Quand une taxe en cache une autre …

Dossier : Environnement et FiscalitéMagazine N°534 Avril 1998
Par Olivier GODARD

1. Les deux points de vue de l’économiste et du fiscaliste

1. Les deux points de vue de l’économiste et du fiscaliste

Je pro­pose de par­tir du con­stat suiv­ant. Sur les mêmes instru­ments, il y a deux points de vue très dif­férents, voire même opposés : celui de la fis­cal­ité générale, attaché à la col­lecte de ressources pour financer des dépens­es publiques et celui de l’é­conomie publique ayant le souci d’in­fléchir ou de réguler les com­porte­ments des agents au mieux de l’in­térêt général, dans un souci d’ef­fi­cac­ité d’emploi col­lec­tif de biens rares, ce qui cor­re­spond à la per­spec­tive économique con­cer­nant les poli­tiques d’environnement.

Effets d’une taxe

Une taxe engen­dre-t-elle une dis­tor­sion ou crée-t-elle une inci­ta­tion ? L’in­sti­tu­tion d’une taxe entraîne nor­male­ment (2) une aug­men­ta­tion du prix du bien taxé. Pour des biens économiques ordi­naires, pour lesquels la demande n’est pas totale­ment rigide, cette aug­men­ta­tion de prix entraîne une baisse plus ou moins impor­tante des quan­tités demandées. Sur le sché­ma, on représente deux courbes de demande (pen­chant de la gauche vers la droite) D1 et D2 (la demande D1 est plus forte­ment élas­tique que D2), face à une courbe d’of­fre O (pen­chant de la droite vers la gauche). Avant tax­a­tion, l’équili­bre offre/demande se fait au point C (Po, Qo). Après intro­duc­tion de la taxe t, avec une fonc­tion de demande assez élas­tique, la demande effec­tive passe au point A1 (Po + t, q1). Si la fonc­tion de demande est peu élas­tique, la demande effec­tive passe au point A2 (Po + t, q2).

Com­ment inter­préter ces change­ments ? Si le bien est respon­s­able d’ef­fets externes négat­ifs, cette con­trac­tion de la demande peut être pré­cisé­ment l’ef­fet recher­ché d’un point de vue économique. On se rap­proche de l’op­ti­mum économique quand la demande pour des biens engen­drant des nui­sances se réduit au prof­it de biens qui ne présen­tent pas de tels incon­vénients. Plus la demande est élas­tique, plus un taux don­né de taxe a un effet inci­tatif, ce qui fait de la tax­a­tion un bon instru­ment pour infléchir les com­porte­ments. Si ce bien est un bien ordi­naire sans nui­sances et que la taxe n’a qu’un but fis­cal, en revanche, le déplace­ment de la demande effec­tive dû à la taxe cor­re­spond à une dis­tor­sion des choix des agents, qui a un coût économique mesuré par la perte de sur­plus économique, le tri­an­gle A1BC ou le tri­an­gle A2EC, selon les fonc­tions de demande (3). D’un point de vue fis­cal, la baisse de la demande du bien taxé sig­ni­fie égale­ment un moin­dre ren­de­ment fis­cal de l’im­pôt. C’est pourquoi le fis­cal­iste cherche à tax­er des pro­duits dont la demande est la plus inélas­tique pos­si­ble. Ce faisant, il réduit le coût économique de la dis­tor­sion créée par l’im­pôt (la sur­face A2EC est plus petite que celle de A1BC).

L’ob­jec­tif d’un fis­cal­iste est d’obtenir des ressources sta­bles et prévis­i­bles, en quan­tités suff­isantes, ayant le moins d’ef­fets pos­si­bles sur les com­porte­ments économiques des assu­jet­tis, sans intro­duire de boule­verse­ments qui pour­raient induire des réac­tions de rejet, d’où une préférence pour les ” vieux impôts “. Pour les écon­o­mistes qui voient dans les instru­ments fis­caux des instru­ments économiques inci­tat­ifs, l’ob­jet des tax­es est au con­traire d’obtenir une mod­i­fi­ca­tion des com­porte­ments des agents de façon à per­me­t­tre à la col­lec­tiv­ité de se rap­procher d’un état économique­ment effi­cace d’emploi de ressources rares à pro­pos desquelles les marchés exis­tants man­i­fes­tent divers­es lim­ites (effets externes, biens col­lec­tifs). Cha­cun a ses rêves. Ils peu­vent par­fois se ren­con­tr­er, mais le plus sou­vent les diver­gences d’ob­jec­tifs entraî­nent des tensions.

