Rose Dieng (1976)

Dossier : Femmes de polytechniqueMagazine N°Rose Dieng (1976) Par Sylvie HATTEMER-LEFÈVRE

La vie sans Rose ? Ce fut d’abord un grand vide. Puis un étrange silence. Plus de bracelets tintinnab­u­lant au rythme de ses pas. Ni d’éclats de rire si pro­fonds qu’ils gal­vani­saient ses équipes. Ni ces grands sourires lumineux qui ensoleil­laient les cœurs. Et encore moins la voix douce, mais ferme, de celle qui était tou­jours à l’écoute de l’autre.

Ne jamais renoncer

Mais la vie sans Rose, cette jeune Séné­galaise prodi­ge arrivée à vingt ans en France pour faire ses class­es pré­para­toires au lycée Fénelon avant d’intégrer l’École poly­tech­nique en 1976, c’est aus­si, depuis son décès en 2008, devenu l’obligation pour ses équipes et ses col­lègues de con­tin­uer à défrich­er les maquis de l’intelligence arti­fi­cielle. D’ouvrir encore et encore de nou­velles portes. De dépass­er les fron­tières du pos­si­ble. Et comme elle, par-dessus tout de ne jamais renoncer.

La première africaine

L’histoire de Rose est d’abord celle d’un des­tin hors du com­mun. Celui d’une gamine née à Dakar en 1956, dans une famille de sept enfants. Une jeune fille qui, depuis son plus jeune âge, avait deux mod­èles, Gand­hi et Mar­tin Luther King. Une élève bosseuse et bril­lante qui, durant sa sco­lar­ité, a excel­lé dans toutes les matières. Douée en maths comme en let­tres, elle rêvait d’être écrivain. Mais son prof de physique de l’époque réus­sit à la con­va­in­cre de suiv­re une fil­ière sci­en­tifique. En 1976, elle est la pre­mière Africaine à inté­gr­er l’École poly­tech­nique. Puis, en 1992, la deux­ième femme à devenir chef de pro­jet et à diriger une équipe de recherche à l’INRIA, de Sophia-Antipo­lis. En 2005, ses travaux sur l’intelligence arti­fi­cielle lui vau­dront d’obtenir le prix Irène Juliot-Curie, une des plus hautes dis­tinc­tions dans l’univers de la recherche. Et d’être une som­mité mon­di­ale­ment respec­tée par ses pairs.

La passion, le défi, l’humanisme

Autant d’honneurs et de réus­sites auraient pu lui tourn­er la tête.Il n’en n’a jamais rien été. Car le moteur de Rose n’a jamais été les dis­tinc­tions. Ses trucs à elle, c’était la pas­sion, le défi, l’humanisme. Sa pas­sion lui don­nait l’énergie de repouss­er les lim­ites du savoir. Une quête jamais assou­vie. Son obses­sion ? Le devoir de mémoire : « Si vous ne sauve­g­ardez pas l’information, vous la perdez », expli­quait-elle à ses équipes. Alors, elle a passé sa vie à tra­vailler sur des sys­tèmes d’organisation per­me­t­tant de sauve­g­arder les don­nées, les infor­ma­tions, parce que, pour elle, la trans­mis­sion est le vecteur qui per­met de béné­fici­er de l’expérience. Et donc d’avancer. Ses travaux sur la séman­tique sont aujourd’hui devenus des références pour les moteurs de recherche sur Internet.

L’exigence, l’écoute et la bonté

Son défi était de ne jamais bris­er l’espoir que son pays avait placé en elle. Même si par­fois la nos­tal­gie la tarau­dait, elle se savait plus utile en France qu’à Dakar. Mais jamais elle n’a voulu renon­cer à sa nation­al­ité séné­galaise. Son human­isme, surtout, lui vaut de rester dans le cœur et la mémoire de ceux qui ont eu la chance de partager ses travaux. Dans un univers où, comme partout, la com­péti­tion a dur­ci les rap­ports humains, elle a prou­vé que l’exigence pou­vait cohab­iter avec l’écoute et la bon­té. Pardessus tout, Rose était une dame de cœur.

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