Mathilde Sillard par Laurent Simon

Mathilde Sillard (2002), d’une élégance foncière

Dossier : TrajectoiresMagazine N°768 Octobre 2021
Par Pierre LASZLO

Elle s’exprime admirable­ment, à l’écrit comme à l’oral : claire et pré­cise, présen­tant des idées orig­i­nales, réfléchies, d’une per­son­nal­ité engageante et affir­mée. Elle habite à Paris, à la lisière des 2e, 9e et 10e arrondis­sements, près du Grand Rex. Coïn­ci­dence toute for­tu­ite : c’est là même que son ancêtre Prelot, car­rossier du roi, habitait en 1820 ­­­– lorsqu’il déco­ra le cor­bil­lard du duc de Berry. Il vécut encore cinq ans, jusqu’à l’âge de 68 ans. 

Une réputation à soutenir

Sa famille comp­ta par ailleurs bon nom­bre d’X : « Ma grand-mère pater­nelle était fille de poly­tech­ni­cien (général Chau­vineau, X1895), femme de poly­tech­ni­cien (Jean Sil­lard, X1926), sœur de poly­tech­ni­cien (Robert Chau­vineau, X1931), belle-sœur de poly­tech­ni­cien (Marc Jouguet, X1926). Petite, j’entendais donc par­ler d’X Cheminots, de voy­ages avec la pro­mo 26… Une vision d’amitié, de vie quotidienne. »

Elle aurait tant aimé con­naître, juste­ment, son grand-père Jean Sil­lard, ingénieur de tal­ent, décédé en 1981, l’année précé­dant sa nais­sance. Il fit d’importants travaux en Amérique latine de 1939 à 1942, dont le port de Mar del Pla­ta en Argen­tine ; il aimait rire, manger, chanter : dans la légende famil­iale, il aurait voulu être chanteur d’opéra.

La musique compte beau­coup pour elle aus­si : « J’ai joué de la harpe de mes six ans à mes vingt et quelques années, jusqu’à ce que je com­mence à tra­vailler. Idem pour le théâtre. J’ai été en CHAM (classe à horaires amé­nagés en musique) pen­dant tout mon collège. » 

Mathilde eut la révéla­tion des math­é­ma­tiques grâce à son pro­fesseur de pre­mière S au lycée Jeanne‑d’Albret de Saint-Ger­main-en-Laye, M. Joseph Hen­ry, qui lui don­na l’envie de les appro­fondir dans le supérieur : « Par jeu, par amour du beau et goût de l’abstraction. » Ce fut ensuite la pré­pa à Louis-le-Grand, puis l’École. Qu’elle quit­ta en 2006 avec un mas­ter en physique et économie, ain­si qu’avec un mas­ter en économie, la même année, de l’université de Pom­peu Fab­ra, à Barcelone. Fut-ce l’attrait d’une car­rière dans le con­seil ? Son pre­mier emploi, de 2006 à 2009, fut chez McK­in­sey. Puis, de 2009 à 2013, elle tra­vail­la dans le groupe L’Oréal : comme représen­tante com­mer­ciale de Lancôme France, puis chef de pro­duit tou­jours chez Lancôme (2010–2012) et, de 2012 à 2013, chef de groupe développe­ment sur le soin Yves Saint Laurent.

En voie propre

Avec une insat­is­fac­tion majeure, cepen­dant : « Lorsque j’ai démis­sion­né de L’Oréal, j’étais en rejet des gross­es struc­tures trop cor­po­rate. Je leur attribuais tous les maux et j’idéalisais les petites structures. »

Entière comme elle est, Mathilde Sil­lard déci­da d’aller de par le monde, en 2013–2014, pour y trou­ver un emploi qui répondrait à son exi­gence. « J’ai choisi trois start-up à des stades de développe­ment dif­férents, dans des pays dif­férents (Chine, Angleterre, France), pour men­er mon enquête. Et répon­dre à la ques­tion : voulais-je créer mon entre­prise, en racheter une ou être salariée dans une petite entreprise ? »

En 2014, elle choisit d’entrer chez Celine, une mar­que de mode appar­tenant au géant LVMH, mais dis­posant d’une cer­taine autonomie et d’un état d’esprit humain et entre­pre­neur­ial qui lui est cher. Elle y tra­vaille comme bras droit de Mar­co Gob­bet­ti, le prési­dent-directeur général.

Puis, de 2017 à 2019, tou­jours chez Celine, elle devient direc­trice mer­chan­dis­ing sur l’ensemble des col­lec­tions d’accessoires, de la maro­quiner­ie aux bijoux, en pas­sant par les chaussures. 

Depuis, elle trou­ve sa place et son autonomie dans les métiers de la mode, du design et de la beauté en tant qu’entrepreneure et con­sul­tante free­lance. L’harmonie et le con­traste des couleurs l’intéressent de longue date : « J’aime les couleurs car elles réveil­lent et inter­pel­lent. J’aime le blanc et le noir car ils posent le décor et sculptent les vol­umes. J’ai gran­di dans un couloir en velours rouge, une cui­sine laquée jaune, un salon blanc, noir et miroir (fau­teuils de Mar­cel Breuer, bib­lio­thèque noire USM). Aujourd’hui, 80 % de mes murs sont blancs et 80 % de ma garde-robe est noire. Sur cette base, je m’amuse. »

Théoricienne de la mode

À la ques­tion « où vont les métiers de la mode, à votre avis ? », elle répond : « Le vête­ment est à la fois très intime – ce que nous por­tons tout con­tre notre peau – et très exposé – ce que nous don­nons à voir aux autres. »

La mode est une ques­tion de société. Elle est ain­si en pleine réso­nance avec les muta­tions et les doutes de notre temps : com­ment con­tin­uer à jouir sans courir à notre perte ? Le futur sera-t-il dom­iné par les machines ? Peut-on imag­in­er un cap­i­tal­isme respon­s­able ? Quel équili­bre entre con­struc­tion iden­ti­taire et force du col­lec­tif ? Quelle place pour le beau, le rêve et l’inutile ? » On le perçoit, elle n’a pas bot­té en touche, mais resti­tué à la ques­tion sa pleine réso­nance philosophique. Et elle ajoute : « Insta­gram et Tik­Tok sont les deux réseaux soci­aux qui se sont tail­lé la part du lion dans la mode. On s’y inspire, on soupire. Grâce à des évo­lu­tions comme les reels qui ont pris le pas sur les posts clas­siques, Insta­gram con­tin­ue de surfer sur le haut de la vague pour les jeunes généra­tions. On regarde Insta­gram comme une fenêtre sur le monde, on y hume l’air du temps : est-ce si dif­férent de regarder les gens pass­er dans la rue, attablé à une ter­rasse de café, et d’admirer le man­teau d’untel ? »

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