Ceci peut être illus­tré en con­frontant le raison­nement fis­cal et le raison­nement économique face à l’in­stau­ra­tion d’une taxe, comme celle qui est fig­urée sur le sché­ma en encadré.

Les deux points de vue de l’é­con­o­miste et du fis­cal­iste peu­vent se rejoin­dre lorsqu’on taxe pour des raisons fis­cales un bien dont, par ailleurs, la con­som­ma­tion est respon­s­able d’ef­fets externes négat­ifs. Si par exem­ple l’on prend au sérieux la ques­tion du risque cli­ma­tique (4), il est sans doute heureux que les car­bu­rants soient lour­de­ment taxés dans notre pays depuis plusieurs décen­nies bien que cette tax­a­tion doive son exis­tence à des mobiles tout à fait étrangers à la prise en charge de ce risque externe.

Symétrique­ment, le recours à des tax­es inci­ta­tives peut pro­cur­er des recettes qui peu­vent pren­dre place par­mi les instru­ments fis­caux. Dans l’ex­em­ple choisi, la crainte sou­vent exprimée d’une dis­pari­tion de l’assi­ette n’est pas fondée car il s’ag­it de pla­fon­ner durable­ment les émis­sions de CO2 du pays, et non pas de les faire dis­paraître. Dans un cas plus général, la diminu­tion de l’assi­ette résul­tant d’une con­trac­tion de la demande n’est pas incom­pat­i­ble avec une cer­taine sta­bil­ité des recettes à moyen terme si elle est com­pen­sée par une hausse pro­gres­sive du taux uni­taire de taxation.

2. Trois classifications des instruments de politique d’environnement

L’ef­fi­cac­ité économique se joue sur les ter­rains de l’in­for­ma­tion et de l’inci­ta­tion. L’in­for­ma­tion économique (sur les coûts, les pos­si­bil­ités d’a­gir, les tech­niques … ) et l’inci­ta­tion doivent se com­bin­er au mieux pour con­duire à une allo­ca­tion économique­ment effi­cace des efforts de lutte con­tre la pol­lu­tion, comme par­tie inté­grante de l’équili­bre économique général. Une pre­mière approche de cette ques­tion peut être faite à par­tir de la dis­tinc­tion clas­sique entre instru­ments régle­men­taires, économiques et de ” troisième généra­tion ” (5).

Instruments réglementaires, économiques et de ” troisième génération”

Les instru­ments régle­men­taires (procé­dures admin­is­tra­tives d’au­tori­sa­tion avec dis­posi­tifs de con­trôle, fix­a­tion de normes de rejets … ) visent à con­train­dre les agents décen­tral­isés (inter­dic­tions, pre­scrip­tions). Les instru­ments économiques jouent d’inci­ta­tions finan­cières ou de mécan­ismes économiques (change­ment des prix), sans con­train­dre les agents. Les instru­ments dits de troisième généra­tion for­ment une caté­gorie un peu floue où l’on range les actions d’in­for­ma­tion, de per­sua­sion, de con­cer­ta­tion débouchant par exem­ple sur des accords ou engage­ments” volon­taires “, ou la cer­ti­fi­ca­tion de la qualité.

Cepen­dant les deux critères respec­tifs de l’é­con­o­miste (tax­er en pro­por­tion des effets externes négat­ifs) et du fis­cal­iste (tax­er les biens à demande inélas­tique en pro­por­tion des besoins budgé­taires) n’ont aucune rai­son de con­verg­er en toutes circonstances.

