Mémoires

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°624 Avril 2007Par : Robert DAUTRAY (49)Rédacteur : Alexandre MOATTI (78)Editeur : Odile Jacob - 2007 - 15, rue Soufflot, 75005 Paris. Tél. : 01.44.41.64.84.

Enfin on en sait un peu plus sur R. Dau­tray. Son nom est connu, son visage l’est moins : même au sein du Corps des Mines, je crois ne l’avoir vu qu’une fois, et son nom, pour­tant pres­ti­gieux, est rare­ment mis en avant. Pour cause : autant il a pris plai­sir à l’enseignement scien­ti­fique de l’X, autant il s’est sen­ti « étran­ger aux mœurs des cénacles » du Corps. Et Dau­tray – vous le savez ou vous vous en dou­tez – n’est pas un homme de dîners et « l’art de la conver­sa­tion » ne fait pas par­tie des arts qu’il maî­trise. Ce qu’il a che­villé au corps en revanche, et qu’il nous fait pas­ser avec force et séré­ni­té tout au long de ce remar­quable témoi­gnage, c’est l’amour de la science et le sens aigu de l’intérêt général.

Mais reve­nons aux ori­gines. Né Kou­che­le­vitz à Paris en 1928, il échappe à la rafle du Vél’ d’Hiv le 16 juillet 1942 grâce à la fille de son concierge ; pas­sant le reste de la guerre avec sa mère en pays gar­dois, il entre pre­mier à l’École des Arts et Métiers en 1945. Son père, pel­le­tier ven­dant à des four­reurs, ne revien­dra pas d’Auschwitz pour connaître ce pre­mier suc­cès de son fils, déjà bien au-delà de ses espé­rances. Dau­tray fait sa sco­la­ri­té de « gadz’arts », puis est mis en contact par le direc­teur des Arts avec le direc­teur des études de l’X, l’ingénieur géné­ral Lamothe : sur les conseils de ce der­nier, il fait une taupe à Louis-le-Grand, entre second à l’X (on sent une nuance de regret) et en sort major.

« L’apprenti scien­ti­fique » par­ti­cipe alors à la for­mi­dable aven­ture de la phy­sique nucléaire au CEA, celle qui a remis l’X dans la course du déve­lop­pe­ment scien­ti­fique qui n’était plus son point fort depuis 1870. On revit, avec Dau­tray, la for­mi­dable épo­pée de ses maîtres A. Mes­siah (40), J. Horo­witz (41), C. Bloch (42, dis­pa­ru pré­ma­tu­ré­ment en 1971) et de ses col­lègues scien­ti­fiques ou ingé­nieurs C. Fré­jacques (43), G. Besse (46), O. Billous (48), P. Nel­son (51). Sans oublier l’influence de ses fidèles amis Ull­mo (24) et Lesourne (48).

À par­tir de 1955 date de son entrée au CEA, les réa­li­sa­tions s’enchaînent pour Dau­tray : la maî­trise de la réac­tion en chaîne dans la chau­dière du pre­mier sous-marin nucléaire fran­çais, la construc­tion du réac­teur de Cada­rache, l’Institut Laue-Lan­ge­vin de Gre­noble… enfin le suc­cès de la bombe H, qui se fait avec une impli­ca­tion forte du Géné­ral de Gaulle, un petit coup de pouce scien­ti­fique bri­tan­nique (je vous laisse décou­vrir lequel), et la prise en mains par R. Dau­tray du pro­jet, qui à par­tir de ce moment-là avance de manière déter­mi­nante. Les études finales sont ter­mi­nées en février 1968, et la cam­pagne d’essais posi­tive a lieu à Muru­roa pen­dant l’été 1968… on appré­cie­ra les facé­ties rétros­pec­tives du calendrier.

C’est aus­si, par la suite, le laser Phé­bus, la rédac­tion avec J.-L. Lions d’un manuel de réfé­rence sur la phy­sique mathé­ma­tique, le poste de Haut-Com­mis­saire à l’Énergie ato­mique, où Dau­tray nous décrit avec phi­lo­so­phie et luci­di­té les « guerres de chefs » qu’il subit…

À la fois savant et ingé­nieur, amou­reux de la science et de la tech­nique, d’une grande modes­tie mais fier de ses suc­cès, R. Dau­tray nous livre là un témoi­gnage pal­pi­tant (on appré­cie­ra aus­si les notes de fin de texte à carac­tère scien­ti­fique). De fait une contri­bu­tion à l’histoire de la science et de la tech­nique qui nous eût man­qué s’il ne s’y était atte­lé. Para­phra­sant le titre du livre de Laurent Schwartz (2000), avec un carac­tère fort dif­fé­rent mais un niveau scien­ti­fique équi­valent chez Dau­tray, voyons-le et lisons-le comme « Un phy­si­cien aux prises avec le siècle ».

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