Mécanique des solides : la modélisation du comportement des polymères, aide à l’innovation

La modélisation du comportement des polymères, aide à l’innovation

Dossier : La mécaniqueMagazine N°752 Février 2020
Par Julie DIANI

Le lab­o­ra­toire de mécanique des solides (LMS) con­join­te­ment avec le lab­o­ra­toire de math­é­ma­tiques appliquées (CMAP) tra­vaille actuelle­ment avec la société Arke­ma, dans le cadre d’une chaire indus­trielle, à définir les out­ils math­é­ma­tiques décrivant au mieux le com­porte­ment des matéri­aux pour pro­pos­er des appli­ca­tions extrême­ment var­iées. La col­lab­o­ra­tion du pre­mier chimiste français et de math­é­mati­ciens et mécani­ciens académiques est la preuve de la pluridis­ci­pli­nar­ité actuelle de la recherche en matéri­aux et de l’utilité de cette recherche pour la société.

On s’intéressera ici à la mécanique des matéri­aux polymères. Le mécani­cien des matéri­aux se con­cen­tre notam­ment sur la rela­tion entre microstruc­tures et pro­priétés mécaniques. Si la cause physique de cette rela­tion ques­tionne, le but prin­ci­pal n’est pas d’en don­ner une expli­ca­tion, qui par­fois d’ailleurs nous échappe, mais de pro­pos­er des lois de com­porte­ment tridi­men­sion­nelles, au moins descrip­tives et pos­si­ble­ment pré­dic­tives, qui soient utiles à l’ingénieur pour le dimen­sion­nement, la tenue en ser­vice ou la durée de vie d’ouvrages, de struc­tures… Par con­séquent, le tra­vail asso­cie un effort de car­ac­téri­sa­tion expéri­men­tale du com­porte­ment mécanique et de la microstruc­ture, et un effort de mod­éli­sa­tion à l’échelle macroscopique.


REPÈRES

Dans le lan­gage com­mun, les polymères inclu­ent les plas­tiques, caoutchoucs, résines… Si l’image de ces matéri­aux est actuelle­ment dégradée auprès du grand pub­lic pour des raisons écologiques évi­dentes, ils per­me­t­tent pour­tant de réduire la con­som­ma­tion d’énergie, du fait notam­ment de l’allègement des struc­tures. On les retrou­ve aus­si bien dans les trans­ports ou dans l’énergie (flex­i­ble off­shore, pale d’éolienne, cap­teur pié­zoélec­trique ou élec­troac­t­if) que dans les loisirs (chaus­sures et appareils de sport)… Le développe­ment de polymères biodégrad­ables ou écore­spon­s­ables est déjà large­ment avancé et les nou­veaux procédés tels que l’impression 3D per­me­t­tent la fab­ri­ca­tion de matéri­aux archi­tec­turés plus per­for­mants, tout en min­imisant la con­som­ma­tion de matière. 


Des lois de comportement originales… 

Pour opti­miser l’utilisation des polymères, on a besoin de lois de com­porte­ment. Or le com­porte­ment des polymères change dras­tique­ment en fonc­tion de la tem­péra­ture ; ils passent d’un com­porte­ment de type plas­tique à froid à un com­porte­ment de type caoutchouc à chaud, c’est-à-dire au-delà de leur tem­péra­ture de « tran­si­tion vit­reuse ». Selon le polymère, la tem­péra­ture de tran­si­tion vit­reuse peut descen­dre à — 70 °C ou dépass­er 200 °C. Par ailleurs, les polymères amor­phes et cer­tains polymères semi-cristallins présen­tent deux pro­priétés intéres­santes que sont la vis­coélas­tic­ité et l’équivalence temps-température.

Pour expli­quer sim­ple­ment ces deux pro­priétés, on peut dire que la réponse de ces matéri­aux ne dépend pas seule­ment du charge­ment mais de tout son his­torique, et que l’espace-temps, défi­ni à tem­péra­ture ambiante, se con­tracte aux bass­es tem­péra­tures et s’étend aux tem­péra­tures élevées. Une expres­sion sim­ple de la com­bi­nai­son de ces deux pro­priétés est la mémoire de forme des réseaux amor­phes. Si les physi­ciens des polymères ont rapi­de­ment com­pris que la mobil­ité réduite à froid des chaînes polymères per­me­t­tait de retenir la forme tem­po­raire, alors que l’activation ther­mique des chaînes à chaud assur­ait le retour de forme, nous avons démon­tré que la sim­ple prise en compte de ces deux pro­priétés intrin­sèques per­me­t­tait d’écrire les équa­tions math­é­ma­tiques utiles à prédire la ciné­tique de mémoire de forme.