Par­mi les instru­ments économiques, on peut distinguer :

• les rede­vances, qui se rap­prochent d’une fac­tura­tion des coûts d’un ser­vice rendu ;

• les tax­es, ayant si pos­si­ble un lien direct avec les effets négat­ifs que l’on veut réduire, mais aux­quelles, par réaI­isme, on peut faire réalis­er un déplace­ment d’une tax­a­tion des com­porte­ments à réguler (émis­sions de pol­lu­ants) à une tax­a­tion des pro­duits aux­quels les nui­sances sont rat­tachées (une taxe sur l’én­ergie fos­sile en lieu et place d’une taxe sur les émis­sions de CO2 par exemple);

• les sub­ven­tions, agréables pour ceux qui les accor­dent et ceux qui les reçoivent, mais qui ont un coût économique le plus sou­vent caché ou dif­fus mais impor­tant au détri­ment des con­tribuables et de l’ac­tiv­ité économique ;

• les per­mis négo­cia­bles d’émis­sions pol­lu­antes, expéri­men­tés aux USA depuis 1977 et qui y sont main­tenant util­isés à grande échelle pour organ­is­er la lutte con­tre la pol­lu­tion atmo­sphérique par le SO2 à longue dis­tance (6)

En matière d ‘envi­ron­nement, on a d’abord engagé des actions régle­men­taires com­plétées par des mécan­ismes de finance­ment (Agences de l’eau) (7) puis on a essayé d’obtenir une meilleure effi­cac­ité par l’in­sti­tu­tion d’in­stru­ments économiques inci­tat­ifs ; mais des réti­cences poli­tiques fortes freinent ce proces­sus. Dans qua­si­ment aucun pays au monde on ne trou­ve en place de sys­tèmes de tax­es inci­ta­tives pures, celles qui doivent induire la cor­rec­tion recher­chée des com­porte­ments par le seul mécan­isme du prix.

Ain­si, la tax­a­tion des NOx émis par les cen­trales ther­miques en Suède est un des rares exem­ples approchant ce con­cept : le niveau élevé de tax­a­tion y est com­pen­sé par une redis­tri­b­u­tion du pro­duit de la taxe aux intéressés au pro­ra­ta de leur pro­duc­tion élec­trique (8) ; de cette façon, le prix moyen de la pro­duc­tion élec­trique n’est pas directe­ment affec­té par le prélève­ment fis­cal (9), mais les entre­pris­es les plus pol­lu­antes sont pénal­isées, tan­dis que les plus “vertes” en sont récom­pen­sées, ce qui inverse le cas le plus fréquent dans lequel c’est la dégra­da­tion de l’en­vi­ron­nement qui est le com­porte­ment le plus rentable. Dans l’im­mense majorité des cas, on a affaire à des sys­tèmes mixtes d’in­stru­ments où les con­sid­éra­tions de finance­ment l’emportent sur celles de la recherche de l’ef­fi­cac­ité économique, c’est-à-dire au moin­dre coût pour la collectivité.

Instruments incitatifs et instruments à visée budgétaire

Afin de lever l’am­biguïté sur la notion de taxe, il est néces­saire d’in­tro­duire une dis­tinc­tion sup­plé­men­taire au sein des instru­ments économiques, entre :

• les instru­ments qui cherchent à inciter, c’est-à-dire à infléchir les com­porte­ments sans les con­train­dre ni les pre­scrire en mod­i­fi­ant les con­di­tions économiques des choix par un change­ment des prix relat­ifs des biens, aux­quels on espère que ces agents seront sen­si­bles (con­cept d’élasticité/ prix de la demande, par exemple),

• les instru­ments qui cherchent seule­ment à récolter des recettes pour financer des opéra­tions pré­cis­es ou des programmes.

