Fiscalité. subventions et évolution de l’urbanisme

Dossier : Environnement et FiscalitéMagazine N°534 Avril 1998Par : Yves MARTIN (55), Conseil général des Mines

Les coûts d’un urbanisme de moins en moins dense

Les coûts d’un urbanisme de moins en moins dense

Nos villes évolu­ent rapi­de­ment , vers un urban­isme de moins en moins dense avec une spé­cial­i­sa­tion de l’e­space de plus en plus mar­quée. Cette évo­lu­tion engen­dre des coûts tou­jours plus grands en infra­struc­tures, une crois­sance vive de besoins de déplace­ments, qui ne peu­vent être sat­is­faits que par l’au­to­mo­bile (les trans­ports col­lec­tifs ne sont renta­bles que dans un urban­isme dense) avec son cortège de pol­lu­tions locales ou glob­ales, elle s’ac­com­pa­gne d’une ségré­ga­tion crois­sante dans la pop­u­la­tion urbaine.

La responsabilité des politiques publiques

Cette évo­lu­tion résulte-t-elle d’une préférence vis­cérale de nos conci­toyens pour le pavil­lon isolé et pour l’au­to­mo­bile ou bien des poli­tiques publiques qui ont :

— d’une part forte­ment réduit l’a­gré­ment des cen­tres urbains tra­di­tion­nels en les ” adap­tant à l’au­to­mo­bile ” et en tout cas en y aban­don­nant gra­tu­ite­ment l’usage des rues à la cir­cu­la­tion automobile ;

— d’autre part sub­ven­tion­né mas­sive­ment la mobil­ité (les usagers des trans­ports col­lec­tifs paient le tiers de ce que coû­tent ces trans­ports, et la sub­ven­tion implicite accordée à l’au­to­mo­bile par l’usage gra­tu­it de nos rues est du même ordre aux heures de congestion).

Une subvention massive à la mobilité

Cette sub­ven­tion mas­sive à la mobil­ité, super­posée à la très forte décrois­sance du prix des ter­rains, quand on s’éloigne du cen­tre ville, n’a-t-elle pas mod­i­fié les préférences de nos conci­toyens en faveur d’un loge­ment situé là où le coût du fonci­er est faible ? En con­sacrant 16 GF/an d’ar­gent pub­lic à sub­ven­tion­ner les trans­ports publics en Île-de-France, pour faciliter (et du même coût encour­ager) la dis­per­sion des Fran­ciliens et seule­ment 400 MF/an (chiffres de 1992) pour alléger le coût du fonci­er afin de per­me­t­tre aux HLM d’in­sér­er des caté­gories sociales dif­féren­ciées dans la zone dense de l’ag­gloméra­tion , n’a-t-on pas aggravé (sinon organ­isé) la ségré­ga­tion sociale ?

La politique d’aide à l’accession à la propriété

La poli­tique d’aide à l’ac­ces­sion à la pro­priété du loge­ment n’a-t-elle pas le même effet ? La volon­té de soutenir le secteur du BTP, plus que le souci de sat­is­faire les préférences des ménages à faible revenu, a con­duit, à par­tir de la fin de la décen­nie soix­ante-dix, à rechercher une clien­tèle de moins en moins solv­able pour l’ac­ces­sion à la pro­priété, clien­tèle qui ne pou­vait acheter que des loge­ments situés dans des secteurs où le coût du fonci­er est le plus faible, c’est-à-dire dans des secteurs peu accessibles.

Simul­tané­ment, cette poli­tique n’a-t-elle pas eu pour effet d’ac­centuer la ségré­ga­tion dans les HLM en en reti­rant leurs locataires les plus aisés (ou les moins démunis) ?

On peut certes dire que cette poli­tique a per­mis aux ménages à revenus mod­estes de sat­is­faire une préférence éventuelle forte pour le pavil­lon isolé mais il est cer­tain aus­si qu’elle a ori­en­té en moyenne ces préférences. L’af­fec­ta­tion d’aides publiques équiv­a­lentes en faveur d’une autre forme d’é­pargne pop­u­laire que l’ac­ces­sion à la pro­priété n’au­rait-elle pas ori­en­té ces préférences dans un sens qui pose moins de prob­lèmes à la collectivité ?