Mécanique des solides : mobilité moléculaire de chaînes polymères
Mod­éli­sa­tion de la mobil­ité molécu­laire de chaînes polymères par un auto­mate cellulaire.

Ces équa­tions ont par ailleurs d’autres appli­ca­tions, comme celle de prévoir le rebond d’une balle en fonc­tion de sa tem­péra­ture. On peut observ­er qu’un joueur de squash à l’échauffement frappe fort dans sa balle pour en élever la tem­péra­ture et ain­si en amélior­er le rebond. En effet, en aug­men­tant la tem­péra­ture de la balle, on s’éloigne du domaine visqueux, réduisant ain­si la part d’énergie dis­sipée par vis­coélas­tic­ité pen­dant le rebond. La per­for­mance au rebond de la balle en fonc­tion de la tem­péra­ture peut être prédite avec la même loi de com­porte­ment que celle util­isée pour la mémoire de forme.


La mémoire de forme des réseaux amorphes

À chaud (au-delà de leur tem­péra­ture de tran­si­tion vit­reuse), les réseaux polymères peu­vent se déformer facile­ment et de façon réversible, comme un élas­tique. Si un change­ment de forme est appliqué à chaud et main­tenu pen­dant le refroidisse­ment (en dessous de la tem­péra­ture de tran­si­tion vit­reuse), la forme tem­po­raire pour­ra être con­servée à froid sans effort et cela aus­si longtemps qu’on le souhaite. En revanche, un sim­ple chauffage per­met au matéri­au de retrou­ver sa forme initiale. 


Mécanique des solides : polymérisation de billes acrylates
Polyméri­sa­tion de billes acry­lates pour étude du rebond viscoélastique.

Un équipement de pointe

Les paramètres microstruc­turaux déter­mi­nant le com­porte­ment d’un polymère peu­vent être à l’échelle des chaînes macro­molécu­laires. Pour les polymères semi-cristallins, le taux de cristallinité, la maille cristalline et l’arrangement des cristal­lites ont un impact sur leur com­porte­ment. Selon le procédé de mise en œuvre choisi, une struc­ture à l’échelle supérieure, appelée mésostruc­ture, peut être créée, par exem­ple pour les mouss­es. Dans le cas d’une mousse, la den­sité de matière, la dis­tri­b­u­tion des tailles des cav­ités, le fait que ces dernières soient ouvertes ou fer­mées, sont à pren­dre en compte. Au lab­o­ra­toire de mécanique des solides, nous béné­fi­cions de nom­breux appareils de car­ac­téri­sa­tion des matéri­aux, tels que micro­scope élec­tron­ique à bal­ayage, micro­scope à force atom­ique et calorimétrie à bal­ayage dif­féren­tiel. Con­naître la microstruc­ture du matéri­au d’intérêt à toutes les échelles per­met d’identifier les paramètres pilotant son com­porte­ment et son endommagement.

Il est égale­ment pos­si­ble d’ajouter des inclu­sions (charges) aux polymères. Ces charges peu­vent con­tribuer aux pro­priétés mécaniques, comme à la résis­tance à l’usure dans le cas des élas­tomères chargés en noir de car­bone, à la réduc­tion de l’apparition de fis­sures dans le cas des polyméthacry­lates de méthyle chocs, aux pro­priétés fonc­tion­nelles comme la propul­sion solide des prop­er­gols, ou encore au cou­plage mul­ti­physique d’élastomères magnétorhéologiques.

La nature, la quan­tité, l’organisation de ces charges ont un impact sur le com­porte­ment ou l’endommagement des polymères. Pour prédire cet impact, nous pou­vons avoir recours à une mod­éli­sa­tion à tran­si­tion d’échelle qui per­met de cal­culer, à par­tir d’une microstruc­ture hétérogène, le com­porte­ment du matéri­au homogène équiv­a­lent, soit un matéri­au homogène virtuel qui a le même com­porte­ment que le matéri­au hétérogène. Cette mod­éli­sa­tion per­met de mieux appréci­er le rôle des paramètres microstruc­turaux sur les pro­priétés macro­scopiques, mais – plus intéres­sant – elle peut devenir un out­il pour définir les microstruc­tures per­ti­nentes en fonc­tion des appli­ca­tions visées.


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