Il existe une grande dif­férence dans le mode d’ac­tion de tax­es affec­tées des­tinées seule­ment à pro­cur­er le finance­ment d’in­vestisse­ments spé­ci­fiques et de tax­es inci­ta­tives, on les appelle pigou­vi­ennes, visant à mod­i­fi­er les prix relat­ifs de façon à restau­r­er de bons sig­naux économiques, ceux qui con­duisent les agents à des allo­ca­tions effi­caces. Le grand intérêt des instru­ments inci­tat­ifs est de mobilis­er l’in­for­ma­tion là où elle se trou­ve, au plus près des agents économiques, sans exiger son trans­fert à une tutelle admin­is­tra­tive. La déci­sion reste décen­tral­isée , par oppo­si­tion à une régle­men­ta­tion où les com­porte­ments sont pre­scrits par une admin­is­tra­tion. Pour être économique­ment effi­caces, les pre­scrip­tions admin­is­tra­tives auraient besoin d’être fondées sur une infor­ma­tion par­faite sur les sit­u­a­tions indi­vidu­elles (pos­si­bil­ités de choix, coûts des options) les plus divers­es, ce qui n’est pas le cas : une telle infor­ma­tion n’est pas gra­tu­ite et on ne peut pas pos­tuler que les agents décen­tral­isés sont prêts à la trans­met­tre gra­cieuse­ment et sans biais aux autorités de tutelle.

En revanche, si son assise est définie de façon cor­recte, que son taux uni­taire reflète approx­i­ma­tive­ment ce qu’on sait du dom­mage externe à l’op­ti­mum, et s’il n’ex­iste pas d’autres imper­fec­tions ou dis­tor­sions majeures dans le sys­tème de prix (10), une taxe four­nit un repère com­mun aux agents à par­tir duquel cha­cun va, en fonc­tion des cir­con­stances par­ti­c­ulières qui sont les siennes, déter­min­er la ” meilleure” solu­tion à retenir pour lui et pour la col­lec­tiv­ité, compte tenu du coût des dif­férentes options. En per­me­t­tant la mobil­i­sa­tion décen­tral­isée de l’in­for­ma­tion détenue par les agents, le repère com­mun fourni par la taxe per­met alors une coor­di­na­tion effi­cace des déci­sions, en évi­tant que l’on dépense trop ici et pas assez là pour obtenir un même effet en ter­mes d’émis­sions de polluants.

Du point de vue de l’é­conomie de l’in­for­ma­tion, une taxe affec­tée comme la taxe parafis­cale sur les émis­sions de pol­lu­ants atmo­sphériques affec­tée au finance­ment de la lutte con­tre la pol­lu­tion de l’air fonc­tionne très dif­férem­ment d’une taxe inci­ta­tive. Elle opère en fait comme une régle­men­ta­tion, puisque la qual­ité de l’al­lo­ca­tion des efforts et des ressources qui va en résul­ter dépend de la qual­ité des déci­sions pris­es par les instances tutélaires qui vont attribuer les aides, sub­ven­tions et finance­ments aux agents décen­tral­isés. Ce sont la nature des procé­dures d’in­struc­tion des pro­jets, la qual­ité de l’in­for­ma­tion économique et envi­ron­nemen­tale util­isées et la qual­ité du juge­ment économique de ceux qui sont en pou­voir de décider quelles opéra­tions il con­vient de financer qui vont déter­min­er le car­ac­tère plus ou moins économique­ment effi­cace d’une allocation.

Pour les raisons déjà notées de manque d’in­for­ma­tion au niveau cen­tral, il n’y a générale­ment aucune rai­son pour que les procé­dures d’af­fec­ta­tion des moyens financiers par des autorités admin­is­tra­tives engen­drent des allo­ca­tions économique­ment effi­caces. Ce n’est que lorsque les experts de l’ad­min­is­tra­tion peu­vent être crédités d’une meilleure infor­ma­tion économique et tech­nique que les agents décen­tral­isés qu’une tech­nique de taxe affec­tée peut avoir un avan­tage économique sur une taxe incitative.

Instruments sectoriels et instruments globaux

Le raison­nement précé­dent fai­sait allu­sion aux effets de la tax­a­tion sur l’équili­bre général. Ce type d’ef­fets mérite une prise en compte explicite et donne lieu à une troisième dis­tinc­tion qui sépare les instru­ments sec­to­riels et les instru­ments globaux.

Les instru­ments sec­to­riels (par exem­ple, les normes de rejets et les rede­vances rever­sées aux Agences de l’eau) vien­nent directe­ment à l’ap­pui d’une poli­tique sec­to­rielle et sont conçus pour ne pas avoir d’in­ter­férence volon­taire plus large avec l’ac­tion publique ou avec le fonc­tion­nement économique général.