On doit enfin soulign­er que l’aide à l’ac­ces­sion à la pro­priété priv­ilégie très forte­ment l’achat d’un loge­ment neuf par rap­port à l’achat d’un loge­ment ancien à restau­r­er, ce qui dis­suade les ménages à revenu mod­este d’in­ve­stir ailleurs qu’à la périphérie.

Le rapprochement domicile-travail dissuadé

En même temps que l’on sub­ven­tionne mas­sive­ment la mobil­ité urbaine, on dis­suade ceux qui sont pro­prié­taires de leur loge­ment, de le ven­dre pour se rap­procher de leur lieu de tra­vail (taxe de pub­lic­ité fon­cière de l’or­dre de 7 % sur la valeur de la transaction).

Contenus en emplois du supermarché en centre ville et de l’hypermarché en périphérie

L’évo­lu­tion du com­merce de détail résulte-t-elle d’une supéri­or­ité incon­testable de la grande dis­tri­b­u­tion, ou est-elle large­ment influ­encée par notre sys­tème fis­cal ? Une com­para­i­son a été faite entre le con­tenu en emploi et en trans­port de la vente d’une même marchan­dise par un super­marché en cen­tre ville et par un hyper­marché en périphérie : le pre­mier engen­dre deux fois plus d’emplois et deux fois moins de trans­ports que le sec­ond. (L’é­tude reste à faire pour le com­merce de quarti­er tra­di­tion­nel.) Le fait que nous tax­ions lour­de­ment la main-d’œu­vre et sub­ven­tion­nions les trans­ports ne con­duit-il pas à biais­er la com­péti­tiv­ité rel­a­tive de la dis­tri­b­u­tion dans un sens défa­vor­able à un urban­isme “durable ”)

Emplois mobilisés par le déplacement d’un voyageur sur un kilomètre en automobile ou en transport collectif

De la même façon , un déplace­ment d’un voyageur sur un kilo­mètre en auto­mo­bile con­somme deux fois plus de pét­role et crée deux fois moins d’emplois que le même déplace­ment en bus. Ici encore la fis­cal­ité (sur la main-d’œu­vre d’une part, sur l’én­ergie d’autre part) inflé­chit la com­péti­tiv­ité rel­a­tive des deux modes de trans­port dont les impacts respec­tifs ne sont pas neu­tres vis-à-vis du développe­ment urbain.

La taxe professionnelle

Les méfaits de la per­cep­tion de la taxe pro­fes­sion­nelle dans le cadre com­mu­nal et non au niveau de l’ag­gloméra­tion sont bien con­nus : le régime actuel est un obsta­cle lourd à l’adop­tion de choix urbains struc­turés et équilibrés.

Ren­dons enfin pos­si­ble le péage urbain

Les con­sid­éra­tions qui précè­dent ne débouchent sur aucune propo­si­tion visant à amélior­er rapi­de­ment la sit­u­a­tion sur tel ou tel de nos dys­fonc­tion­nements urbains, elles met­tent en évi­dence des mécan­ismes qui agis­sent insi­dieuse­ment dans un sens fâcheux avec des effets cumu­lat­ifs red­outa­bles à long terme.

Revoir notre fis­cal­ité et nos poli­tiques de sub­ven­tion me paraît indis­pens­able pour infléchir ces évo­lu­tions : ne nous épuisons pas à ériger des petites digues locales si par ailleurs nous créons (ou en tout cas aug­men­tons) la pente qui engen­dre le courant.

Une mesure me paraît par­ti­c­ulière­ment néces­saire : financer le développe­ment des trans­ports col­lec­tifs par une fis­cal­ité locale nou­velle qui freine l’usage de l’au­to­mo­bile en ville (taxe sur les places des park­ings ou mieux sur l’usage de l’au­to­mo­bile en ville par péage élec­tron­ique). Pro­posons une loi qui rende pos­si­ble une telle fis­cal­ité dans les aggloméra­tions qui souhait­eraient l’instaurer.

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