma­tion (F) 11 500 8 800 7 300 6 200 7 800
% locataires du secteur privé 64 50 27 19 36
% locataires du secteur public 3 17 23 29 20
% accédants 1 6 16 18 12
% propriétaires 32 27 34 34 32
Dis­tance par­cou­rue par jour et par per­son­ne (km) 10 13 18 20 16
Dis­tance par­cou­rue par le chef de ménage (km) 12 16 23 27 20
Bud­get-temps de trans­port par jour et par per­son­ne (mn) 83 86 82 79 82
Bud­get-temps de trans­port du chef de ménage (mn) 92 97 96 94 96
Locataire du secteur privé
super­fi­cie disponible : m2 par personne 29 22 23 24 24
% du revenu con­sacré au logement 28% 26% 25% 26% 26%
% du revenu con­sacré aux déplacements 5% 9% 15% 19% 11%
Accédants
super­fi­cie disponible : m2 par personne ns 26 27 25 25
% du revenu con­sacré au logement ns 28% 26% 27% 28%
% du revenu con­sacré aux déplacements ns 9% 20% 26% 19%


(1) Zones 1 et 2 : ouest parisien et une com­mune des Hauts-de-Seine,
(2) Zones 3 â 5 : reste de Paris, zones des Hauts-de-Seine et des Yve­lines à coût élevé,
(3) Zones 6 et 7 : zones à prix moyen de la petite couronne, zones à coût élevé en grande couronne,
(4] Zones 8 et 9 : zones a prix faible de Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne et grande couronne,
Source : recon­sti­tué à par­tir de Poloc­chi­ni et Orfeuil (1998) “Bud­get loge­ment et bud­get trans­port en Île-de-France” INRETS/DREIF.


(1) CFDD, Con­tri­bu­tion au debat nation­al , Rap­port 1996, Pri­or­ités d’actions.
(2) Les proces­sus de ce type sont très fréquents (voir Schelling, La tyran­nie des petites déci­sions , PUF, (1980) pour une présen­ta­tion péd­a­gogique et pleine d’hu­mour), en par­ti­c­uli­er dans le domaine urbain où l’in­ter­ac­tion entre les com­porte­ments des uns et des autres est max­i­male. Leur com­préhen­sion est au cœur de la prob­lé­ma­tique du développe­ment durable, qui exige la recherche de cohérence entre l’ac­tion à cours terme et les sen­tiers de crois­sance de long terme.
(3) Loi d’ori­en­ta­tion sur les trans­ports intérieurs.
(4) Plans d’oc­cu­pa­tion des sols.
(5) L’au­teur remer­cie C. Gallez, L. Hivert, A. Polac­chi­ni à qui il emprunte ici de nom­breux résul­tats, pub­lies ou en cours de pub­li­ca­tion, ain­si que les financeurs de ces travaux : ADEME (Agence de l’en­vi­ronnenent et de la maîtrise de l’én­ergie), DREIF et DTT (Direc­tion des trans­ports terrestres),
(6) Polac­chi­ni A. el Orfeuil J.-P.: Bud­get Loge­ment et Bud­get Trans­ports en Île-de-France. INRETS pour la Direc­tion régionale de l’équipement d’lle-de-France (DREIF), à paraître en 1998.
(7) On n’en­tr­era pas ici dans les détails tech­niques de l’é­tude. II suf­fit au lecteur de savoir que le bud­get loge­ment com­prend soit la dépense de loca­tion, soit les rem­bourse­ments d’emprunt (à l’ex­clu­sion de l’ap­port ini­tial), qu’il n’est pas com­pen­sé par d’éventuelles aides reçues, et qu’il n’est claire­ment établi que pour les locataires du secteur privé et les accé­dants. Les dépens­es de trans­port sont rel­a­tives aux déplace­ments en région, et com­pren­nent aus­si bien les “frais fix­es” (dépens­es d’ac­qui­si­tion et de pos­ses­sion d’au­to­mo­bile, carte orange) que les frais vari­ables (car­bu­rants, tick­ets de trans­port col­lec­tif pub­lic, etc.), Toutes les dépens­es sont estimées en francs 1994. Les com­porte­ments de déplace­ments sont appréhendés sur l’En­quête glob­ale trans­port de 1991.l(8) Le pre­mier adulte du ménage compte pour 1 unité de con­som­ma­tion, les autres pour 0,7 et les enfants pour 0.5.
(9) Ce qui ne manque pas d’ailleurs de pos­er des prob­lèmes à la fis­cal­ité des grandes villes. L’As­so­ci­a­tion des maires des grandes villes pub­lie régulière­ment des études mon­trant l’éro­sion des bases de la taxe pro­fes­sion­nelle sur leur ter­ri­toire alors même que les charges d’an­i­ma­tion de l’ag­gloméra­tion con­tin­u­ent de peser avant tout sur le bud­get de la ville prin­ci­pale (voir Les Echos 26.01.98).
(10) Stratégie nationale du développe­ment durable. Fonde­ments el ori­en­ta­tions, Série des ” Bleus de Matignon”. Févri­er 1997.

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