Conçues dans un but financier, les charges sociales ont en effet eu pour con­séquence économique indésir­able de renchérir de façon impor­tante le coût du tra­vail et de con­tribuer glob­ale­ment aux déséquili­bres du marché du tra­vail (chô­mage struc­turel mas­sif, en par­ti­c­uli­er, mais pas seule­ment, pour le tra­vail non qualifié).

Cela ne les empêche pas, le cas échéant, d’avoir des effets per­vers impor­tants au-delà du champ d’im­pact pré­cis pour lequel ils ont été conçus. On trou­ve dans cette caté­gorie divers dis­posi­tifs régle­men­taires, des mécan­ismes de finance­ment, qui peu­vent provenir du bud­get général ou de tax­es affec­tées ou de rede­vances pour ser­vices ren­dus, ou encore des sys­tèmes de per­mis négo­cia­bles dont l’al­lo­ca­tion ini­tiale est faite gra­tu­ite­ment aux agents con­cernés, comme dans le sys­tème améri­cain de per­mis à émet­tre du S02.

Les instru­ments qui ont une visée inci­ta­tive et reposent sur un prélève­ment fis­cal relèvent d’une autre approche car ils autorisent un large redé­ploiement de la fis­cal­ité générale.

Il n’ex­iste que deux instru­ments à pou­voir entr­er dans cette caté­gorie : des tax­es non affec­tées ; des per­mis négo­cia­bles ven­dus par les autorités publiques, et dont le pro­duit n’est pas affec­té à des usages par­ti­c­uliers. Ici, le poten­tiel d’ac­tion des instru­ments n’est pas seule­ment sec­to­riel, mais englobe une action générale sur le sys­tème des prélève­ments oblig­a­toires. C’é­tait par exem­ple le cas du pro­jet d’é­co­taxe sur l’én­ergie que la France (taxe sur le con­tenu en car­bone des éner­gies) et la Com­mis­sion européenne (taxe sur le con­tenu énergé­tique et sur le con­tenu en car­bone pour moitié cha­cun) avaient con­sid­éré au début des années qua­tre-vingt- dix pour organ­is­er la préven­tion du risque cli­ma­tique (11). Comme cette éco­taxe n’avait pas pour but prin­ci­pal de pro­cur­er des ressources sup­plé­men­taires affec­tées, mais de don­ner un sig­nal économique devant inciter à mod­i­fi­er les choix en matière d’usage de l’én­ergie, les ressources fis­cales nou­velles obtenues auraient per­mis de procéder à la diminu­tion d’autres prélève­ments exis­tants liés à la fis­cal­ité générale ou il d’autres prélève­ments oblig­a­toires, dont on sait qu’ils ont un effet de dis­tor­sion économique ou sociale , comme par exem­ple les charges sociales assis­es sur les salaires.

L’in­térêt économique et social de tels redé­ploiements peut égale­ment avoir une grande impor­tance poli­tique en ren­dant plus accept­able une poli­tique de l’en­vi­ron­nement sou­vent perçue comme la source poten­tielle de con­traintes économiques coûteuses.

Dans la mesure où ces redé­ploiements présen­tent des avan­tages pour la pour­suite d’au moins deux objec­tifs de la col­lec­tiv­ité (pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement et cor­rec­tion de dis­tor­sions économiques dues au sys­tème exis­tant de prélève­ments oblig­a­toires, touchant par exem­ple à l’emploi), on a qual­i­fié ce type d’ap­proche de stratégie de “dou­ble div­i­dende “. La prise en compte de ce deux­ième div­i­dende intro­duit une dif­férence tout à fait impor­tante du point de vue de l’analyse des coûts macroé­conomiques d’une politique.

En effet, même effi­caces, les instru­ments sec­to­riels peu­vent être coû­teux pour l’ac­tiv­ité économique et les entreprises.

