Michèle Cyna (76)

Dossier : Femmes de polytechniqueMagazine N°Michèle Cyna (76) Par Sylvie HATTEMER-LEFÈVRE

Ce qui frappe au pre­mier abord lorsqu’on la ren­contre, c’est la sim­pli­ci­té cha­leu­reuse de son accueil. Son sou­rire, et la fer­me­té de sa poi­gnée de main. Ce qui sur­prend ensuite, c’est l’austérité du bureau de Michèle Cyna, direc­trice aux affaires inter­na­tio­nales de Veo­lia Trans­dev lors de notre ren­contre au prin­temps 2012. Sur un mur, la grande affiche d’un train parce qu’elle siège au conseil de la socié­té de ges­tion du réseau de trains de Bos­ton. Posée sur une éta­gère, la réplique d’un yel­low cab de 1900 de Bal­ti­more que lui a offert l’ex-propriétaire de ce groupe ven­du en 2001 à Veo­lia. Aucune osten­ta­tion donc mal­gré la réus­site d’un par­cours pro­fes­sion­nel de plu­sieurs décen­nies. Tout juste, et encore elle ne l’arbore pas tous les jours, le petit ruban rouge sur le revers droit de sa veste, rap­pelle qu’il n’y a pas si long­temps, Antoine Fré­rot, l’actuel P‑DG de Veo­lia, lui a remis la Légion d’honneur. « Cela m’évite d’être prise pour une secré­taire lorsqu’on me croise dans les cou­loirs », botte en touche celle qui pré­fère tou­jours le savoir-faire au faire savoir.

Tombée dans la marmite

Fille d’un père poly­tech­ni­cien et ingé­nieur des Ponts, d’une mère ingé­nieur chi­miste puis bio­lo­giste, Michèle Cyna est tom­bée toute petite dans la mar­mite des maths : « Dès mon entrée en pri­maire, mon père s’amusait à me faire résoudre des équa­tions à une incon­nue », s’amuse-t-elle. Pas éton­nant alors qu’elle rêve d’être prof de maths, jusqu’au jour où, reçue au concours d’entrée à Nor­male sup et à Poly­tech­nique, elle décide d’intégrer l’X. Par crainte d’un par­cours un peu trop soli­taire dédié à la recherche ? « Je per­ce­vais plu­tôt ma vie dans l’action », recon­naît-elle. Et dans le concret : « Quand on est ingé­nieur, on voit ce à quoi on sert. » À sa sor­tie de Poly­tech­nique, elle intègre le Corps des ponts et chaus­sées (elle sera par la suite, pen­dant cinq ans, direc­teur de la for­ma­tion conti­nue de l’École) et com­plète sa for­ma­tion au MIT (Mas­sa­chus­sets Ins­ti­tute of Tech­no­lo­gy) à Boston.

Construire des routes

Comme son père avant elle, sa pas­sion a tou­jours été de construire des routes. À sa grande fier­té, celles dont elle a été le maître d’œuvre dans une pre­mière vie pro­fes­sion­nelle sont tou­jours là. Après les routes, elle s’intéresse aux tun­nels et par­ti­cipe pen­dant plu­sieurs mois au juge­ment du concours pour le pro­jet d’Eurotunnel. Puis, au début des années 1990, à la créa­tion du site d’Eurodisney, « une aven­ture extra­or­di­naire, la créa­tion de toute une ville ». Pour l’Établissement public d’aménagement de Mar­ne­la-Val­lée, Mme l’ingénieur est alors res­pon­sable du gigan­tesque chan­tier des infra­struc­tures, c’est-à-dire qu’elle super­vise l’installation du réseau rou­tier, de l’assainissement, de l’eau, du gaz, de l’électricité et même du télé­phone ! Pas­sée ensuite chez Euro­via, elle dirige pen­dant huit ans les réseaux tech­niques dans le monde, pilote une équipe d’experts et un centre de recherches rou­tières spé­cia­li­sé dans les bitumes. Mais avant d’intégrer cette filiale du groupe Vin­ci, elle s’est offert une esca­pade de deux ans à la Banque mondiale.

À Washing­ton, où elle s’installe avec mari et enfants, elle sera la pre­mière femme res­pon­sable à s’occuper des pro­jets de trans­ports et de routes en Europe de l’Est, et en par­ti­cu­lier de celui « de la réha­bi­li­ta­tion des trans­ports urbains de Buda­pest », pré­cise cette mère de famille qui a aus­si appré­cié un rythme de tra­vail beau­coup plus com­pa­tible avec une vie familiale.

Une bâtis­seuse donc. Ration­nelle et hyper­or­ga­ni­sée. Autant dire que cette mère de trois enfants, épouse d’un méde­cin cher­cheur, a sou­vent été per­çue comme une extra­ter­restre dans un monde d’hommes. Pour­tant, Michèle Cyna recon­naît n’avoir jamais souf­fert d’une riva­li­té sexiste : « Au début de ma car­rière, mes pre­miers patrons m’ont tou­jours trai­tée comme étant l’une des leurs », appré­cie-t-elle. Sur le ter­rain, son auto­ri­té natu­relle dou­blée d’une grande capa­ci­té d’écoute force le res­pect des troupes. De toute façon, elle n’est ni une intri­gante, ni du genre à se lais­ser faire : « Michèle est par­fois un peu vive », admet ain­si l’un de ses anciens patrons.

L’utilité des réseaux féminins

À force de vivre dans un uni­vers à domi­nante mas­cu­line, elle a pro­gres­si­ve­ment pris conscience de l’utilité des réseaux fémi­nins, dont le sou­tien est par­fois indis­pen­sable en cas de coup dur pro­fes­sion­nel. Et, parce que l’union fait la force, de la néces­si­té de les conso­li­der. Elle com­mence donc par créer l’association Ponts au fémi­nin, qu’elle fusionne ensuite avec celle d’X‑Mines, puis avec celle de l’Ensae, et d’autres grandes écoles. Nom­mée pré­si­dente de Sciences Paris­Tech au fémi­nin, l’association regrou­pant les dif­fé­rentes asso­cia­tions et qui compte désor­mais près de cinq mille membres, Michèle Cyna s’est don­né pour objec­tif d’aider les femmes à se faire la place qu’elles méritent dans le monde pro­fes­sion­nel. Autant dire qu’elle a encore une longue route devant elle.

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