En prenant en compte les gains résul­tant de redé­ploiements des prélève­ments oblig­a­toires, le coût net du change­ment pour l’é­conomie peut s’al­léger de façon sig­ni­fica­tive à moyen et long terme et peut même, dans cer­tains cas , devenir négatif. Plusieurs esti­ma­tions réal­isées dans des pays dif­férents à par­tir de mod­èles macroé­conomiques, en France, en Europe et aux États-Unis, mon­trent que les ordres de grandeur des coûts économiques d’une poli­tique d’en­vi­ron­nement peu­vent vari­er de 1 à 4 selon que l’on retient une approche sec­to­rielle coû­teuse macroé­conomique­ment (régle­men­ta­tions, per­mis négo­cia­bles alloués gra­tu­ite­ment aux firmes) ou glob­ale avec redé­ploiement fis­cal, pour une même effi­cac­ité envi­ron­nemen­tale (par exem­ple un objec­tif de 10 à 15 % de réduc­tion des émis­sions de CO2 par rap­port à la tra­jec­toire de référence) (12).

Autant dire que les gains d’ef­fi­cac­ité atten­dus d’un instru­ment économique sec­to­riel en lieu et place d’une norme régle­men­taire homogène, pour impor­tants qu’ils puis­sent être (13), peu­vent être encore inférieurs à ceux que l’on pour­rait obtenir d’un redé­ploiement fis­cal plus large autorisé par l’in­tro­duc­tion d’é­co­tax­es ou de per­mis d’émis­sions ven­dus par les autorités publiques. Étudi­er dans le détail dif­férents scé­nar­ios de redé­ploiement qui incor­por­eraient ce genre d’in­stru­ments revêt désor­mais un car­ac­tère d’im­por­tance et d’ur­gence pour la France et l’Europe .

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(1) Cen­tre inter­na­tion­al de recherche sur l’en­vi­ron­nement et le développe­ment (CIRED),
URA 940, EHESS.19, rue Amélie. 75007 Paris. (2) Ce “nor­male­ment ” recou­vre une sit­u­a­tion de marché con­cur­ren­tiel aux con­di­tions homogènes. La réal­ité peut être plus com­plexe ; par exem­ple, si la taxe est intro­duite de façon nationale et que le prix de marché con­cur­ren­tiel du bien taxé est fixé sur le marché inter­na­tion­al et qu’il n’y a pas de détax­a­tion à l’ex­por­ta­tion, alors la taxe ne provoque pas une aug­men­ta­tion du prix de vente TTC, mais une con­trac­tion des marges du pro­duc­teur et, par suite, une con­trac­tion de son offre. L’im­pact de la taxe va donc dépen­dre de la struc­ture con­cur­ren­tielle du marché et du mécan­isme de for­ma­tion des prix.
(3) On sup­pose que le rec­tan­gle représen­tant le prélève­ment fis­cal ne se traduit par aucune perte de bien-être car il vise à financer des dépens­es qui prof­i­tent dans leur ensem­ble aux agents qui for­ment la col­lec­tiv­ité. Cette hypothèse sup­pose un emploi effi­cace des ressources publiques.
(4) Pour un point sci­en­tifique com­plet, se reporter à la ver­sion française de la con­tri­bu­tion du Groupe 3 au dernier rap­port du Groupe d’ex­perts inter­gou­verne­men­tal sur l’évo­lu­tion du cli­mat (GIEC-IPCC) : j.-P. Bruce , H. Lee and E. F. Haites (dir.), Le change­ment cli­ma­tique. Dimen­sions économiques et sociales. Paris, éd. Dossiers et débats pour le développe­ment durable 4D, dif­fu­sion la Doc­u­men­ta­tion française, 1997. Pour deux mis­es en per­spec­tive, voir P. Roque­p­lo, ” L’ef­fet de serre est-il poli­tique­ment gérable ?”, Futuri­bles, (224), octo­bre 1997, p . 17–32 et O. Godard, ” Les enjeux des négo­ci­a­tions sur le cli­mat — De Rio à Kyoto : pourquoi la Con­ven­tion sur le cli­mat devrait intéress­er ceux qui ne s’y intéressent pas “, Futuri­bles, (224), octo­bre 1997, p. 33–66.
(5) Voir par exem­ple B. Deme (éd.), Envi­ron­men­tal Pol­i­cy in Search of New Instru­ments, Dor­drecht, Kluw­er Aca­d­e­mics, 1995.
(6) Voir O. Godard, ” Les per­mis négo­cia­bles et la Con­ven­tion sur le cli­mat : de l’ex­péri­ence améri­caine aux enjeux de l’har­mon­i­sa­tion “. Revue de l’én­ergie, (491), octo­bre 1997, p. 606- 622.
(7) Voir Com­mis­sari­at général du Plan. Éval­u­a­tion du dis­posi­tif des Agences de l’eau — Rap­port au gou­verne­ment. Paris, la Doc­u­men­ta­tion française, 1997.
(8) Voir OCDE, Gér­er l’en­vi­ron­nement. Le rôle des instru­ments économiques. Paris, cd. de l’OCDE, t994.
(9) Il y a là un avan­tage du point de vue de l’ac­cept­abil­ité sociale de l’in­stru­ment, mais aus­si une lim­ite économique. En effet, ce dis­posi­tif n’est pas opti­mal du point de vue de l’équili­bre économique général, puisque le coût externe de la pol­lu­tion résidu­elle asso­ciée à l’op­ti­mum par­tiel n’est pas incor­poré dans le prix de l’élec­tric­ité ; cela incite à tort les con­som­ma­teurs à en con­som­mer davan­tage qu’il ne serait opti­mal. Le mécan­isme idéal d’in­for­ma­tion pour les usagers fin­aux serait que chaque type d’én­ergie se voie imput­er ses coûts externes à l’op­ti­mum de pol­lu­tion dans la for­ma­tion de leurs prix de marché, et que les recettes des tax­es soient redis­tribuées aux agents, soit de manière for­faitaire si la fis­cal­ité générale est opti­male, soit par baisse d’autres prélève­ments oblig­a­toires dis­tor­sifs si elle ne l’est pas.
(10) Si, du fait de la fis­cal­ité en place ou d’autres imper­fec­tions, le sys­tème des prix est éloigné de celui qui con­duirait à un état effi­cace, l’in­tro­duc­tion d’une taxe cor­rec­trice peut provo­quer des déplace­ments qui ne sont pas ceux qui seraient souhaita­bles du point de vue de l’é­conomie globale.
(11) Pour une analyse des impacts économiques de ce pro­jet de tax­a­tion, voir Com­mis­sari­at général du Plan, L’é­conomie face à l’é­colo­gie , Paris. éd. la Décou­verte et la Doc­u­men­ta­tion française, 1993 et O. Godard et O. Beau­mais, ” Économie, crois­sance et envi­ron­nement : de nou­velles straté­gies pour de nou­velles rela­tions “, Revue économique, 44, Hors série .. Per­spec­tives et réflex­ions stratégiques “, 1994, p . 143–176. C’est près de 300 000 emplois sup­plé­men­taires en sept ans (1994–2000) que les sim­u­la­tions réal­isées lais­saient augur­er de ce redé­ploiement fiscal.
(12) C’est en par­ti­c­uli­er le cas d’une étude réal­isée pour le pres­tigieux think­tank améri­cain d’é­con­o­mistes tra­vail­lant sur l’en­vi­ron­nement et les ressources naturelles Resources for the Future : 1. Par­ry , R. C. Williams III and L. H. Gaulti­er, “When Can Car­bon Abate­ment Poli­cies Increase Wel­fare ? The Fun­da­men­tal Role of Dis­tort­ed Fac­tor Mar­kets “, Wash­ing­ton, D. C, Resources for the Future Inc. , Decem­ber, 1996. Cette étude est d’au­tant plus intéres­sante que L. H. Goul­der était surtout con­nu jusqu’à présent pour avoir con­testé l’ex­is­tence d’un dou­ble dividende …
(13) On éval­ue que le sys­tème améri­cain de per­mis négo­cia­bles pour le S02 devrait per­me­t­tre con­crète­ment de divis­er les coûts totaux par deux, son poten­tiel théorique étant une réduc­tion des coûts d’un fac­teur trois. Voir D. Bur­traw, .. The S02 emîs­sion trad­ing pro­gram : cost sav­ings with­out allowance trades “, Con­tem­po­rary Eco­nom­ic Pol­i­cy, 14, (2), p. 79–94.

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